Dans le supermarché idéologique du wokisme les seules marques que l'on souffre sont celles de la vertu (ostentatoire). Hostilité culturelle, autodiagnostiques victimaires, tribalisme(s) agressif(s), intérêts catégoriels, on connait la chanson.
Toutefois, il est bon de refaire souvent le point tant la doxa médiatique use les plus endurcis des opposants à cette déferlante. Heureusement des ouvrages comme celui de Jean Szlamowicz permettent de revoir les bases, et parfois de saisir une analyse vue nulle part ailleurs. Qui pour le coup porte l'estocade fatale à une bien méchante idée.
Essai de 224 pages, donc assez court mais d’une densité qui vous donnera l’impression d’entrer dans le Tardis© du Docteur Who, tout en étant d’un abord facile et captivant ; « Les Moutons de la pensée » s’attaque à la contagion lexicale d’un verbiage pseudo-scientifique dont nous sommes tous victime : intersectionnalité, patriarcat, blanchité, décolonialisme, genre, queerisation, micro-agression, appropriation culturelle, transphobie, invisibilisation, inclusivisme, etc.
Un vocabulaire aux prétentions analytiques, qui ne vise à présenter la société que sous des rapports de dominations. Jean Szlamowicz en expose la froide nudité manipulatrice, alors même que ce que ces mots définissent n’est (bien évidemment) jamais questionné.
Prenons l’écriture inclusive.
« L’affirmation critique selon laquelle l’idéologie dominante patriarcale continue d’être l’idéologie dominante d’aujourd’hui EST l’idéologie dominante d’aujourd’hui »
Slavoj Žižek
Alors que le discours pour le droit des femmes et la place d'icelles dans les sociétés occidentales n’ont jamais été aussi importants, et surtout admis, la langue française serait sexiste.
Une (com)plainte qui va, évidemment, à rebours du bon sens et surtout de l’évolution de notre société telle qu’on peut le constater. En outre, si de tout temps la langue est sexiste, pourquoi la société est-elle justement moins sexiste qu’elle ne l’a été ?
Si Alfred Korzybski a pu dire, avec le succès que l’on sait que « la carte n’est pas le territoire », Jean Szlamowicz rappelle - à juste titre - que la langue n’est pas le discours.
Confondre la grammaire et son usage - le discours donc, est ainsi un problème que les thuriféraires de l’écriture inclusive font semblant de ne pas voir. Ce qui ne les empêche pas de faire de l’anthropomorphisme en accusant la langue de tous les maux.
Et pour le dire aussi clairement que Jean Szlamowicz : les militants de l’écriture inclusive sont visiblement des obsédés sexuels. Un biais méthodologique qui n’est pourtant lui non plus, jamais abordé.
Et pour rester dans le même ordre d'idées, en l’occurrence le « genre », l'auteur en propose une lecture que je n'ai donc jamais vu ailleurs : « On entend désormais des diagnostics comme il n’est pas né dans le bon corps, recréant une croyance à l’existence d’un étrange dualisme où les âmes résideraient dans des corps et seraient parfois mal logées, au point de décider de travaux d’aménagement. », ce qui fait dire à monsieur Szlamowicz qu'on verse littéralement dans le shamanisme, où l’humain est composé d’organes qui entreraient en opposition avec un « esprit » sexué. Brillant !
Ce qui est plutôt bien vu quand on peut entendre qu’unetelle « préfère des femmes qui jettent des sorts plutôt que des hommes qui construisent des EPR ».
Et indispensable, quand on peut lire par ailleurs dans un magazine de bande dessinée destiné aux jeunes lecteurs (mais pas seulement), une histoire clairement militante [Pour en savoir +].
À contre-courant de ceux qui voient dans une représentation de la pièce Les Suppliantes d’Echylle un « black face », Jean Szlamowicz montre l’anachronisme qu’il y a à juger hier avec les valeurs du moment. Car, comme le disait Leslie Poles Hartley : « Le passé est une terre étrangère : on y fait les choses autrement qu’ici. ».
Voire d’ailleurs, en plaquant, sans aucun discernement, un problème américain sur un morceau de culture grecque.
Mauvaise foi, anachronisme et bêtise crasse, mais pas seulement.
Jean Szlamowicz rappelle ainsi ce que les minstrel shows américains, haut lieu du black face s’il en était, ont eu d’émancipateur : « Prenons l’exemple des minstrel shows, spectacles américains, comiques et dansants du XIXe siècle, où gesticulaient des noirs en chapeau claque, mais aussi des blancs grimés en noirs. Ce genre théâtral est jugé aujourd’hui raciste par les représentations caricaturales qu’il présente. Ce jugement est fondamentalement anachronique parce qu’il est, justement, un jugement. C’est-à-dire qu’on applique nos valeurs à une époque qui vivaient selon d’autres valeurs. Il se trouve que les minstrel shows ont été l’occasion pour la population afro-américaine de construire sa musique, de sortir de son rôle d’esclave ou de simple main-d’œuvre agricole pour atteindre le statut d’acteur, de chanteur, de danseur. Dans ce cadre artistique, le monde afro-américain s’est ainsi graduellement émancipé de sa condition pour en proposer une représentation qui est devenue un espace d’expression. Par là-même, cette expression a donné voix à une revendication sociale. Le gospel, le jazz, le blues ont été non seulement des créations issues de cette condition sociale ségréguée, mais le lieu d’échange sociaux qui ont, in fine et conjointement à d’autres facteurs sociaux, permis la mixité. Un tel processus n’est ni intentionnel, ni prévisible. Si l’on appliquait une lecture morale de l’histoire, il faudrait fustiger le jazz d’être issu d’une société raciste et ségrégationniste. Une telle lecture reviendrait à appliquer un manichéisme de principe. ». Une analyse qui ne risque pas de plaire à Tochi Onyebuchi [Pour en savoir +].
D’une manière plus générale Jean Szlamowicz montre l’intention malveillante qu’il y a à transformer une différence — qui peut avoir des causes très variées — en inégalité et, de là, y voir une « discrimination ». Il s’agit pour les wokes de proposer une lecture uniquement victimaire du social, laquelle lecture a pour effet de créer des antagonismes. Beau raisonnement circulaire qui se propose de trouver des victimes, en les créant de toute pièce.
Il rappelle en sus que le wokisme est une importation dont la formule est étasunienne. Certes ripolinée au marxisme anti-occidental (avec l’aide de quelques philosophes français des seventies).
Ce wokisme made in America a trouvé un terreau très fertilisant grâce à l’islamo-gauchisme bourgeois hexagonal.
Un échange de bons procédés en somme, puisque la papesse du néoféminisme, Judith Butler ira jusqu’à « affirmer que les femmes afghanes, qui retiraient leur burqa après la chute des Talibans, étaient des “collabos” des Américains ».
Rien qui ne soit finalement capable de nous surprendre, compte tenu des propos tenus par nos champions de l’islamo-gauchisme, suite à l’attaque terroriste du Hamas en Israël.
La bonne nouvelle c’est que le sectarisme jusqu’au-boutisme qui anime cette mouvance « intersectionnelle », est par nature cannibale. Ce qui m’a fait dire que si le marxisme c’est la lutte des classes, le wokisme c’est la lutte des places.
La mauvaise c’est que l’adhésion de la quasi-totalité de l’intelligentsia médiatico-politique aux thèses véhiculées par le wokisme fera de nombreuses victimes et des torts considérables avant de disparaitre.
Reste à lutter pied à pied, et des ouvrages telles que celui de Jean Szlamowicz ne sont pas de trop dans cette guerre culturelle (dont on se garde bien de dire le nom).
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