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Les Chiens jaunes [Alain Gandy]

C'est l'annonce du film Les Derniers hommes de David Œlhoffen qui m'a aiguillé vers le roman d'Alain Gandy, intitulé « Les Chiens jaunes1991 », dont il est une (très) libre adaptation. 
Un projet cinématographique porté par Jacques Perin, le dernier avant qu'il ne décède. Et qui boucle la boucle, si je puis dire, puisque sa carrière avait commencé en 1965, dans le célèbre film de Pierre Schoendoerffer La 317e section
« Connais-tu une troupe où chacun choisit de faire ce qu'il veut au lieu d'obéir aux ordres du chef. » Adjudant Janicek 
            David Œlhoffen a donc travaillé à partir des idées de Jacques Perrin, qui au départ voulait faire un film en forme de flashback, où il aurait été question d'une identité usurpée et de la marche forcée d'une troupe de légionnaires, inspirée par la colonne Alessandri, cherchant à rallier la Chine au moment du coup de force japonais du 9 mars 1945 en Indochine
            Les péripéties indochinoises en forme d'Anabase370 av. J-C étaient en quelque sorte un hommage à la La 317e section. En plus d'être fondées sur des faits historiques attestés.
Sauf que là, la troupe en question est formée de légionnaires alcooliques sous les ordres d'un adjudant qui ne l'est pas, et qui cherche à sauver leur peau malgré eux. Une idée reprise de « Les Chien jaunes » donc, le roman d'Alain Gandy, dont David Œlhoffen avance dans un entretien que ce dernier aurait fait partie de la célèbre quoique méconnue colonne d'Alessandri du nom du colonel Marcel Alessandri - forte de 5 700 hommes dont 3 200 autochtones - dont la retraite est historiquement documentée. Ce en quoi il se trompe. 
Quand les hommes écrivaient leur légende
            Alain Gandy est le pseudonyme d’André Gandelin, ainsi que son nom de légionnaire (selon la disposition dite de l'identité déclarée). 
Il est né le 29 septembre 1924 dans le 6e arrondissement de Paris
En 1942 il devient élève à l'ESM d'Aix-en-Provence (qui est en fait l’École spéciale militaire (ESM) de Saint-Cyr, repliée dans la capitale historique de la Provence), avant de rejoindre le réseau Marco dans la Résistance française en 1943. 
En décembre 1944 il intègre l'EMIA de Cherchell, en Algérie, créée à la suite du débarquement allié en Afrique du Nord. Il est nommé sous-lieutenant en octobre 1945. 
Et, alors que le 11 septembre 1945 la colonne Alessandri entame sa longue marche, André Gandelin, son patronyme de baptême, est un tout jeune lieutenant qui n'ira en Indochine que deux ans plus tard. 
Toutefois, en 1949, il est nommé aide de camp du général Alessandri, d'où peut-être la confusion de David Œlhoffen. Mais c'est peu probable, puisque le réalisateur reconnait sa méconnaissance de ce pan de l'Histoire coloniale, comme la plupart d'entre nous à dire vrai. 
            Il n'en reste pas moins qu’après différentes affectations André Gandelin est détaché aux affaires indigènes au Maroc en 1957, où il connait de graves soucis avec sa hiérarchie, lesquels aboutissent finalement à sa réforme militaire. Sans que j'en sache plus. 
Revenu à la vie civile, il créé une société de sécurité en Algérie, avant de rejoindre la Légion étrangère en 1959 en tant qu'homme du rang. À 35 ans, ce n'est pas rien ! 
Après 21 ans 1/2 de service, il sera rayé des contrôles, selon la formule consacrée, en 1980 avec le grade d'adjudant-chef, plusieurs affectations autour du monde, un passage dans les rangs du 1er REP, et déjà des articles pour le magazine de la Légion Képi Blanc qu'il écrit dès 1969. 
            C'est donc à l'occasion de son engagement dans la Légion étrangère qu'il prendra comme le veut la tradition, une nouvelle identité ; celle d'Alain Gandy. 
Revenu à la vie civile avec pléthore de décorations et un total de 36 ans 1/2 de carrière sous les drapeaux, il démarre alors une nouvelle vie dans la République des Lettres, grâce notamment à Erwan Bergot ex-militaire & écrivain, et les éditions des Presse de la cité™. 
Ses livres se partageront entre des romans d'essence militaire, des essais - toujours sur la chose militaire, mais aussi une longue série de romans policiers consacrés au gendarme Joseph Combes
André Gandelin alias Alain Gandy s'éteint le 22 décembre 2015 à Aix-en-Provence, là où il avait, 73 ans plus tôt, commencé une carrière militaire pour le moins mouvementée. 
