Découvert tardivement, Robert Goddard est quand même traduit en France depuis une trentaine d'années, avec 18 Barnfield Hill déjà chez Sonatine™, également traduit par Claude & Jean Demanuelli - très bon roman ; puis moins enthousiasmé par Le Secret d'Edwin Srafford (son premier roman), la faute à une propension à vouloir coûte que coûte - encore - surprendre le lecteur ; c'est néanmoins serein que je me suis plongé dans « Les Dernières pages ».
Fidèle à mon propre engagement, je n'avais ni sollicité les critiques ni lu la quatrième de couverture. Ça serait un comble que d'éventer un roman, dont les ressorts dramatiques sont entre autres choses, le mystère et le suspense, en se renseignant en amont, mon cher Marcel.
Eh bien la déconfiture allait être à la hauteur de ce que j'attendais de cette lecture.
Robert Goddard a en effet choisi de s'appuyer sur un événement historique français pour articuler son histoire. La manifestation du 17 octobre 1961 (oui nous sommes le 18, pure coïncidence).
Avant toute chose, ni lui ni l'éditeur français, Sonatine™, n'ont cru bon de faire précéder l'histoire d'un avertissement comme quoi on s'apprête à lire une fiction.
Oui je sais, ça tombe sous le sens, mais lorsque l'auteur termine son récit par une postface comme la sienne, je cite :
« Aucun romancier ne saurait imaginer les horreurs sanglantes qui ont marqué la guerre d’Algérie, et encore moins le carnage des luttes intestines qui déchirèrent le pays au cours des années 1990. Si l’on croit que pareilles atrocités ont effectivement été commises par des êtres humains aux dépens de leurs semblables, c’est uniquement parce que les documents historiques l’attestent. Cela vaut certainement pour le massacre perpétré par la police parisienne à l’encontre des manifestants algériens la nuit du 17 octobre 1961, et qui reste de loin l’action la plus destructrice de l’histoire moderne menée par un pouvoir en place contre des manifestants dans un pays de l’Europe de l’Ouest. En écrivant ce roman, je me suis efforcé de rendre au mieux l’impact que ces événements effroyables ont eu sur les personnes qui s’y sont trouvées mêlées – et, par voie de conséquence, sur les personnages de cette histoire. » ; des pincettes auraient pourtant été de rigueur.
Je pourrais m'attarder sur cette seule postface, ainsi « l’action
la plus destructrice de l’histoire moderne menée par un pouvoir en
place contre des manifestants dans un pays de l’Europe de l’Ouest » !?
Goddard a-t-il oublié le tristement célèbre « Bloody Sunday » ? Quatorze morts, dont sept adolescents, au moins autant de blessés par balles. Dont paraît-il cinq dans le dos.
Ça serait risible si ce n'était pas si sinistre.
C'est toujours le problème avec les gens de mauvaise foi, on est obligé, pour les démentir, de se livrer à des calculs d'apothicaire sur des sujets qui ne devraient pas nous y autoriser.
Si Goddard parle de « massacre », il oublie toutefois de citer ses sources.
Le natif de Fareham, alors même qu'il porte de graves accusations, n'a pas la décence de dire d'où viennent ses information. Sonatine™ ne semble pas se formaliser pour si peu.
Et pourtant.
Après avoir lu (par curiosité) les rares critiques françaises du roman que j'ai pu trouver, ce qui s'est passé le 17 octobre 1961 ne semble pas être très connu des lecteurs du roman.
J'ai même lu une critique où son auteur passe - sans sourciller - de plusieurs dizaines à « des centaines d'algériens » tués par les forces de l'ordre, dans la même phrase !
Bref, une mise ne garde n'aurait pas été de trop, sachant comment il est facile de manipuler les faits, au travers d'une fiction et de personnages entièrement dédiés à l'histoire qu'on raconte. Entre l'histoire et l'Histoire, il faut choisir.
Robert Goddard donc, par l'entremise des ses personnages évoque dans son récit l'existence d'une « cinquième colonne » : le « parti de la France » (hizb fransa).
Une cinquième colonne, que les Français, ne riez pas, auraient donc laissé derrière eux, après l'indépendance, pour torpiller tout ce que l'Algérie pourrait dorénavant entreprendre.
Je cite, encore :
« Je ne me doutais pas qu’ils nous haïssaient à ce point, déclare-t-elle d’une voix posée.
– Il semble que le hizb fransa ait vraiment existé, finalement, dit Taleb, l’air songeur.
Sans rire.
