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The Wrath of the Spectre !

Au milieu des années 70, dans Adventure Comics n°431, un personnage créé par Jerry Siegel & Bernard Baily (dans les années 40) fait sa réapparition (après avoir disparu dans une aventure de la Justice League of America en 1970) sous la houlette du scénariste Michael Fleisher et du dessinateur Jim Aparo ; un retour saisissant :
"Tout ce qui est réel laisse une cicatrice, et nous en avons tous"
Leann Morris

C'est à Joe Orlando, alors editor chez DC Comics que l'on doit en grande partie ce retour, ou plutôt à ce qui lui est arrivé lorsque accompagné de son épouse enceinte ils ont été attaqués par deux gamins de 14 ans à qui ils ont donné le contenu de leur portefeuille. Désemparé, sa femme hurlante et secouée de tremblements nerveux à ses côtés, Joe Orlando a ressenti la solitude et la colère qui doivent étreindre toutes les victimes.
Ses collègues le connaissent sous le nom de Jim Corrigan, le plus dur-à-cuire des flics de New York. Mais Jim Corrigan n'est pas seulement un flic de plus. C'est un homme mort ... un homme assassiné par des gangsters revenu d'outre-tombe pour combattre le crime avec des pouvoirs qui dépassent l'entendement. Cependant inutile de trembler gentil lecteur. Seule la vermine du monde interlope doux avoir peur du courroux du Spectre.
Si les aventures que va vivre le Spectre durant 10 épisodes sont le résultat d'une expérience douloureuse, celle de Joe Orlando et de son épouse, et d'une rencontre celle de l'éditor de DC Comics avec le scénariste Michael Fleisher ; c'est également l'étrange fruit d'une époque.
Adventure Comics #432
Les années 70 aux Etats-Unis c'est l'assassinat de Sharon Tate, le tueur du Zodiac, l'Armée de Libération Symbionaise, le fils de Sam. New York est alors surtout connu pour son taux de criminalité élevé qui en fait la ville la plus dangereuse du pays. Et pourtant, sa police est l'une des plus violente des U.S.A.
Le cinéma, au travers duquel on peut déceler parfois les tendances de l'air du temps d'une époque donnée, s'approprie l'ensemble de la problématique sécuritaire et produit des films tels que L'Inspecteur Harry, Magnum Force, French Connection ou encore Un Justicier dans la ville ; pour citer les plus connus.
Dans son ouvrage Tolérance Zéro consacré aux films de vigilantes, Fathi Bediar cite John Milius le scénariste de L'Inspecteur Harry : "Harry est un mal nécessaire au même titre qu'un avocat ; personne qui, elle aussi, est prête à tout pour arriver à ses fins sans se soucier de la conséquence de ses actes. Seulement, un avocat fait du droit sans se soucier de la justice. Alors qu'Harry donne dans la justice sans se soucier du droit. Aussi son cœur est toujours du côté de la victime [..]".
Un autre film de cette époque nous apporte également un éclairage sur ces années de braise.
Il s'agit d'Un Justicier dans la ville qui aurait dû être réalisé par Sidney Lumet, lequel voulait en faire un constat sur la radicalisation morale des new-yorkais.
Or donc, nous sommes dans un contexte propice à l'apparition d'une veine plus dure de héros, le Punisher apparaît d'ailleurs à cette époque (Quelques années plus tard le Punisher bénéficiera d'un traitement à la croisée de son propre parcours et de celui du Spectre sous le label Marvel Knights sous les auspices C. Golden & T. Sniegoski avant une reprise de G. Ennis).
Si l'alter ego du Spectre Jim Corrigan est décrit comme un flic hard-boiled, le Spectre est lui aussi un dur-à-cuir.
Il n'agit pas dans le monde éthéré de la magie à coup de formules magiques, ou celui de la fantasy mais au contraire dans une veine de réalisme dur et sordide. Les épisodes les plus réussis, de mon point de vue sont ceux qui le confronte justement à des criminels ordinaires.
Michael Fleisher confectionne avec art et habileté, aidé en cela par Jim Aparo un artiste visiblement doué dans la description de l'effroyable, des aventures qui stimulent affreusement nos bas instincts en jouant avec nos peurs et avec notre part d'ombre.
En outre je discerne dans The Wrath of the Spectre ! la rumeur fossile des Puritains du XVIIe siècle, ceux qui ont colonisé le continent et l'imaginaire collectif étasunien, traversant la brume électrique du Temps et fait du personnage principal le bras armé de leur Dieu vengeur, celui de l'Ancien Testament. Un retour aux sources dans tous les sens du terme en quelque sorte.
Les années 70, c'est aussi un assouplissement de l’autorité de contrôle des comic books (CCA), ce qui permet de voir par exemple reparaître sur la couverture de la revue le mot weird l'espace de quelques numéros, et surtout de lire des histoires dont certaines auraient pu paraître chez EC Comic avant 1954.  
   
   

Extrait de L'Histoire des comic books de Jean-Paul Jennequin
Le run de Fleisher & Aparo est excellent, certes un ou deux épisodes sont un peu plus faibles (mais seulement en regard de la force des autres), et la tentative de vouloir enrichir la distribution en créant des seconds rôle (au fort potentiel) est restée vaine compte tenu de la brièveté de la série - d'autant que chaque histoire ne bénéficie que de douze pages - la faute probablement à la polémique qui s'est créée autour du titre ; Harlan Elison (auteur de SF) a dit pis que pendre de la série et de son scénariste à un  point tel que cela a fini devant les tribunaux.
Donc, si jamais vous avez le plaisir de croiser le recueil intitulé The Wrath of the Spectre, de ce que l'on peut considérer comme une mini-série, pourquoi ne pas tentez l'aventure, car voyez-vous je ne suis pas du tout de l'avis d'Elison.

Commentaires

  1. Excellent en effet, je ne connaissais pas ce run.
    En ce qui concerne les "vigilante movies", le spécialiste de cette période Jean-Baptiste Thoret dirait que cette vague de films d'auto-défense était le retour de bâton du rêve hippie et surtout de sa décadence (la famille Manson et Altamont). Eh oui, j'ai lu "Absolute Directors" sur tes bons conseils !!

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    1. Merci, pour ma part j'ai découvert ce run par hasard en me replongeant dans ce qui avait été fait dans les seventies et que j'avais raté, et il y en a pas mal.

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  2. Un excellent article, comme toujours chez toi, qui bénéficie outre mesure d'une source très intéressante.

    Cette version-ci du Spectre était publiée chez Arédit ici ou là. La qualité du dessin de Jim Aparo, alors à son apogée, de même que les scénarii sans concession aucune de Michael Fleisher étaient absolument frappant pour les lecteurs de l'époque, et encore même de maintenant.

    On retient évidemment l'excellente version de Deadman de Neal Adams & Arnold Drake mais cette version-ci du Spectre est, mon sens, à classer juste à côté tant elle semble entretenir des points de comparaison en termes d'audace de l'histoire et de performance graphique !

    Encore et toujours bravo pour la qualité de tes articles tout comme leur intérêt didactique de leur contenu !

    Bastien Ayala

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    Réponses
    1. Merci de tes commentaires qui sont toujours aussi motivants (et sympathiques) ; j'en ai profité pour me relire et corriger quelques fautes d’inattention.

      Merci encore.

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