... C'est dans Amazing Spider-Man #129 (Gerry Conway/Ross Andru) en février 1974 (date de couverture) qu'apparaît pour la première fois Frank Castle alias The Punisher. Vétéran de la guerre du Vietnam, Castle, après l'assassinat de sa famille par la mafia se mue en "machine à tuer" et mène une véritable guerre, n'hésitant pas à tuer ses adversaires ses ennemis.
Le Punisseur n'est pas à proprement parlé un super-héros, il est ce qu'on appelle communément un vigilante : là où le super-héros sert la justice, le vigilante l'applique.
Strange n°107 |
Richard Slotkin
Le vigilantism est intrinsèquement lié à l'Histoire des U.S.A, il est le fruit de la Frontière et l'application du Deuxième amendement de la constitution des Etats-Unis qui stipule : "Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d'un Etat libre, le droit qu'a le peuple de détenir et de porter une arme ne sera pas transgressé."
La Frontière est un lieu toujours en mouvement, de l'Est vers l'Ouest, où la civilisation s'oppose à la Wilderness. Cette dernière est "la réalité concrète d'une terre non-encore explorée, secrète, inquiétante et dangereuse à la fois", dont les habitants sont "comme des hommes transformés en bêtes" (Jean-Robert Rougé).
Cependant depuis Frederick J. Turner et son discours de 1893, ce territoire inconnu n’est pas seulement porteur d'une dynamique de conquête, il est devenu un concept de progrès et de transformation, sur le modèle évolutionniste. Cet historien proposera d'expliquer toute l'histoire américaine grâce à l'Ouest. La Frontière est ce qui permet de distinguer l'Américain de l'Européen, elle est ce qui façonne les pionniers du Nouveau Monde et leur permet de marquer le continent tout entier de leur empreinte. Mais un peu avant Turner la Frontière (la Prairie) est entrée dans les Lettres américaines, elle est devenue grâce à James Fenimore Cooper à partir de 1823, le grand mythe américain, le facteur le plus important de la psychologie comme de la politique américaine. La Frontière est au centre des récits épiques américains, de Fenimore Cooper (qui créera "Le" héros américain Natty Bumppo), aux westerns en passant par Mark Twain pour s'étendre ensuite jusque dans l'espace intersidéral, la jungle africaine et les métropoles peuplées de détectives privés et de super-héros. Historiquement la Frontière cesse d'exister en 1890. |
C'est donc sur la Frontière qu'apparaissent ces milices qu'on appelle tantôt Town Tamers, Gunfighters, Regulators, etc.
La fonction du vigilante est claire : "exterminer extrajudiciairement quiconque menace l'équilibre social. Une règle inébranlable et, surtout, applicable à tous, sans distinction d'âge ou de sexe". (Fathi Beddiar).
La fonction du vigilante est claire : "exterminer extrajudiciairement quiconque menace l'équilibre social. Une règle inébranlable et, surtout, applicable à tous, sans distinction d'âge ou de sexe". (Fathi Beddiar).
Si le vigilantism est pendant longtemps une pratique "clandestine", dès 1861 l'Etat du Colorado vote une loi autorisant officiellement le recours aux vigilantes. D'autres États lui emboîteront le pas.
Cependant comme souvent avec ce qui se déroule sur la Frontière la réalité historique : ces milices armées sont adeptes du lynchage, elles n'hésitent ni à scalper ceux qui s'attaquent aux personnes ou aux biens qu'elles protègent ni à massacrer des innocents et n'ont que faire de la loi finalement, sera romancée par l'industrie du divertissement (dime novels, pulp magazines, cinéma).
Si le vigilante originel est né sur la Frontière, s'il ressort du western et du Far West. S'il est un antidote aux classes dangereuses des grands espaces il est aussi le prototype du détective privé que l'on retrouve au début du XXème siècle dans les grandes métropoles.
Du moins un certain type de détective, le détective hard-boiled. Ou du moins certains de ces détectives dur-à-cuir.
Race Williams, crée par Carroll John Daly en décembre 1922 dans les pages de Black Mask, un pulp magazine, en est le précurseur.
Il s'agit d'un personnage "en marge de la loi, situé entre l'escroc et le policier, qui travaille pour l'argent et n'hésite pas à tuer de sang-froid les truands qui l'ont mérité."
