C’est à une histoire peu connue, voire totalement méconnue, à laquelle nous convie de nous intéresser Michaël Prazan dans son essai au titre pour le moins très explicite « Les Fanatiques : histoire de l'armée rouge japonaise » paru au Seuil™ en 2002.
Un mouvement d’extrême-gauche supplémentaire me direz-vous, comme en ont enfanté les années 1960, et plus précisément 1968 - année révolutionnaire même au Japon !
Certes.
Mais ce qui caractérise ce mouvement contestataire étudiant c’est l’internationalisation de ses actions, induite il est vrai par un traité de défense renouvelé en 1960 qui lie le Japon et les U.S.A. (Anpo), notamment en ce qui concerne l’aide apportée de l'archipel nippon durant la guerre du Vietnam.
Rapidement en effet l’Armée rouge japonaise (ARJ), du moins certains de ses membres, rejoindront les camps d’entraînement du Front pour la libération de la Palestine (FPLP) sis dans la plaine de la Bekaa au Liban. Ceux-là, ou d’autres recrutés plus tard, feront ainsi équipe avec le terroriste Carlos (alias Ilich Ramirez Sanchez).
Mais surtout l’ARJ exécutera le premier attentat-suicide du terrorisme mondial jamais perpétré.
Ce qui fera dire à Mouammar Kadhafi, alors au pourvoir en Lybie, au lendemain du 30 mai 1972 : « que les opérations de Fedayin ne soient pas seulement pratiquées par des Japonais : pourquoi les Palestiniens ne seraient-ils pas capables d'exécuter de telles opérations ? On les voit écrire plein de théories dans des livres ou des magazines, mais ils sont incapables de pratiquer des opérations aussi courageuses que celle effectuée par des Japonais venus de l'océan Pacifique. ».
On connait la suite, (pour info, le mot fedayin signifie littéralement « prêt à se sacrifier »).
Funeste rappel de ce que les jihadistes islamiques devaient à l’ARJ et à l’attentat de l’aéroport de Lod (devenu l’aéroport international David-Ben-Gourion) ; juste après des attentats du 11 septembre 2001, un appel téléphonique revendiquera l’attaque terroriste des deux tours jumelles du World Trade Center au nom de l’Armée rouge japonaise (voir infra l’extrait de l’édition spéciale du quotidien vespéral Le Monde® en date du 13 septembre 2001).
Mais « Les Fanatiques » ne fait pas que brosser à grands traits ce que le XXIème siècle doit aux mouvements étudiants japonais comme je le fais ici.
Il entre dans sa complexité ; raconte les purges délirantes dites « des chalets de montagne » de Nagano, les accointances du mouvement terroriste avec le cinéma « pink » (pinku eiga) ; une avant-garde dont le film le plus connu est le très célèbre L'empire des sens de Nagisa Ōshima, il n’oublie pas les crimes de droit commun pour financer la « Révolution », les prises d’otages (dont le seul but est souvent la libération de certains des membres de l'ARJ emprisonnés), l’extraordinaire mobilité des uns et des autres alors qu’ils sont pourtant recherchés par de nombreuses forces de police à travers le monde, l’enlèvement de japonaises pour servir d’épouses aux militants de l’ARJ réfugiés à Pyongyang, etc.
Mais surtout, cet essai témoigne de l’absence de regrets de la majorité, pour ne pas dire de la totalité, des membres de l’ARJ et de ses sympathisants, des années après les faits et la dissolution officielle de l’ARJ et de ses épigones.
Absence de regrets donc, de la part d’individus capables de tuer pour un idéal ; rien qu'on ne connaisse encore aujourd'hui.
Un récit glaçant, mais essentiel.
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