Ce qui a fait Churchill c’est l’Histoire ; il la connait mais surtout il la comprend. Tout en ayant conscience de travailler pour elle, et sous son contrôle pour ainsi dire.
Né d’un lignage hors du commun dans le palais de Blenheim, mais de parents qui le négligent, Winston aura la chance d'avoir un « tuteur de résilience » en la personne de sa nounou.
Toutefois, malgré cette ascendance prestigieuse Winston Churchill tirera le diable par la queue toute sa vie.
Rude garnement entêté, pas très bon à l’école, dont il se plaindra à sa mère qu'elle ne respect pas son propre agenda, Winston en grandissant deviendra insolent, grossier, souvent décrit comme « un petit bouledogue roux ».
Mais un « bouledogue » doté d’une mémoire d'éléphant (qu'il soit dit en passant que les animaux ont été l'une des grandes passions de quelqu'un qui n'en manquait pourtant pas).
La politique occupe bien évidemment une énorme place, et cela très jeune. Son père était un conservateur qui sera d'ailleurs député à 25 ans. Il marchera sur ses traces en devenant lui-même député, puis Premier ministre.
Une sorte de contribution posthume en l'honneur de son père, mais aussi de revanche sur un individu qui ne lui a jamais témoigné d'affection.
Mais qui à son corps défendant lui offrira le marche pied dont il avait besoin, en le destinant à une carrière militaire
Depuis son plus jeune âge on lui offre des soldats de plomb. Il en aura jusqu’à 1500. Tous anglais.
De son propre aveu, Churchill déclarera que ses soldats ont décidé de sa carrière (ainsi que son père comme je l'ai dit, lors d'un wargame auquel il avait justement invité ce dernier).
Petite cause grands effets.
Il entre à Sandhurst, grande académie militaire qui forme les officier de l’Empire. Où son caractère toujours aussi trempé impressionne ainsi que ses aptitudes en escrime, en tir, Churchill est aussi cavalier hors pair.
Il sortira par ailleurs très bien classé.
Mais contrairement à ses condisciple qui paradent dans les salons et chassent le renard - l’Empire de Sa Très Gracieuse Majesté Victoria est alors relativement en paix, Winston Churchill utilise les relations de ses parents pour aller au front :
Cuba, les Indes, le Soudan (il y fera l'une des dernières charges de cavalerie de l’Histoire), Afrique du Sud.
Fasciné par le danger il est dans les premiers à partir au combat et dans les derniers à en revenir.
Une attirance pour le danger renforcer par une chance insolente.
À tel point que même la malchance le sert.
Ainsi au Soudan, une blessure, contractée en Inde, l’oblige à utiliser un Mauser C96™ à dix coups, plutôt qu’un sabre ; ce qui indubitablement lui sauvera la vie.
Courageux, voire téméraire donc, mais doté d’un véritablement sens du commandement, Churchill se fait remarquer.
Mais pas forcément en bien.
En effet, dans les cas où il ne peut pas être soldat il dégaine la carte de presse du correspondant de guerre (il joue parfois sur les deux tableaux).
Le journalisme devient alors un moyen de bien gagner sa vie, lui qui a déjà un train de vie dispendieux, mais une occupation très mal vue par l’armée.
D’autant qu’il commente et critique ce qu’il voit.
Toutefois, protégé par son nom, les relations de sa mère, et son héroïsme, il est quasiment intouchable.
Exalté il ronge cependant son frein, car il trouve cette vie « végétative » (une observation qui donne une idée du bonhomme).
Churchill a en effet des ambitions démesurées, il veut devenir Premier ministre, ce qu’il ne se prive pas de dire à quiconque veut bien l’écouter, et même aux autres.
D’après François Kersaudy, son biographe, Winston Churchill se prépare à entrer au Parlement depuis qu’il a 22 ans.
Et en 1900 il y entre.
Doté d’un léger bégaiement et d’un zézaiement, à force de travail il deviendra un orateur extraordinaire. Aidé en cela d'un sens de l'humour et de la formule qui restera.
