Accéder au contenu principal

Streets of Glory [Garth Ennis / Mike Wolfer / Benjamin Rivière]

La fascination de Garth Ennis pour les durs-à-cuire et les histoires de guerre n’est plus à démontrer. 
Toutefois, cet amour irréfragable pour ce que les progressistes (attention faux-ami) appellent la 
« masculinité toxique » n’est pas sans danger(s). 
Surtout dans le monde de la culture de masse. Et Ennis l’a  bien compris. Depuis longtemps.
Il donne donc des gages de soumission à l’Empire du Bien®, pour ne pas finir comme Chuck Dixon ou Mike Baron. Comment lui en vouloir !
« Streets of Glory » en est un bel exemple. 
« J'aime les westerns depuis que je suis assez vieux pour respirer », 
déclare Garth Ennis. 
• De quoi parle «
Streets of Glory » ? 
            Nous sommes en 1899, dans l'État du Montana
Joseph Dunn, arrive dans la ville de Gladback. C’est, nous l’apprendrons de la bouche de son meilleur ami, Tom McKinnon ex-sergent-major et actuel propriétaire d’un saloon, un ex-colonel de l’armée nordiste, qui a ensuite participé aux « guerres indiennes », et qui est même devenu par la suite ,
« homme de loi ». 
Un archétype de « l'homme de la Frontière » dans toute sa splendeur.
Il vient retrouver Shelley, une femme qu’il a aimée il y a presque 20 ans. Elle est à ce moment-là médecin, veuve, et elle a une fille de 19 ans. » sourire « 
En même temps que Dunn, arrive Charles Morrison, un promoteur qui travaille à l’expansion du chemin de fer. 
À la fin du deuxième numéro de la mini-série (qui en compte au total six), apparaît Red Crow, un Apache particulièrement cruel, avec qui Joe Dunn a justement un vieux contentieux. 
Le décor est planté, les personnages sont prêts. 
• Ce n’est pas si simple. 
            Avec un tel résumé, n’importe quel amateur de récits sévèrement burnés sait que la sueur n’épargnera ni le sang ni la poudre. Et Garth Ennis ne trahit pas ses promesses. 
Sauf qu’il parsème son histoire d’un peu trop de bienveillance ostentatoire. 
            Il faut dire que le scénariste naturalisé américain en 2016, entretien avec la virilité une relation compliquée. 
Par exemple, dans une interview qu’il a accordée à Bruce Tringale, il s’emmêle les biceps à propos de John Wayne, dont il avait fait le Jiminy Cricket de Jesse Custer dans sa série Preacher
W
ayne est, je le rappelle, surtout aux États-Unis, le parangon de la masculinité toxique. Il est considéré comme un suprémaciste blanc, homophobe, sexiste et va-t-en-guerre. Bref l’homme à abattre pour l’intelligentsia américaine (je ne précise pas de gauche, a-t-on déjà vu un brin d’intelligence à droite ?). 
Difficile dès lors pour Garth Ennis de s’en sortir sans se renier, et sans se soumettre aux diktats de la bien-pensance et du wokisme. Et il n’y arrivera pas, sa défense est même assez pitoyable : « Ouais, chaque génération sait les conneries [que John Wayne] a pu débiter en interview. Mais pour moi, il est avant tout Marion Morrison, le mec qui jouait John Wayne dans ses films. Le vrai John Wayne n’a jamais existé, c’était un mythe américain moderne, une légende vivante de l’époque. » Ok bobo! 
            Sur le wokisme c’est encore plus lunaire, c’est simple le « mot woke est une diversion » dit-il dans la même discussion ; à ce niveau de déni, pas la peine d’argumenter. 
Il faut dire que pour continuer à travailler dans l’industrie de la bande dessinée américaine, il n’y a pas 36 solutions. Soit il faut du courage comme en font preuve des gens comme Chuck Dixon ou Mike Baron, pour ne citer que des scénaristes qui œuvrent dans le même créneau viriliste que lui. Au risque d'être étiqueté du label Comicsgate®, l'équivalent du Bund germano-américain version 2.0. 
Soit il faut ménager la chèvre et le chou, en sachant que la chèvre finit toujours par manger le chou. 
• Ce que je pense de « Streets of Glory »
            Eh bien c’est plutôt pas mal. 
Ah ouais ! Tout ça pour ça !? 
Bon, je m’explique. 
            Avatar Press™ l’éditeur américain chez qui est parue cette histoire, était alors le digne représentant d’une veine de comics que l’on appelle les « Outlaw comics », lesquels se caractérisent par une diffusion underground, de la violence physique explicite et spectaculaire, et du sexe qui se marie souvent avec la violence déjà citée. 
La masculinité y est comme de juste, extrêmement toxique, et il y a souvent plusieurs « femmes dans le réfrigérateur », si je peux me permettre de citer l'inénarrable Gail Simone.
            Or donc, hormis le traitement des femmes, plutôt indépendantes et pas peu violentées, « Streets of Glory » coche toute les cases du mauvais goût viril. 
• Mais alors où est le problème ? 
            Eh bien, il y a un manque cruel d’originalité, alors que les éléments en présence auraient pu facilement y concourir. 
Et je crois que c’est en partie lié à la bien-pensance. 
[Attention, la suite dévoile le dessous des cartes]
            En fin de compte en effet, aussi brutal que soit Red Crow, il n’est que le bras armé du promoteur véreux, Charles Morrison. Alors qu'il aurait pu être l’instigateur de ce qui les amène à Gladback
            Pourquoi Garth Ennis, plutôt que d’en faire un Indien « pathétique et alcoolique » parqué dans une réserve au Nouveau-Mexique n’en fait-il pas le cerveau derrière l’escroquerie au cœur de l’intrigue ? 
Certainement pour la même raison que même si Dunn a, par exemple, participé à la « Conquête de l’Ouest » en combattant les indiens, il n’a jamais utilisé de moyens déshonorants. 
Et le cruel Red Crow, pourtant un « sauvage [..] qui terrorise les Blancs » est finalement dans « Streets of Glory » une victime. Comme s'il ne pouvait pas être un vrai salaud !
Alcoolique, réduit à vivre dans une réserve, il est embauché par un homme Blanc pour faire ses basses œuvres. Plutôt paternaliste, non !?
Un homme Blanc qui se révélera être – évidemment - un lâche. 
Red Crow, est donc, finalement, une victime. Mais une victime héroïque.
Garth Ennis lui donne en effet une mort bien plus honorable que celle de Charles Morrison (on voit pour quel personnage penche le cœur du scénariste), et il le transforme en croque-mitaine. Ce qui est d’ailleurs assez bien vu. 
            Comme souvent chez Garth Ennis ses scénarios mettent au jour un dilemme entre ce qu’il aime, et ce que la moraline des tenants du capital culturel réprouve. 
« Streets of Glory » souffre un peu trop de ces concessions, surtout qu’Avatar Press™ avait la réputation de laisser une complète liberté éditoriale à ses auteurs. 
            Reste le cas Mike Wolfer, lequel n’est déjà pas l’un de mes dessinateurs favoris, et qui, malgré les louanges de son scénariste, livre ici un travail complétement bâclé. 
C’en est presque douloureux. » rire « 
            D’un autre côté, le scénario d’Ennis, aussi soumis qu’il soit, contrairement aux apparences, au politiquement correct, est suffisamment bon, pour m’avoir emmené au bout de cette histoire. 
En plus, les western de durs-à-cuire ne courent pas si souvent les rues pour que je ne fasse pas quelques concessions aux auteurs qui s'y frottent. 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