« L'affirmation critique selon laquelle l'idéologie dominante patriarcale continue d'être l'idéologie dominante d'aujourd'hui EST l'idéologie dominante d'aujourd'hui. » Slavoj Zizek 
            Au moment où commence « Les Chiens jaunes », en mars 1945, au Centre de Repos légion de Khong-Khéou, le Japon qui occupe l'Indochine, une vaste colonie française alors composée du Vietnam, du Laos, du Cambodge, mais aussi d'une portion de territoire chinois située dans l'actuelle province du Guangdong, pour une superficie de 750 000 kilomètres carrés est complétement isolé de la Métropole depuis Pearl Habror
C'est l'amiral Decoux, nommé par Vichy qui s'efforce d'y maintenir la souveraineté française.
L'adjudant Janicek pressent que le satu quo avec le Japon ne va pas durer. Aidé par le caporal-chef Italie, dit Rital et de l'infirmière Jeanne Orival il convainc le médecin-lieutenant Aubrac de tenter de rallier, avec les patients les plus vaillants du centre de repos la Chine de Tchang Kaï-chek avant que ça ne tourne au vinaigre. Ou plus exactement à la décapitation de masse. 
Non pas que les pensionnaires de Khong-Khéou puissent représenter un quelconque problème militaire pour l'Armée impériale du Japon.
Leurs « réflexes longuement émoussés par l'alcool » et leur état de santé en fait plus une charge qu'autre chose.  
Même si les faits historiques lui donneront raison puisque c'est 3 000 civils et militaires qui seront massacrés en moins de 6 mois par l'armée de l'empereur.
En tout état de cause, l'adjudant Arno Janicek met en branle sa troupe d'alcooliques, qui gagnera au passage le surnom de « Drink colonne », direction la Chine
            Dans un des entretiens qu'a donnés le réalisateur de Les Derniers hommes celui-ci déclare, à propos des personnages de « Les Chiens jaunes » : qu' « Ils sont issus du patriarcat.» Ça commence bien n'est-ce pas ?! 
« C’est-à-dire qu’il y a des hommes qui sont censés être forts, assurer, être des modèles… en fait ils n’y arrivent pas. C’est à mon avis le signe de cette espèce de système patriarcal, qui arrive, en tout cas dans ces représentations, à bout de souffle. Je pense qu’on est toujours dans un système patriarcal [..] ». 
Un discours plutôt étonnant pour quelqu'un qui a côtoyé, pour les besoins de la préparation de son film, les légionnaires du 3e régiment étranger d'infanterie (REI), dont dépend le Centre d'Entraînement à la Forêt Équatoriale (CEFE), sis sur les bords du fleuve Approuague en Guyane (où a d'ailleurs été tourné son film).
Et qui semble surtout oublier le contexte du roman de Gandy ; ce qui n'augure rien de bon pour son propre film.
Il enfonce le clou de la vertu ostentatoire en analysant le rôle de Jeanne Orival, dit « Moiselle », l'infirmière qui accompagne la troupe de 25 hommes, commandée par Janicek : « elle était l'aimant de tous les stéréotypes machos et sexistes. ».
Ce qui est totalement faux. Elle est au contraire un personnage complexe et profond ; qui non seulement sait faire face aux hommes, mais aussi à la forêt. En plus d'apporter son soutien médical à ceux qui en ont besoin, c'est-à-dire toute la troupe.
Cela dit, en ce qui concerne son propre récit, David Œlhoffen a trouvé la solution pour éviter les stéréotypes machos & sexistes : il n'y a pas de rôle féminin.
Il fallait y penser.   
            Reste qu'en effet « Les Chiens jaunes » est un roman qui prend en compte le contexte de son histoire, et qu'il ne la sacrifie pas à l'idéologie (du moment).
Mais regarder - dans le rétroviseur - l'Histoire et ses artefacts, ici donc un roman, avec les lunettes d'aujourd'hui, qui plus est, aux verres corrompus par la bienveillance progressiste (attention faux-ami), donne les résultats que l'on connait.
Il n'est qu'à voir le sort que les Britanniques viennent de réserver au film Mary Poppins1964 pour s'en convaincre.  
            En définitive, « Les Chiens jaunes » est un superbe roman d'aventure, dont la fin, en plus d'être magnifique, permet, avec quelques ajustements minimes d'en faire un prequel au roman de Pierre Schoendoerffer, L'Adieu au roi. Une manière de boucler, aussi pour moi, une boucle. <sourire>
Cela étant dit, Alain Gandy a désormais rejoint la liste de mes auteurs favoris, et à lire !    
Merci monsieur Œlhoffen (même si je doute jamais regarder vos films).  

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