À toutes fins utiles je rappelle j'apprendrai donc à monsieur Goddard que la France a versé à l'Algérie, en cinq ans, de 2017 à 2022, 842 millions d'euros au titre de sa politique d'aide au développement. 842 millions d'euros !!!
Un pays qui soit dit en passant n'existait pas avant que la France ne mette les pieds à Alger, alors sous contrôle de l'Empire ottoman.
Mais Goddard semble fâché avec l'Histoire.
Dans son roman, ce triste sir, donne libre cours à son imagination ce dont je ne le blâme pas, et présente une version idéologiques des événements, ..... sans le dire. Là par contre je suis beaucoup moins d'accord.
Il y est en effet question de « carnage », de « crépitements de fusillade », son personnage - Nigel Dalby - patauge dans des flaques « rougie par le sang », il voit des « Algérien se faire littéralement jeter du pont dans le fleuve par des agents de police », alors que le « fleuve était haut, et le courant rapide ». Comment mettre en doute les dires d'un témoin oculaire. Comment ?! On me dit que Nigel Dalby n'était pas à Paris en octobre 1961, qu'il s'agit d'un personnage de fiction. Ah bon, ouf !
Quelqu'un pourrait-il le dire à Goddard et aux éditions Sonatine™ ? Et visiblement aussi à certains lecteurs.
Le racisme, si vous n'y aviez pas déjà pensé, est cependant souligné : « C’est alors que, heureusement pour moi, un autre agent s’interposa. Il hurla à son collègue que je n’étais manifestement pas nord-africain, même si ce n’est pas là le mot qu’il utilisa. » ; on remarquera que Goddard, en romancier aguerri, donne à son personnage des pudeurs de gazelle, au point qu'il n’emploie pas le mot qu'utilise le policier. C'est en effet bien plus efficace de laisser le lecteur imaginer lui-même l'abjection du terme, ça forge l'empathie pour le personnage qui a failli être tabassé. Au diable la véracité.
Il y a manifestement à mes yeux, de la part de Goddard non pas une mésinformation mais un parti pris.
Celui de donner de la France, et pas seulement en 1961 une image méprisable, raciste, rancunière et j'en passe. Et c'est pas beau monsieur Goddard, je me permets donc de vous dire que vous êtes un franc connard.
Le 17 octobre 1961, est pourtant documenté, non je n'ai pas dit réécrit, par des historiens ; le nombre de victimes, le contexte - que Robert Goddard ne mentionne pas (attentats du FLN en métropole, orchestration par ces mêmes terroristes de la soi-disant manifestation pacifique, la situation en Algérie, etc.) ; en fin de compte Goddard sacrifie au sensationnalisme et à l'idéologie, la vérité et l'exactitude.
Mais plus grave à mes yeux, Sonatine™, l'éditeur français n'y voit rien à redire.
D'un autre côté l'exemple vient de plus haut, puisque Macron n'a de cesse de rendre hommage aux Algériens tués le 17 octobre 1961. Mais a-t-il jamais été un exemple ?
Non, le 17 octobre 1961 n'a pas été un « massacre », le bilan officiel est de 2 tués et 64 blessés parmi les Algériens, et de 13 blessés du côté des force de l'ordre.
Un bilan autant dû à l'épuisement des forces de police - à la mi-octobre 1961 on compte dans leurs rangs 66 tués et 140 blessés dans des attentats perpétrés par le FLN ; qu'à un manque d'effectif et à l'agitation déclenchée par des militants armés du FLN, qui se trouvaient dans la manifestation « pacifique », mais interdite.
En conclusion, que dire ? Que ce seront effectivement les dernières pages que je lirai jamais de Robert Goddard. Un peu mesquin, même si c'est vrai.
Eh bien il y a pas mal de chose, comme celle qui voit, dans le roman (mais aussi dans la réalité), les forces vives de l'Algérie, venir, en 1965 travailler en France.
N'y a-t-il pas une contradiction à vouloir son indépendance, pour ensuite venir travailler chez l'ex-colonisateur (d'un pays qui n'existait pas, je le rappelle), plutôt que de construire sa propre patrie.
À cela Robert Goddard n'apporte pas de réponse.
Dommage !
que fait on du roman de didier daeninckx "meurtres pour mémoire"
RépondreSupprimerTrès drôle. La même chose que celui d'Einaudi ; mais vous êtes un grand garçon, allez donc lui demander, depuis qu'il a fui Aubervilliers il a sûrement des tas de choses à dire sur le sujet.
SupprimerOn le déconstruit en questionnant les codes du colonialisme culturel ethnocentré du patriarcat blanc voyons.
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