Il s'agit d'un personnage "en marge de la loi, situé entre l'escroc et le policier, qui travaille pour l'argent et n'hésite pas à tuer de sang-froid les truands qui l'ont mérité."
Quelques mois plus tard en mai 1923, Carroll John Daly toujours, invente le premier détective moderne de la littérature : "J'ai une petit bureau dont la porte indique Terry Mack, détective privé .. Quelque fois les affaires marchent moins bien et je sors pour trouver du boulot ... je ne suis pas un escroc et je ne suis pas un flic ; je joue le jeu à ma façon ...".
Terry Mack opère à New York et porte deux puissants Colts .45 (et garde en réserve un calibre .25).
Pour mémoire le Shadow, un autre vigilante fameux qui affectionne les gros calibres guère éloigné somme toute de ces détectives durs-à-cuire, s'introduit dans la littérature des pulp magazines en 1931. Il avait été dès juillet 1930 le "présentateur" de l'émission de radio Detective Story Hour.
Le roman policier américain dit hard-boiled est un roman de suspense et surtout d'action. Il a garder de Fenimore Cooper un rythme de fuite et de poursuite, comme le jazz qui apparaît lui aussi au début du XXème siècle.
L'essor de ce nouveau roman policier, par opposition aux romans anglais dit whodunit, est favorisé par le dix-huitième amendement de la Constitution des Etas-Unis qui interdit la fabrication, le transport et la vente de toute boissons alcoolisée sur son territoire. La prohibition (1919-1934) livre l'Amérique aux bootleggers.
Jamais la pègre ne fut aussi puissante, aussi organisée qu'à cette époque. C'est l'âge d'or du gangstérisme.
Une autre figure, est non des moindre du détective hard-boiled version vigilante est due à Mickey Spillane : Mike Hammer.
Dont le premier roman (1947) s'intitule en version originale I, jury, tout un programme !
Incidemment Mickey Spillane rendra hommage dans une lettre à Carroll John Daly : " Vous êtes le premier et le seul dont le style m'a influencé. Race (Williams) a été le modèle de Mike (Hammer)".
Revenons aux années 70 qui ont vu la naissance du Punisher.
Fin 1973 dans un entretien qu'il accorde à la revue Mediascene, Don Pendleton déclare que les romans de Mickey Spillane ont eu une influence sur sa propre écriture et sur la création de L'Exécuteur alias Mack Bolan (The Executioner) en 1969.
PROLOGUE
Les cinq cadavres étaient éparpillés dans un rayon de vingt mètres autour de la porte du building de la Triangle Industrial Finance.Fébrilement, les policiers de trois voitures de patrouilles arrivées quelques minutes après le massacre essayaient de repousser les badauds. Au coin de la rue, un vieux marchand de journaux encore sous le coup de l'émotion racontait ce qu'il avait vu à un détective du commissariat central de Pittsfield :
« Ces cinq types sont sortis de leur bureau. C'est à peu près l'heure de la fermeture. Y'en a deux qui ont l'air de se disputer. Y'en a un qui tient une mallette. Ils sont à côté d'une bagnole, garée devant le bureau. L'un d'eux fait le tour, dans la rue. Puis tout à coup, il s'arrête net et se retourne brusquement de mon côté. Je vois ses yeux, il est très près, ils sont écarquillés et surpris. Je vois du sang jaillir de son cou. Je vois tout ça avant même d'entendre le premier coup de feu. C'est venu d'en haut, d'un immeuble en face. Ça fait boum et y'a une espèce d'écho qui continue comme si c'était un gros calibre pour les éléphants ou quelque chose d'énorme. J'sais pas d'où ça venait, pas vraiment, dans la rue, quoi. Ça se passe tellement vite. Ces mecs sont encore sur le trottoir, figés, époustouflés, pendant que le type s'écroule dans la rue. Puis un autre, ses mains se lèvent juste au moment où sa tête explose. Putain, ça a commencé à partir dans tous les sens, je vois encore les morceaux. Maintenant les autres, y commencent à bouger. Un plonge vers la bagnole. Les deux autres essayent de rentrer dans l'immeuble. Et ces coups de feu qui continuent comme des pétards, bing, bing, comme ça. Seulement y'a cinq bing. J'y ai pensé très sérieusement, je sais qu'il y a eu cinq coups, rythmés; boum, boum, boum, boum, boum, comme ça. Et y'a cinq bonhommes étendus, vachement morts. Et ils ont tous morflé quelque part au-dessus des épaules. »
Dix minutes plus tard le même détective confiait à un journaliste : « C'est un règlement de compte entre gangs. Nous savions depuis longtemps que cette boîte, la Triangle lndustrial Finance avait des liens avec la Mafia. Mais nous n'avons jamais eu assez de preuves pour agir. Tant que ça reste entre eux, je veux dire que tant qu'il n'y a aucune victime innocente, ils peuvent s'entretuer jusqu'au dernier, ce n'est pas moi qui m'en plaindrai. Ouais, il s'agit d'une purge. Ça sent la guerre de gangs. »
Ce policier se trompait du tout au tout. C'était bien le début d'une guerre : celle d'un homme seul contre l'organisation criminelle la mieux organisée du monde.
