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Le signe des Quatre

Dans le premier article de mon enquête sur les Fantastic Four j'en arrive à la conclusion que "la partie de golf la plus chère de l'histoire" a bien eu lieu, et que les deux joueurs sont d'une part Martin Goodman éditeur de ce qui allait devenir la Marvel, et Paul Sampliner le président d'Independent News à l'époque.
J'ai également rappelé que le retour des super-héros dans la bande dessinée américaine, à partir de 1956, ne s'est pas fait subitement mais que cela a nécessité du temps, et que d'autre part certains personnages n'ont acquis un magazine homonyme que tardivement. Ainsi Hawkman par exemple ne l'obtiendra qu'en mai 1964 (date de couverture) alors qu'il apparaît dans The Brave and the bold dés mars 1961 (date de couverture).
Ainsi entre 1956 et 1961, l'année où parait le premier numéro des Quatre Fantastiques rares sont les éditeurs à se lancer sur les traces de DC Comics en matière de super-héros, et surtout rares sont ceux qui pérennisent leurs tentatives. 

Une démarche intéressante du point de vue de mon enquête est celle tenté par l'éditeur Archie Comics
Fin 1940 Joe Simon & Jack Kirby s'inspirent de The Shield, le premier héros patriotique de la bande dessinée étasunien pour créer Captain America pour l'éditeur Timely (qui deviendra Marvel) propriété de Martin Goodman, lequel supplantera finalement son prédécesseur dans le paysage culturel américain. Une copie tellement criante que MLJ Comics (qui deviendra Archie Comics) fit pression pour qu'on change le design du bouclier du super-soldat de la Timely.
Presque 20 ans plus tard Simon & Kirby s'inspirent pour le compte d'Archie Comics de la méthode que DC Comics a utilisé pour Flash ou Green Lantern pour introduire The Shield alias Lancelot Strong dans le nouveau label Archie Adventure Comics.
Là où ça devient particulièrement intéressant c'est que la revue de ce nouveau personnage ne connaîtra que 2 numéros pour la simple bonne raison que DC Comics a envoyé une ordonnance de cessation et d'abstention (cease and desist order) à Archie Comics. Ce fait est notamment rapporté par Joe Simon lui-même dans son ouvrage The Comic book makers.
Cette ordonnance est utilisée en droit étasunien pour demander à une personne ou une organisation de cesser de manière permanente de faire quelque chose. Elle est souvent assortie de menaces de poursuites judiciaires si l'activité désignée se poursuivait. Au demeurant DC Comics reproche au personnage de l'éditeur Archie de trop ressembler à Superman.
Ces démêlés, ainsi que l'issue du procès qui a longtemps opposé DC Comics à Fawcett Comics au sujet de Captain Marvel a peut-être influencé un des aspects des Fantastic Four, mais j'y reviendrai.
Un autre aspect intéressant concerne le "pays des miroirs" dans lequel s'inscrivent les comic books, un pays où se multiplient imitations, reflets et parodies de personnages existants. Un pays où les Fantastic Four ne dénoteront pas.
Le duo proposera également à Archie Comics un autre personnage The Fly, dont la revue connaîtra plus de succès, même après le départ rapide des deux créateurs. 
En 1961 elle se vend à 240452 exemplaires et se place en 24ième position entre The Brave and The bold (21°) et Showcase (26°) ce qui n'est pas rien (source).

