Steve Yeowell & Grant Morrison |
... En 1757 Edmund Burke théorise la catégorie du Sublime dans sa Recherche philosophique sur l'origine de nos idées sur le Sublime et le Beau (Philosophal Enquiry into the Origin of Our Ideas of the Sublime and the Beautiful).
Ainsi, l'idée du Sublime tel qu'on le pense généralement n'est pas l'extrémité du Beau, c'est-à-dire quelque chose disons de très beau, de magnifique, mais au contraire quelque chose qui s'oppose au Beau.
Le Sublime devient dés lors une catégorie esthétique dont les critères essentiels sont l'immensité, le grandeur et la terreur. L'horreur, la description de souffrances, peuvent ainsi plaire dans ce nouveau contexte intellectuel qu'est le Sublime. Un paysage de chaos, solitaire et mystérieux devient une source de plaisir. Selon Burke le degré le plus élevé du Sublime est atteint lorsque l'on juxtapose des extrêmes ; ce procédé de contraste est ici central dans la catégorie du Sublime que théorisa l'auteur.
Le Beau concerne les objets menus aux surfaces lisses, aux lignes droites ; le Sublime concerne les objets vastes qui rappellent la notion d'infini, les surfaces rugueuses, les lignes brisées, hautes, verticales qui donnent le vertiges, ....
Burke précise également que le sentiment visé par le Sublime est celui d'un plaisir négatif, que l'auteur définit comme étant le Délice (Delight) lié à l'éloignement ou l'atténuation d'une douleur mais dont on conserve néanmoins l'empreinte physique et qui reste a fortiori douloureuse ; d'ailleurs le Sublime procède d'un art de l'imagination : on croit voir plus qu'on ne voit.
Sebastian O #1 |
C'est sur cette catégorie esthétique que s'appuiera le roman gothique, à partir de 1764, dont les figures de proue seront Horace Walpole ou Anne Radcliffe. L'originalité de ces romans réside presque essentiellement dans les décors : vieux châteaux en ruine aux couloirs innombrables et sombres, landes désertes et sombres etc ...
Recette du roman noir/gothique :
Un vieux château dont la moitié est en ruine ; un long corridor avec beaucoup de portes dont plusieurs doivent être cachées ; trois cadavres encore tout sanglants ; une vieille femme pendue avec quelques coup de poignard dans la gorge ; des voleurs et des bandits à discrétion ; [...] Source. |
... Dans un récent droit de réponse sur un sujet qui tel un hoquet mal réprimé agite de temps à autre le microcosme de la bande dessinée anglo-saxonne Grant Morrison a révélé que sa mini-série Sebastian O était dans un premier temps une idée pour relancer le personnage de Janus Stark ; s'il en gardera les aptitudes qui lui permettront d'apparaître aux yeux de ses mécontemporains comme un "roi de l'évasion", la manière utilisée pour s'échapper de Bedlam sera très éloignée des techniques de son modèle.
Autre temps, autres mœurs.
Autre temps, autres mœurs.
Le temps, entendu comme période ou époque, est d'ailleurs une composante essentielle de cette mini-série, et il ressort de ce que l'on appelle le steampunk.
J'utiliserai ici ce terme dans la définition proposée par Daniel Riche : "le steampunk s'efforce d'imaginer à quel point le passé aurait pu être différent si le futur était arrivé plus tôt".
Sebastian O #1 |
La période de prédilection du steampunk a longtemps été l'ère victorienne, où l'on y croisait dans, cette perspective les automates de monsieur de Vaucanson animés des dernières prouesses de la robotique du XXème siècle ou presque, la vapeur y était le pétrole de cette époque, et la machine analytique de Charles Babbage n'avait rien à envier à nos ordinateurs domestiques.
Dans une certaine mesure le steampunk déplace les idée du cyberpunk au XIXème siècle ; l'un regarde vers le futur et l'autre vers le passé, à toute vapeur.
Une vapeur qui ne sera pas seulement le fruit de la rencontre de l'eau et du feu mais également de celle qui génère des paradis artificiels.
Nous verrons au fur et à mesure que Grant Morrison, le scénariste de Sebastian O va chercher dans les intertextes d'autres œuvres les traits qui donneront sa densité au récit ; la logique intertextuelle renvoyant bien évidemment à l'imaginaire collectif où, la qualité du sujet (ou de l'objet) cité ne vient pas de la fidélité à ce dernier mais plutôt de la cohérence du souvenir ou de l'imagination qu'il entretien avec.
Une vapeur qui ne sera pas seulement le fruit de la rencontre de l'eau et du feu mais également de celle qui génère des paradis artificiels.
Sebastian O #1 |
... Emprisonné suite à une arrestation arbitraire et par la grâce d'un jugement arrangé du moins selon lui, Sebastain O s'évade donc de son cachot après quelques années et, telle une flèche qui quitte l'arc aux formes de lèvres dans un jet décisif, part sur le chemin de la vengeance. Non sans avoir pris un bain et changé de vêtements.
Car Sebastian O est un dandy et par n'importe lequel.
L'univers intertextuel construit par Morrison renvoie son personnage à la figure emblématique d'Oscar Wilde.
En premier lieu en lui donnant le prénom que l'écrivain avait emprunté lors de son exil en France après justement sa peine de travaux forcés, puis en intitulant le premier numéro de son triptyque The Yellow Book référence au livre que lit Dorian Gray dans le roman Le Portrait de Dorian Gray. Un livre qui s'il n'est pas explicitement cité dans le roman de Wilde est sans nul doute le roman de Joris-Karl Huysman À Rebour, un livre dont l'atmosphère n'est pas étrangère à celle dans laquelle Morrison plonge ses personnages.
Car Sebastian O est un dandy et par n'importe lequel.
L'univers intertextuel construit par Morrison renvoie son personnage à la figure emblématique d'Oscar Wilde.
En premier lieu en lui donnant le prénom que l'écrivain avait emprunté lors de son exil en France après justement sa peine de travaux forcés, puis en intitulant le premier numéro de son triptyque The Yellow Book référence au livre que lit Dorian Gray dans le roman Le Portrait de Dorian Gray. Un livre qui s'il n'est pas explicitement cité dans le roman de Wilde est sans nul doute le roman de Joris-Karl Huysman À Rebour, un livre dont l'atmosphère n'est pas étrangère à celle dans laquelle Morrison plonge ses personnages.
Enorme billet, dans la grande tradition. 2013 commence bien.
RépondreSupprimerCependant, une petite précision : il me semble bien que la conception du Sublime que tu décris en t'appuyant sur Burke ne concerne exclusivement que l'approche anglo-saxonne de cette notion. La conception "européene classique" du Sublime, notamment celle de Kant, en fait bien une extrêmité du beau, une sorte de surcharge du sens exthétique. Il distingue même deux formes de Sublimes qui diffèrent par nature, mais correspondant tous deux à cette définition.
Ceci étant dit, tu m'as convaincu d'aller y voir car cette BD occupait patiemment une pile de lectures en attente, depuis trop longtemps...
Absolument, il s'agit d'une conception plutôt anglo-saxonne du Sublime, mais qui selon moi gagne à être découverte [-_ô].
SupprimerEn tout cas merci de ton appréciation et de ton passage. Et de tes précisions.