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Big Wednesday (John Milius)

Une anecdote circule au sujet du film de John Milius, alors qu'ils s’apprêtaient à sortir leur film respectif (La Guerre des Etoiles, Rencontre du Troisième Type et Big Wednesday) George Lucas, Steven Spielberg et John Milius  auraient fait un pacte : les bénéfices de leur film seront mis en commun et partagés en trois. Un sacré coup de chance pour Milius dont le film fit un flop contrairement aux deux autres.
Un vrai surfeur ne doit pas se laisser prendre au piège de la célébrité  Un vrai surfeur ne doit pas se sentir couper des siens. Il ne doit pas courir derrière les dollars, ni gagner toutes les compétitions. [..]
Midget Farrelly champion du monde de surf 1964 

... Big Wednesday est l'histoire de trois jeunes californiens dont la vie est rythmée par le surf ; on les découvre en pleine adolescence au cours de l'été 1962, et nous les suivrons jusqu'à un certain mercredi de l'été 1974.  
L'origine du surf se perd dans la nuit des temps et il n'est pas dans mon propos d'en retracer la généalogie, je m'attarderai seulement sur certaines étapes.
En 1866 Mark Twain visite les îles Sandwich (actuellement Hawaï) au terme d'un périple qu'il a commencé à Saint Louis ; dans son récit de voyage À la dure (Roughing It) il décrit la pratique du surf par les autochtones et sa propre tentative (infructueuse). Quelques années plus tard, c'est au tour de Jack London d'introduire dans l'imaginaire de ses compatriotes le surf : "J'ai essayé moi-même pendant une bonne heure, mais je n'ai pas réussi à persuader une seule vague de me conduire jusqu'au rivage !".
À partir de 1911, des observateurs font remarquer que l'on commence à manquer de place sur les vagues de Waikiki
Ce sont des gens comme George Freeth ou Duke Kahanamoku qui vont populariser la pratique du surf en dehors de l'archipel hawaïen au début du siècle.
Dés les années 20 des compétitions sont organisées à Waikiki ou sur le continent. Toutefois, cette activité reste somme toute assez confidentielle. 
1911
La première grosse vague de popularité va avoir lieu grâce à la combinaison de plusieurs facteurs. Un film pas spécialement inoubliable mais qui va contribuer de manière significative au succès du surf en 1959 Midget ; et deuxième facteur qui me semble important : la mousse de polyuréthane. Cette innovation technique allait permettre notamment de ne plus être tributaire de l'approvisionnement en balsa et donc de produire plus de planches. On peut ajouter à ces deux facteurs l'industrie du disque qui pour la première fois de son histoire va produire une musique créée à partir d'un sport, la surf music
Nous sommes dés lors à l'aube des années 60.

Une troisième vague aura lieu grâce au film The Endless Summer qui, déjà sorti depuis 1964 intégrera les réseaux de la grande distribution cinématographique en 1966 et suscitera un bel enthousiasme auprès du grand public.
À ce titre l'apparition du Surfer d'Argent dans ce qui allait devenir l'univers Marvel est me semble-t-il plutôt révélateur.
Le Surfer d'Argent par Jean-Yves Mitton

... Petit clin d’œil historique, à l'instar de Mark Twain parti de Saint Louis et découvrant le surf à l'issue de son voyage, John Milius quitte lui aussi Saint Louis (à l'âge de 7 ans) pour découvre lui aussi le surf. Cependant cela se passe au début des années 50 en Californie.

Big Wednesday est en partie écrit à partir de ses propres souvenirs et en partie à partir de l'histoire de Dennis Aaberg (co-scénariste du film) paru en 1962 dans The Surfer's Journal
Connu également sous le titre d'American Party, le film - découpé en quatre actes - raconte 12 ans de la vie de trois hommes : Matt Johnson, Jack Barlowe et Leroy Smith de l'adolescence à l'âge adulte en compagnie de leurs amis.   
Ce qui devait devenir un "style de vie" était tout simplement la façon dont nous vivions, sans y réfléchir.
Bruce Brown réalisateur de The Endless Summer

