... Au début des années 90, en Floride, un groupe de criminels, composé de bodybuilders, kidnappent et torturent des miamiens pour les dépouiller de leurs biens. Cette bande de malfaiteurs sera connue sous le noms de Sun Gym Gang.
Le culturisme, mot dont on prête l'invention à Marcel Rouet, est un art moderne en ce sens qu'il est créateur d'une beauté nouvelle qui ne lui pré-existe pas. Le culturisme à l'instar de la musique, de la poésie ou de l'architecture n'est pas le fruit de la Nature mais de la Culture ; le culturiste développe sa masse musculaire à des fins uniquement esthétiques. Il est à la fois le créateur et sa créature.
Loin du lieu commun qui l'associe à Narcisse, dont la beauté est naturelle (si tant est qu'un enfant naît du viol d'une nymphe par un dieu puisse l'être), il s'inscrit, compte tenu des attendus de l'époque qui l'a vue naître et évoluer (société industrielle puis/et société de consommation), dans une politique du rebelle. Fût-ce à son corps défendant [-_ô].
Car, le culturisme ne vise pas l'utilité mécanique, le couple corps/rendement est absent de sa diététique intellectuelle. Acte gratuit et futile, le culturisme s'oppose à l'exploitation de l'homme par l'homme.
Marcel Rouet |
Qui plus est, c'est une activité analogique par opposition au bodybuilding qui elle est une activité digitale, un sport. C'est-à-dire l'une des représentations les plus significatives de l'exploitation de l'homme par l'homme.
L'activité physique digital est de culture numérique (temps/classement, vainqueur ou vaincus, 1 ou zéro) ; l'activité physique analogique ne prend pas en compte de classement mais s’intéresse à la sensation, elle est le domaine du libre-arbitre (là où le sport digital est sous la coupe de l'arbitre). L'activité analogique offre une relation connivente qui a pour vocation de perpétuer, et en aucun cas de dominer les autres.
L'antagonisme digital/analogique est bien entendu transposable à tous les aspects de la vie. |
Toutefois cette conception du culturisme que je propose n'est pas celle des origines, celle de Marcel Rouet, car le culturisme, même si le mot est tombé en désuétude aujourd'hui, a produit des compétitions au même titre que le bodybuilding. Néanmoins j'ai repris le terme à mon propre compte en le dépouillant de ses attributs compétitifs, dorénavant apanages exclusifs du bodybuilding. Du moins dans ma conception.
Dorian Yates champion emblématique des 90' |
Culturisme et bodybuilding partagent cependant une notion esthétique commune : le Sublime.
En 1757 Edmund Burke propose une approche génétique du Sublime (en ce sens qu'il en fait la genèse) et en théorise la catégorie dans sa Recherche philosophique sur l'origine de nos idées sur le Sublime et le Beau (Philosophal Enquiry into the Origin of Our Ideas of the Sublime and the Beautiful).
Ainsi, l'idée du Sublime tel qu'on le pense généralement n'est pas l'extrémité du Beau, c'est-à-dire quelque chose disons de très beau, de magnifique, mais au contraire quelque chose qui s'oppose au Beau.
Le Sublime devient dés lors une catégorie esthétique dont les critères essentiels sont l'immensité, le grandeur et la terreur. En outre chez Burke, le Sublime est affaire d'artifice.
L'horreur, la description de souffrances, peuvent ainsi plaire dans ce nouveau contexte intellectuel qu'est le Sublime. Un paysage de chaos, solitaire et mystérieux devient une source de plaisir. Selon Burke le degré le plus élevé du Sublime est atteint lorsque l'on juxtapose des extrêmes ; ce procédé de contraste est ici central dans la catégorie du Sublime que théorisa l'auteur. Le Sublime chez Burke est affaire "d'intensification" dira Jean-François Lyotard.
Le Beau concerne les objets menus aux surfaces lisses, aux lignes droites ; le Sublime concerne les objets vastes qui rappellent la notion d'infini, les surfaces rugueuses, les lignes brisées, hautes, verticales qui donnent le vertiges.
Burke précise également que le sentiment visé par le Sublime est celui d'un plaisir négatif, que l'auteur définit comme étant le Délice (Delight) lié à l'éloignement ou l'atténuation d'une douleur mais dont on conserve néanmoins l'empreinte physique et qui reste a fortiori douloureuse ; du reste le Sublime procède d'un art de l'imagination : on croit voir plus qu'on ne voit, alors que paradoxalement le Sublime est ce "sentiment de l'impuissance de l'imagination".
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Dés lors l'amateur sait que le culturiste et le bodybuilder ne sont pas séparés par le volume musculaire comme pourrait le laisser croire les photographies de Marcel Rouet et de Dorian Yates, mais par une différence d'approche (digitale/analogique) ; mais qu'en tout état de cause ils évoluent dans la même sphère esthétique.
Il n'est pas ici question d'imposer, mais de proposer une catégorie (le Sublime) dans laquelle le culturisme et le bodybuilding peuvent s'envisager au-delà du laid et du beau, mais toujours offerte en regard de la subjectivité du spectateur.
Ceci étant dit, voyons ce qu'a à nous dire le film de Michael Bay No Pain No Gain, et de quelle manière il le fait.
(À suivre ....)
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