Un homme qui s'appelait Mack Bolan. Qui avait de très bonnes raisons de haïr la Mafia. Et les moyens d'assouvir sa haine.
Le sergent-chef Mack Bolan, n'était pourtant pas, quoi qu'en pensent secrètement certains de ses supérieurs et camarades, un assassin-né.
Pas une mécanique mortelle comme l'affirmaient ses partenaires de l'équipe de tireurs d'élite. Même pas un exterminateur de sang-froid, comme l'avait décrit un journaliste de gauche. Mack était simplement un homme qui savait se contrôler. Une espèce de personnification des qualités décrites par les psychiatres qui jugeaient des candidats tireurs d'élite : « Un bon tireur d'élite doit pouvoir tuer sans émotion, méthodiquement et personnellement. Personnellement parce qu'il est très difficile de voir la couleur des yeux de sa victime à travers la lunette, lorsque la peur et l'horreur se dessinent sur ses traits. Tout bon soldat peut accomplir ce genre de mission une fois - c'est à la seconde ou troisième fois, quand ses souvenirs commencent à le hanter, qu'on sépare le bon soldat du tireur d'élite. »
Le sergent Mack Bolan appartenait de toute évidence à la seconde catégorie. Armurier accompli, il se servait avec une extrême efficacité de toute arme mise à sa disposition. Un rapport officiel avait son score au Viêt-Nam : 32 officiers supérieurs de l'armée du Viêt-Nam du Nord, y compris le général Ngo-An; 46 leaders Viêt-Cong et 17 chefs de village sympathisants.
Mack Bolan était un soldat de métier. A l'âge de trente ans, il avait déjà douze années de carrière et terminait sa seconde campagne au Viêt-Nam. Il n'était pas marié. Sa mère, Elsa, une Américaine d'origine polonaise de quarante-sept ans, lui écrivait fidèlement le mardi et vendredi de chaque semaine et deux fois par mois, lui expédiait des colis emplis de saucisses polonaises, de petits gâteaux et de pâtisseries. Ses lettres étaient gaies et optimistes, et elle les complétait souvent de photographies de Cindy, dix-sept ans, la ravissante sœur de Mack, et Johnny, le petit frère qui venait d'avoir quatorze ans. Sam Bolan, le père, était ouvrier dans une aciérie depuis l'âge de seize ans. [...]
L'Exécuteur n°1 - Guerre a la mafia - Don Pendleton
(À suivre ...)
Rappelons d'ailleurs que la VF de "I, Jury" c'était "J'aurai ta peau", et là aussi c'est tout un programme.
RépondreSupprimerEt accessoirement, que Spillane est la référence principale et complètement assumée de Frank Miller pour Sin City.
Yep tu as raison le titre V.F est tout aussi programmatique.
SupprimerPour Miller je ne savais pas, merci du tuyau.
Histoire de faire mon intéressant : Spillane a incarné son propre détective dans une première version de I, the jury, en 1953. Et c'était pas très bien joué. Il y a eu une 2e version en 1982 avec Armand Assante (futur Rico Dredd) assez dynamique. Sinon, le 2e tome de Soda adresse un clin d'œil à l'Exécuteur puisque le héros devient ghost writer d'un romancier de polar hard boiled. Super papier Arty. ;)
RépondreSupprimerJe savais pour Spillane, mais pour le Soda ça ne m'avais pas frappé, merci pour l'info je vais regarder ça de plus près.
SupprimerMerci.