Si les années 60-70 sont particulièrement troublées, John Milius n'y fait guère référence (seulement en toile de fond) ; la guerre du Vietnam est traitée au travers des tests d'incorporation sur le mode burlesque, ou plus tristement lors de l'enterrement d'un des amis du trio. D'une certaine manière Milius utilise la technique d'Ernest Hemingway dite de l'iceberg, où l'écrivain connu pour sont style minimaliste se concentrait sur les éléments de surface sans explicitement discuter des thèmes sous-jacents. 
La scène du retour de Jack est à ce titre très significative.
C'est le quotidien et le houle qui rythment la vie des trois personnages principaux. Ainsi, si la guerre du Vietnam est citée elle n'est pas commentée. Le burlesque de la scène d'incorporation, dont certains passages tiennent pour le moins du film d'horreur quand même, est essentiellement l'expression dionysiaque du caractère des protagonistes et pas une critique du conflit. Connaissant John Milius je préciserai un dionysisme de droite [-_ô].
La confrontation de Matt avec un hippie, le seul du film, est tout à fait explicite.     
La jeunesse n'est pas une période de la vie,
elle est un état d'esprit, un effet de la volonté,
une qualité de l'imagination, une intensité émotive,
[...]
Général Mac Arthur

Récit initiatique, John Milius propose au travers de Big Wednesday une représentation ni pessimiste (c'est-à-dire qui verrait le pire partout), ni optimiste (qui verrait le meilleur dans chaque chose) mais tragique.
C'est-à-dire qui ne voit ni le meilleur, ni le pire ; ni le bien, ni le mal ; ni le bon, ni le mauvais ; mais le réel tel qu'il est. Le tragique invite à aimer ce qui est. 
Toutefois, les années que vivrons sous nos yeux les personnages ne seront pas de tout repos.
Or donc, corollaire de cette illustration, Millius fait à mon sens de ses héros des surhommes.
Ce surhomme (Cf. définition) dont je parle se situe aux antipodes des caricatures sociologiques et politiques qui en font une brute sans foi ni loi ; c'est une figure ontologique, métaphysique, athée, matérialiste et immanente. Une figure nietzschéenne.
Ceci dit, Big Wednesday est un film magnifiquement filmé, dont les acteurs sont particulièrement crédibles : au moins deux d'entre eux - Darrell Fetty alias Waxer et Gary Busey (dont la prestation dans Point Break prend une autre saveur quand on sait qu'il a joué dans Big Wednesday)  - seront préparé physiquement par Vince Gironda (un culturiste que j'apprécie particulièrement et qui a également entraîné William Smith qui jouera le père de Conan dans l'adaptation de Milius).
Vince Gironda

Le cinéaste c'est également entouré de la fine fleur du surf de l'époque dont Gerry Lopez (dans son propre rôle) que l'on retrouvera dans Conan et L'Adieu au Roi.
Les scènes de surf sont d'autant plus époustouflantes que la musique de Basil Poledouris (condisciple de Milius à l'USC) leur donne une dimension épique, on est très loin de la surf music ou du rock de l'époque, et de l'esprit hippie que l'on pourrait s'attendre à rencontrer.

Il est évident que la culture de John Milius se trouve plutôt du côté de John Ford, cinéaste clairement cité dans Big wednesday en ce sens qu'on a souvent dit que si Ford filmait des paysages naturels grandioses ils étaient cependant fermés. 
C'est-à-dire que l'on retrouvait à la fin du film un plan identique à un autre plan se situant lui au début, mais dont la signification avait entre temps changé sous l'action de l'histoire ; et c'est exactement ce que l'on trouve dans le film de Milius. Et ce n'est pas un hasard.
Bref vous l'avez compris, le troisième film de John Milius m'a fait fort bonne impression. Tant au niveau formel que sur un plan plus philosophique, si je puis dire.
Particulièrement dans le choix de proposer le surf en tant que sport analogique plutôt que digital (ce qu'il était pourtant déjà devenu depuis 1964, année du premier championnat du monde).
Je m'explique : le sport digital est de culture numérique (temps/classement, vainqueur ou vaincu, 1 ou 0) ; le sport analogique ne prend pas en compte de classement mais s’intéresse à la sensation, il est le domaine du libre-arbitre (là où le sport digital est sous la coupe de l'arbitre). Le sport analogique offre une relation connivente qui a pour vocation de perpétuer, et en aucun cas de dominer les autres.
Ces deux cultures (Cf. Gregory Bateson et Alain Loret) sont on s'en doute, tout à fait transposables à la vie de tous les jours, et il m'a semblé les voir à l'oeuvre dans Big Wednesday.        