The Words

... The Words ( Les Mots ) est un film qui avait tout pour me séduire : le roman en tant qu'élément principal, des acteurs que j'aime bien ; D ennis Q uaid, J eremy I rons, J . K . S immons et B radley C ooper. Éléments supplémentaire l'histoire se révèle être une histoire dans l'hisitoire. Ou plus exactement un roman à propos de l'écriture d'un roman, écrit par un autre ; entre fiction et réalité.  Je m'explique. Clay Hammon fait une lecture public de son dernier livre The Words dans lequel un jeune auteur, Rory Jansen , en mal de reconnaissance tente vaille que vaille de placer son roman chez différents éditeurs. Cet homme vit avec une très belle jeune femme et il est entouré d'une famille aimante. Finalement il va se construire une vie somme toute agréable mais loin de ce qu'il envisageait. Au cours de sa lune de miel, à Paris , son épouse va lui offrir une vieille serviette en cuir découverte chez un antiquaire, pour dit-elle qu'

Juste cause [Sean Connery / Laurence Fishburne / Ed Harris / Kate Capshaw]

« Juste Cause 1995 » est un film qui cache admirablement son jeu.             Paul Armstrong , professeur à l'université de Harvard (MA), est abordé par une vieille dame qui lui remet une lettre. Elle vient de la part de son petit-fils, Bobby Earl , accusé du meurtre d'une enfant de 11 ans, et qui attend dans le « couloir de la mort » en Floride . Ce dernier sollicite l'aide du professeur, un farouche opposant à la peine capitale.   Dès le départ, « Juste Cause 1995 » joue sur les contradictions. Ainsi, Tanny Brown , « le pire flic anti-noir des Everglades », dixit la grand-mère de Bobby Earl , à l'origine de l'arrestation, est lui-même un africain-américain. Ceci étant, tout le film jouera à remettre en cause certains a priori , tout en déconstruisant ce que semblait proposer l'incipit du film d' A rne G limcher. La déconstruction en question est ici à entendre en tant que la mise en scène des contradictions de situations dont l'évidence paraît pour

Nebula-9 : The Final Frontier

... Nebula-9 est une série télévisée qui a connu une brève carrière télévisuelle. Annulée il y a dix ans après 12 épisodes loin de faire l'unanimité : un mélodrame bidon et un jeu d'acteurs sans vie entendait-on très souvent alors. Un destin un peu comparable à Firefly la série de J oss W hedon, sauf que cette dernière bénéficiait si mes souvenirs sont bons, de jugements plus louangeurs. Il n'en demeure pas moins que ces deux séries de science-fiction (parmi d'autres telle Farscape ) naviguaient dans le sillage ouvert par Star Trek dés les années 60 celui du space opera . Le space opera est un terme alors légèrement connoté en mauvaise part lorsqu'il est proposé, en 1941 par l'écrivain de science-fiction W ilson T ucker, pour une catégorie de récits de S-F nés sous les couvertures bariolées des pulps des années 30. Les pulps dont l'une des particularités était la périodicité ce qui allait entraîner "une capacité de tradition" ( M ich