Ceci dit on peut rétrospectivement se poser la question de ce qui serait arrivé si Jack Kirby était resté chez Archie Comics pour y développer un ligne de super-héros au lieu de le faire avec Stan Lee chez Marvel.  
Martin Goodman et son épouse pendant les années 50
L'une des caractéristiques de la personnalité de Martin Goodman est certainement la prudence. 
On comprend donc pourquoi il n'a pas lancer plus tôt (à partir de 1956) de super-héros : un nouveau marché lent à se mettre en place, qui plus est dominé par un rival dont il dépend pour la distribution de ses revues. Et surtout, sa branche bande dessinée se trouve dans une très mauvaise situation à cause d'une erreur de jugement de sa part(Cf. la première partie de l'enquête).  
D'autant qu'au début des années 50 une tentative avec Captain America, Human Torch et le Sub-Mariner s'est soldée par un échec.   
Ceci renforce selon moi la réalité de la partie de golf en ce sens que Goodman ne pouvait se satisfaire d'une vue extérieure du marché, c'est-à-dire spéculer sur les ventes de la Justice League of America (par exemple) en le déduisant de l'attribution d'un magazine homonyme après le banc d'essai qu'avait constitué The Brave and the bold. Il avait besoin de chiffres fiables, du moins autant que faire se peut.
Mais comme le fait remarquer Jean-Marc Lainé dans son essai sur Stan Lee : "Les planches de Fantastic Four ont sans doute été réalisées au tout début de 1961. Sachant qu'il faut entre quatre et six mois aux éditeurs pour obtenir des chiffres de vente fiables, on a du mal à croire qu'un professionnel aguerri comme Liebowitz se soit vanté d'un succès dont rien n'affirmait qu'il s'agissait d'un feu de paille. [...]". Si vous m'avez lu vous savez déjà que ma théorie enlève Jack Liebowitz pour y mettre Paul Sampliner.
Jack Liebowitz est à droite avec le cigare
Reste que la question des dates et des délais est plus que pertinente.
Souvenons-nous que le premier numéro de The Brave and the bold à proposer la JLA paraît le 29 décembre 1959 (date de couverture mars 1960) et le troisième et dernier numéro le 28 avril 1960. Soit bien plus d'un an avant la parution du premier numéro des Fantastic Four qui paraît le 8 août 1961 (date de couverture novembre 1961). Sachant que les numéros suivants proposent des personnages différents il est assez simple d'en tirer des conclusions en comparant la réussite de tel  ou tel numéro en fonction du héros invité. D'autant que les personnages sont les hôtes de l'illustré sur plusieurs numéros consécutifs.
Ensuite le premier numéro de la Justice League of America paraît le 25 août 1960 (date de couverture novembre 1960) un an avant celui des FF.
Lorsque paraît Fantastic Four #1 en août, la Justice League of America en est le même mois à son septième numéro et sa parution est bimestriel, c'est-à-dire tous les deux mois (Source).
Ceci dit pour que la conclusion de la première partie de mon enquête, à savoir que la partie de golf a eu lieu, s'avère je dois impérativement savoir quand a été réalisé ce premier numéro des Quatre Fantastique.
Fantask n°1
Will Murray dans un article paru dans le numéro 47 du Jack Kirby Collector (en 2006) en arrive à la conclusion, après avoir examiné la liste des numéros de projet des histoires (Fantastic Four #1 porte celui de V-374) de l'éditeur Marvel et procédé à des confirmations auprès du méticuleux Dick Ayers et d'un Stan Lee à la mémoire beaucoup moins fiable, que le premier numéro des Fantastic Four a certainement été dessiné en mai 1961 !  
À ce moment-là, la JLA en est à son cinquième numéros (en avril), si on prend la tolérance basse, c'est-à-dire 4 mois pour avoir les chiffres de vente il est concevable de disposer des chiffres du mois de février, d'autant que les chiffres viennent directement du distributeur, soit le mois où le quatrième numéro du titre a paru. À cela s'ajoute les chiffres de vente des 3 numéros de The Brave and the bold dont j'ai dit qu'ils étaient particulièrement significatifs. 
En 1961, le magazine de la JLA vend en moyenne 335000 exemplaires, des chiffres que ne pouvait pas à l'époque avoir Martin Goodman entendons-nous bien, et se classe plutôt bien par rapport à des titres installés depuis plus longtemps.
Martin Goodman aurait pu avoir  a contrario une idée du chiffre de vente sur 7 numéros. 
Était-ce suffisant pour lui ?
Un autre aspect que je ne peux occulter concerne les délais cette fois-ci de réalisation de ce premier numéro.
Commencer en mai un numéro qui a paru en août peut sembler assez court. Mais le dessinateur qui va s'occuper de la destinée des Quatre Fantastiques n'est autre que Jack Kirby, un homme dont Mark Evanier a dit qu'il était capable dessiner 5 ou 6 pages par jour au début des année 60, et Gerard Jones écrit dans Men of Tomorrow qu'à l'époque le King travaillait de 12 à 14 heures par jour et réalisait jusqu'à 8 ou 9 pages par jour.       
Sachant que ce premier numéro compte 25 pages, on peut se livrer à une opération fort simple pour savoir combien de temps il a fallu au dessinateur pour faire sa part de travail. D'autant que le scénario a sûrement était réalisé selon la Méthode Marvel©.
Mais ceci fera l'objet entre autres du prochain article. 


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