Commentaires

  1. Tu n'aurais pas la source du pacte des trois réalisateurs par hasard ?
    Parce que dans les livres sur Spielby que j'ai, il n'est fait référence qu'à celui entre Lucas et Spielberg...y compris le dernier en date auquel Spielbeg a collaboré de près, précisant même qu'il recevait un chèque chaque semaine grâce à Star Wars.
    Bref, ça m'intéresse ( qui a dit que j'étais obsessionnel quand il s'agit de Spielby ? ) ;-)

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    1. En fait non, je ne peux pas sourcer précisément (c'est pourquoi je précise une anecdote)d'où vient cette histoire ; j'ai dû lire ça dans un magazine ou un bouquin un jour ou l'autre.

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  2. Très bon billet. Je crève désormais d'envie de voir ce film.
    Sans vraiment connaître Milius (mais j'adore "Magnum Force" et "Apocalypse Now", et bien sûr "Conan le barbare"), je présume que la connexion au nietzscheisme est parfaitement justifiée (et on pourrait dire même "nietzschéisme de droit"), n'oublions pas que "Conan" était ouvert par une citation du philosophe allemand ("ce qui ne te tue pas te rend plus fort"). Il est intéressant que cet aspect de la pensée de Milius se retrouve même dans un film de surf, qu'intuitivement on ne relie pas forcément à ce type de discours.
    Je me trompe peut-être, mais il me semble que ce que tu dis de Milius pourrait s'appliquer à un Werner Herzog, aussi.
    Bien vu pour le constat sur Ford, c'est une des choses essentielles qu'en dit un Deleuze, par exemple.

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    1. Sur la connexion avec Nietzsche elle me semble ici très évidente, cependant il est clair que j'ai aussi été influencé par Milius lui-même.

      Pour Ford c'est évidemment comme tu le remarques, au travers de Deleuze que je propose cette idée ; ou plutôt de ce qu'en on dit d'autres, étant assez imperméable au jargon deleuzien, trop compliqué pour moi.

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  3. "C'est le surf, ou la guerre." Le fait qu'un des membres de la mission d'Apocalypse Now soit champion de surf n'était donc pas fortuit. (Rappel, scénario de John Millius.)

    Quand à Nietzsche, ce philosophe nous aura au moins appris que la syphilis ne rend pas plus fort.

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    1. EN fait, si : si elle ne tue pas, la syphillis rend effectivement plus fort.
      Alfred de Musset avait écrit un court texte célèbre où il disait ne jamais s'être senti en aussi bonne santé que depuis qu'il avait vaincu cette maladie...

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  4. Super article !
    tout ça semble bien cohérent. Tu donnes envie de voir ce film. Je savais que Gerry Lopez/Subotai était une star du surf, mais je ne connaissais pas cette antériorité. Le père Milius semble y dérouler les mêmes thématiques que dans Conan : Le fameux acteur qui jouait le père de Conan (ainsi que le boxeur qui affrontait Eastwood dans "Ca va Cogner") explique au jeune Conan qu'on ne doit se fier ni aux hommes, ni aux Dieux, ni aux bêtes... mais dans le métal (de l'épée en l'occurence.

    C'est donc l'individu, accompli par sa seule volonté, qui est admirable. Idem ici. Une planche de surf est l'outil pour dompter les éléments, comme l'épée est l'outil de Conan pour qu'il impose sa loi aux hippies de la secte de Thulsa-Doom.

    Il n'y a donc pas de contradiction entre le surf (prétendument l'affaire de hippies progressistes), et les idées de droite. Depuis longtemps, le culte du corps et de la nature ont fait bon ménage avec les idées de droite.

    Je me rapelle d'articles dans Starfix (version 80's) décrivant Milius comme le "Le Pen d'Hollywood", arrivant en jeep et treillis sur ses tournages.

    Le raccourci paraît rapide. Milius est néanmoins un chantre de l'individu fort au milieu de la société ramollie, et pas un gauchiste, ça c'est un fait.

    Mais les références Nietzshéennes ne doivent pas limiter le bonhomme à un clivage politique Français, il me semble. Le dogme de l'individu tout puissant dépasse cette notion aux Etats-Unis. De Hawkeye (Dernier des Mohicans) à Jeremiah Johnson, les exemples de l'individu seul, comme résistant aux tentations fascistes de la société, sont légion dans la littérature et le cinéma dit d'action/aventure.

    D'ailleurs, Ron Cobb, génial dessinateur des années 60 et dont on pouvait voir les dessins politiques très à gauche dans la revue Actuel des années 70, a créé les décors de Conan. on le voit même proposer à Conan, lors d'une scène où celui-ci est ivre, des graines de Lotus Noir.

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    1. Merci de ton passage, très belle analyse, vraiment.
      Et tu soulèves des points qui me donnent à réfléchir.

      Merci !

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