C'est un étrange livre que voilà.
Il s'agit d'une enquête consacrée pour l'essentiel à Pierre Goldman. Quelqu'un dont je gardais un souvenir extrêmement flou - que la médiatisation d'un film, Le Procès Pierre Goldman, réalisé par Cédric Kahn, m'a remis en mémoire ; d'où mon intérêt pour ladite biographie de Michaël Prazan. Un écrivain dont l'essai sur L'Armée rouge japonaise [Pour en savoir +] m'avait vivement intéressé.
Vladimir Boukovski (2005)
C'est donc sous la forme romanesque, à l'injonction de Prisca Bachelet, une proche de Goldman : « Si vous voulez parler de Pierre, vous devez en faire quelque chose de personnel. C’est un roman qu’il faut écrire. », que se présente « Pierre Goldman, le frère de l'ombre ». Mais un roman étayé par beaucoup de rencontres et autant de témoignages. Bref un travail d'enquête qui semble aussi sérieux que celui sur l'Armée rouge japonaise.
« Pierre Goldman, le frère de l'ombre » dessine tout au long de ses presque 300 pages un portrait bien peu flatteur du martyre de la Gauche, assassiné en 1979.
Si Pierre Goldman semble vivre sous le lourd héritage héroïque de ses parents, il ne cache pas non plus son admiration pour Meyer Lansky figure du crime organisé étasunien.
Son parcours fait de militantisme et de braquages qui tourneront aussi mal que lui, gardent la violence comme leitmotiv. Lui qui ne se considérait pas comme français, mais comme « Juif polonais né en France ». Qui remerciera, témoignage parmi d'autres de son égoïsme et de son narcissisme, Simone Signoret,
laquelle s'était pourtant personnellement impliquée, lors de son second procès, dans le comité de soutien qui s'était alors créé, avec réticence : « Quand Pierre est sorti, je lui ai dit : “La moindre des choses, ce serait
quand même d’aller saluer Simone Signoret, et de la remercier. Elle ne te connaît pas, elle ne t’a jamais vu, et elle a fait tellement pour ta libération… – Moi je n’ai rien demandé ! m’a répondu Pierre. Qu’est-ce que j’irais foutre avec Simone Signoret ?” Je crois qu’il est allé chez elle contraint et forcé. » dixit Alain Krivine.
Toutefois être un type infréquentable ne fait pas de vous un meurtrier, quand bien même auriez-vous reconnu plusieurs attaques à main armée, ou le projet d'un kidnapping (celui de Jacques Lacan).
« Ne croyez pas qu'un homme soit coupable d'être ce qu'il est ni qu'il ne dépende que de lui d'être autrement. Autrement dit, ne le jugez pas. [...]
Soyez partiaux. »
Oswald Baudot, figure du Syndicat de la magistrature, in Harangue à des magistrats qui débutent, 1974
Si Michaël Prazan apporte un témoignage à charge d'un des amis de Pierre Goldman, maître Kiejman, l'avocat de Goldman explique de son côté que « le procès a été cassé [..] sur un motif qu’habituellement elle rejette. Le procès-verbal, qui enregistre le déroulement des débats au cours de tout procès d’assises, n’avait pas été signé par le greffier, ou plus exactement n’avait pas été daté. ». Même lui fait part, en quelque sorte, de ses doutes sur cette affaire.
Ajoutez une énorme mobilisation de la « gauche brahmane», mais aussi de gens que l'on ne pouvait taxer de gauchiste. Ainsi Jean Dutourd, affirmait-il sans se soucier du ridicule ni des victimes : « qu’avec le talent littéraire de Goldman, on ne pouvait pas être coupable ». Et vous parvenez à un verdict qui n'est pas vraiment une surprise.
D'autant que Pierre Goldman ne perd pas son temps en prison puisque, pendant sa détention, il obtient une maîtrise d’espagnol, une licence de philosophie, et prépare en cette matière une thèse de doctorat. Sans oublier l'écriture d'un premier roman Souvenirs obscurs d’un Juif polonais né en France. Qui se vendra à 60 000 exemplaires, sera versé au dossier, et utilisé comme pièce à conviction lors du second procès.
L’Ordinaire Mésaventure d’Archibald Rapoport, son second roman paru en septembre 1977, ne le sera évidemment pas. Mais ceux qui l'ont lu, et qui connaissait le dossier n'ont pas manqué de s'étrangler. Il laissera un goût amer à la plupart de ceux qui ont soutenu Pierre Goldman dans l’affaire de l’assassinat des pharmaciennes, écrit Michaël Prazan.
Georges Kiejman est de ceux-là : « Évidemment, pour ceux qui avaient soutenu Pierre Goldman, cela a été un drame. On s’est demandé si ce n’était pas un aveu déguisé, n’obtenant de sa part qu’un haussement d’épaules. Cette démarche a d’ailleurs éloigné certains de ses amis qui avaient été ses soutiens les plus forts, comme Philippe Boucher du Monde. Tant de gens s’étaient passionnés en faveur de Pierre Goldman innocent, que ce premier livre écrit après sa captivité, qui consiste à prendre pour héros un homme qui clame son innocence mais qui n’est pas innocent, cela avait de quoi troubler. ».
Or donc, la chose est entendue, Michaël Prazan ne croit pas beaucoup à l’innocence de Pierre Goldman. Dont acte.
Jusqu'à ce que le dernier chapitre, évidemment intitulé « Pour conclure », donne à l'ouvrage l'étrangeté que j'évoquais au début de ma critique.
Michaël Prazan s'y lance dans une comparaison, celle de sa génération (qui est par ailleurs aussi la mienne) avec celle de Goldman. « Ma génération » dit-il, « a horreur du risque. Elle préfère la simplification et la caricature, l’amalgame, pour tout dire l’imposture ». Puis il revient à Pierre Goldman et à ce qui les lie tous les deux ; notamment d'être, lui aussi, « un juif polonais né en France ». Et Pierre Goldman est pour notre auteur « un grand frère, un frère de l’ombre ».
Comprenne qui pourra, compte tenu de tout ce qui précède.
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