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Sous la lumière cruelle (sic) [Daniel Woodrell / Frank Reichert]

Cela avait assez mal commencé.
            J'avais en effet dans l'idée de lire un roman de « polar rural » ou Country Noir, un sous-genre que j'affectionne particulièrement. De préférence d'un auteur que je ne connaissais pas.
Le synopsis de « Mon Territoire » de Tess Sharpe semblait réunir ce que j'avais envie de lire.
Las ! 
            Si Tess Sharpe semble assez mal à l'aise avec la moralité d'un protagoniste tel que son héroïne (qu'elle a pourtant créé), elle verrouille ainsi tout ce qui pourrait la faire passer pour un personnage détestable, et surtout, elle abuse des expository lumps comme on dit chez elle, autrement dit de longs tunnels explicatifs qui plombent sérieusement l'histoire. 
Si l'adage du « show don't tell » est parfois abusif, pour le coup il se serait sûrement révélé positif.  
            Bref, après avoir tenté de passer outre tous ces désagréments, j'ai jeté l'éponge.
Et je me suis tourné vers « Sous la lumière cruelle », un titre prémonitoire, même si - bien sûr - je ne le savais pas encore. 
Là aussi, pourtant, ça commençait mal, avec un 
« détective » décidément toujours malvenu à mes yeux. 
De fait si « detective » est un grade de la police aux États-Unis, chez nous, en tout cas chez moi, il est immédiatement associé à la fonction de détective privé. C'est comme « officier » qui désigne toujours aux U.S.A. un agent de police, et non pas un officier, terme qui désigne en France une position hiérarchique d'autorité. Bon pour le coup dans « Sous la lumière cruelle » il y a bien un officier, qui a le grade de capitaine. Donc rien à dire de ce côté-là.
Mais pour le détective en question, un « enquêteur » en lieu & place d'icelui aurait été le bienvenu, puisque le personnage dont il s'agit appartient à la police, et n'est donc pas un (détective) privé.
            Par contre, traduire littéralement des mots comme 
« pounds » en « livres », s'agissant de la masse d'un corps : « tendue de deux cents bonnes livres de voile musculeuse », avait fini par me focaliser entièrement sur le travail de traduction plutôt que sur l'histoire. D'autant que l'histoire se déroule en 1981 (il est fait allusion aux Aventuriers de l'Arche perdue que quelqu'un est allé voir au cinéma), et qu'en France on ne parle plus de livres depuis belle lurette. Si ?!
Au point (sic) que je croirai que Frank Reichert avait encore une fois littéralement traduit « inch » en « pouce » dans la phrase : « Le bout de son cigare arborait une cendre d’un pouce de long » alors que la V.O disait  « The end of his cigar had a thumb of ash on it ». Au temps pour moi !
            Alors oui, je me suis tourné vers la version originale après être tombé sur 
« Son revolver reposait à l’autre bout du divan et Jewel s’en empara. C’était un automatique, avec chargeur de douze balles, à canon lilliputien et crosse quadrillée. ».
Hormis le Mateba™, modèle 6 Unica™ qui est le seul revolver semi-automatique jamais mis en circulation (à ma connaissance), et qui par ailleurs ne possède pas un chargeur mais un barillet, j'avais de gros doutes sur la traduction.
            Quand je lis des polars ou des romans noirs, j'ai toujours en tête, quelque part ce que disait Jean-Patrick Manchette : « j’estime la précision technique nécessaire à l’écriture, dans la Série Noire. », alors certes on n'est pas dans une Série Noire™, mais justement. 
Il me semble que François Guérif, grand Manitou de Rivages™ à l'époque de la sortie de « Sous la lumière cruelle » (et qui traduit d'ailleurs une courte préface de James Ellroy dans ledit roman de Woodrell) s'était lancé dans l'édition en réaction à la manière qu'avait la Série Noire™, à une époque, de traduire les romans de (mauvais) genres : réduction drastique du texte, disparition de la psychologie (d'où la fausse impression d'une domination de romans dits comportementalistes), des titres humoristiques sans rapport avec les titres originaux, omniprésence de l'argot, etc.).
Tout ceci pour dire que je ne m'attends pas, lorsque j'achète et que je lis des livres commercialisés par Rivages™, à trouver ce genre d'erreur(s).
            D'autant que la déconvenue sera pire encore lorsque j'aurais la version originale sous les yeux. 
Puisque foin de revolver ou de pistolet, Daniel Woodrell y décrit un « shotgun »,  c'est-à-dire un fusil à pompe. Plus étonnant encore le traducteur confond le calibre « twelve-gauge » avec la contenance du magasin. Voici la phrase originale  « His shotgun leaned against the other end of the couch and Jewel whisked it up. It was a twelve-gauge pump with a midget barrel and a chopped stock. » et la version française : « Son revolver reposait à l’autre bout du divan et Jewel s’en empara. C’était un automatique, avec chargeur de douze balles, à canon lilliputien et crosse quadrillée. ».
Si le « canon lilliputien » est plutôt bien vu compte tenu de la manière dont s'expriment les personnages du roman ; la crosse - plutôt que d'être striée, est ici (comme le canon d'ailleurs) sciée. Pour plus de discrétion. Car Jewel s’apprête à commettre un assassinat.
          Alors oui, sur 200 pages de traduction tout cela peut paraître assez bénin (même si pour moi ça ne l'est pas), reste qu'il s'agit d'un travail de professionnel, et que « Sous la lumière cruelle » n'est pas offert pro bono. 
Et surtout, l'histoire du revolver m'est apparue en lisant la traduction, et certainement pas en comparant une à une les pages de l'édition Rivages™ avec celles de la V.O..
Et en lisant plus avant le version originale, je crois bien avoir vu que le traducteur a confondu des vêtements qui traînent par terre avec un tapis. <soupir>
            En définitive, cette accumulation d'approximations, assez incompréhensible compte tenu que rien dans tout ça ne présentait de difficultés, entache définitivement le travail du traducteur, et laisse entrevoir un travail d'édition tout aussi bâclée. 
            Il est des coïncidences plus difficiles à croire que d'autres.
Ainsi, « Sous la lumière cruelle » (de la traduction, serais-je enclin d'ajouter) est précédée d'un exergue attribué au boxeur Joe Frazier [Pour en savoir +] :
Il peut arriver que l’on mijote une tactique de combat ou une tactique de survie, et qu’au moment de passer à l’action, les choses ne se déroulant pas forcément comme prévu, on se retrouve à la merci de ses seuls réflexes, autrement dit de l’entraînement suivi. Si vous avez mégoté sur l’effort dans les petits matins blêmes, c’est sous la cruelle lumière des projecteurs que ça vous retombera dessus.
Prémonitoire disais-je.
 

         
 
 
 

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