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Le Bon camp [Éric Guillon]

Éric Guillon se penche, avec « Le Bon camp », sur les grandes histoires des petits au lieu des petites histoires des grands, en l’occurrence celles de Joseph Mat, personnage imaginaire qui va pourtant traverser des faits historiques avérés et rencontrer des gens qui le sont tout autant. 
« Mais à l'époque je pensais que la lutte contre le fascisme primait sur tout le reste. » 
            Le père de Jo Mat a été tué en 1914, pendant la 
« grande guerre pour la civilisation » comme on disait en ce temps-là. 
Élevé par un grand-père « illégaliste », dont les origines vaguement espagnoles signeront le départ de son petit-fils pour l’Espagne en 1936. Où Joe Mat deviendra tireur d’élite dans une colonne du P.O.U.M., avant d'être incarcéré & torturé au bagne de Guadalajara
Joseph Mat donc, est un dur un tatoué (sans charre) qui a cru à la Grande Internationale©
On l’excusera d'autant plus volontiers que certains y croient encore aujourd’hui. 
            Apprenti typographe puis ouvrier typographe (comme son grand-père), à L’Huma™ notamment (il a adhéré au PCF en 1933), Joseph Mat retournera sous les drapeaux en 1939 avant d’être affecté sur la Ligne Maginot. Il avait précédemment fait son service militaire dans un régiment des transmissions dès 1935. 
            Soupçonné d'avoir diffusé des tracts défaitistes, il se retrouve au camp de Gurs près d'Oloron-Sainte-Marie d’où il s’échappe. Ce qui lui vaudra d’être repéré par le Lieutenant Terrès du B.M.A. de Toulouse qui se l’accapare pour libérer quelqu’un d'emprisonné dans ce même camp. 
            Entré en Résistance via Terrès, il rançonne les industriels et les banques qui collaborent avec l’ennemi. Plus tard ce sera avec Pierre Loutrel, dit « Pierrot le Fou » et sa bande qu’il ira au braquage. Mais avant ça, s’apercevant qu’il s’était acoquiné avec une bande de bras cassés et il prendra vivement la tangente. Après cinq piges à semer les cadavres, il faut savoir se faire oublier. 
            Il s'installe alors à Paris où il fricote avec le marché noir et le Milieu. En sus, la « Carlingue » n'est jamais loin de ses propres « affaires », mais c'est plus tard qu'il rencontrera Laffont & Bonny, ainsi qu'Abel Danos. Et même le docteur Petiot ! C'est dire si le héros de Guillon a roulé sa bosse. 
Dans les années 1950 il est en Indochine, pour finalement s'installer avec Lily, dit « Paula la Chinoise » à Alger, où ils tiennent un bordel. C'est là que commence « Le Bon camp ». 
            C'est sur la foi de la quatrième de couverture, et plus précisément sur son 
« chapeau » si j'ose dire, que j'ai acheté puis lu « Le Bon camp » :
Et ça démarre très bien.
            À la manière du film de Claude Sautet, Joe Mat, comme Pierre Bérard (alias Michel Piccoli), revoit les moments forts de sa vie défiler, et c'est vraiment bien fait. Très naturellement, mais sans jamais perdre le lecteur Éric Guillon enchaîne les événements sans suivre une chronologie stricte.
Roman noir, mais surtout roman criminel, l'auteur donne du milieu une image romantique. Et là aussi, ça fonctionne très bien. Même si, au contraire tous ceux qui n'en font pas partie sont toujours présentés en mauvaise part.  
            Sans être le seul exemple du roman, l'embuscade que tendent des maquisards « révolutionnaires » à une Quinze chevaux sur la route de Paris est révélatrice d'un malaise qui ne me quittera plus.
« Ils étaient cinq. [..] Celui qui avait parlé poussait une brouette chargée d'une roue de voiture et une bonbonne de pinard. [..] On aurait dit des pécores revenant du boulot. »  
Il est aussi question de « maillot de corps crasseux », du « glouglou du pinard qui coulait dans leurs gosiers ».
À l'intérieur de la Traction c'est un tout autre monde : les deux hommes appartiennent au Milieu, mais ils font aussi partie d'un réseau de résistance, et 
« en même temps » de la bande de la « Rue Lauriston », excusez du peu !
On apprendra aussi que l'un des deux parisiens aura profité d'un très bon moment avec la jeune femme qui les accompagne, mineur, et qui était alors en ménage avec Joe Mat
Le récit que fait Éric Guillon des faits, puis de ce qui se passera ensuite à Paris ne laisse aucune place au doute. Son cœur penche du coté des criminels. Ils ont des manières, un sens de l'honneur, de beaux costumes, des fume-cigarette à l'occasion, bref ce sont des affranchis. Contrairement aux pécores qui boivent du pinard, quand bien même seraient-ils d'authentiques Résistants à l'occupation allemande.
            Éric Guillon n'est ni le premier ni le dernier à montrer des penchants hybristophiles. De nos jours, c'est quasiment du conformisme que d'avoir un attrait pour les criminels, qu'on transforme en « petit ange ». Sans parler des enseignants qui voient dans les émeutes et les pillages de  cet été : des « modes d’action radicaux qu’on qualifie de violences ».    
Là où ça devient franchement gênant (même si ça l'était déjà depuis un moment), c'est lorsque Jo Mat rencontre Henri Laffont, Pierre Bonny et Abel Danos (sur qui il a justement écrit un livre), des personnages historiques, à la vie très documentée.
Laffont, chef de la Gestapo française (dit la « Carlingue »), à qui il donne malgré tout une sorte d'aura tragique & nihiliste. Idem pour Danos, un gangster à la Gabin, amoureux de la « petite reine ». 
Celui qui s'en sort le moins bien c'est Bonny. Il faut dire que c'est un ancien flic. [Sourire] 
            Bref, Éric Guillon est de parti pris, mais son éditeur d'alors, la manufacture de livres™, ajoute à la confusion en faisant de son auteur un « historien du Milieu français ». Formule suffisamment ambiguë pour que le roman acquière une patine historique, validée par le titre d'historien. Ce qui n'enlève rien aux recherches qu'il dit avoir fait sur cette période et sur les personnages historiques qui peuplent son roman.
Toutefois le résultat est une fiction (à mon avis, un poil révisionniste).
            Et si évidemment l'Occupation est une période dont on peut dire - sans risque de se tromper - qu'elle était certainement pas manichéenne ; utiliser les artifices du roman pour favoriser un point de vue, alors qu'on déclare que « la vérité officielle était loin de correspondre à la réalité des personnages » [Pour en savoir +], me semble à la limite de l’escroquerie intellectuelle. 
Pour ceux qui seraient intéressés, « Le Bon camp » a été réédité en poche cet été (on remarquera que « d'historien du Milieu français » l'auteur est plus raisonnablement passé à « spécialiste de l'histoire du banditisme français ».
 

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