Churchill sera aussi une vraie girouette, passant d’un parti l’autre, ce qu’il expliquera avec ce sens de la formule qui est le sien : « Certains changent d’idées pour l’amour de leur parti, moi je change de parti pour l’amour de mes idées. ».
Il sera 11 fois ministre avec des portefeuilles très divers. Bon ministre, il sera un mauvais politicien précise François Kersaudy.
J’oserai dire qu’il est toutefois, et l’Histoire est là pour le prouver, un homme d’État selon la formule bien connue ; « Un politicien pense à la prochaine élection, un homme d’État à la prochaine génération.».
Qui pour le coup ne lui fera pas honneur.
Ainsi, alors qu’en 1933, à l’arrivée d’Hitler au pouvoir, toute l’Angleterre est pacifiste, lui est pour le réarmement : « Le gouvernement avait le choix entre la guerre et le déhonneur ; il a choisi le déshonneur et il aura la guerre ».
Ce qui fait qu’en 1938 par exemple, il est certainement l’homme politique le plus impopulaire du pays.
D’une manière générale, la carrière, voire la vie de Churchill aurait pu être certes haute en couleurs, mais anecdotique. S’il n’y avait rencontré sur sa route deux conflits de nature mondiale.
Si Churchill n’est pas belliciste ; lorsque la guerre est là il faut la gagner, et il devient dès lors belliqueux.
Grand organisateur de la Marine anglaise (renseignement, énergie motrice) ; la défaite des Dardanelles, en 1915, le met sur la touche, mais plutôt que d’obtenir une sinécure il rempile avec beaucoup de courage sur le front, en France.
En 1917 de nouveau ministre, cette fois-ci de l’armement ; il en profitera pour « inventer » le char d’assaut et la péniche de débarquement.
Organisateur intransigeant, il n’hésite pas à mouiller la chemise lorsqu’il est question de mobiliser les ouvriers de l’armement en grève pendant les grandes offensives allemandes, entre éloquence et menace.
Lors de la WWII tout change, il a désormais le pouvoir, que d’aucuns décriront comme despotique.
Son travail, en grande partie épistolier, avec Roosevelt (que Kersaudy décrit comme assez dépassé par les événements et sérieusement désinvolte) sera décisif pour que la neutralité des U.S.A. disparaisse au profit de son engagement dans le conflit.
Au sujet de l'un de ses voyages aux États-Unis, son biographe raconte une anecdote.
Convié à un diner par Roosevelt, avant de repartir en Europe, ce dernier a invité une journaliste notoirement contre la pérennité de l'Empire britannique, qui entreprend de titiller Churchill au sujet des infortunés Indiens. L'interrompant Churchill rétorque : « Avant toute chose, madame, il nous faut éclaircir un point : est-ce que nous parlons des Indiens bruns de l’Inde, qui ont grandement prospéré et se sont vertigineusement multipliés sous l’administration bienveillante de la Grande-Bretagne ? Ou bien est-ce que nous parlons des Indiens rouges d’Amérique, dont je crois savoir qu’ils sont en bonne voie d’extinction ? »
Churchill est un homme qui s’épanouit dans l’adversité, et pas seulement au détriment de ses adversaires.
Son rythme, son caractère, son énergie épuisent et effraient son entourage.
Sa grande confiance en soi et sa personnalité l’encourage à faire d’énormes bévues (mais pas seulement, soyons sérieux).
Ce qui fait dire à François Kersaudy, preuves à l’appui, que Churchill dans ces grands moments historiques, notamment la Seconde guerre mondiale n’était pas un homme seul, mais quelqu’un d’heureusement très bien entouré.
Si Churchill est un soldat, un guerrier même, un homme d’État, c’est aussi un journaliste, mais également un écrivain. Qu’un prix Nobel de littérature en 1953 viendra couronner.
Et François Kersaudy de louer son style, et dont il dit que ce prix était mérité vu son œuvre (dont une bonne partie a été écrite à la manière de notre Dumas national).
Force de la nature, Churchill fumait et buvait comme on peine à l’imaginer, surtout aujourd’hui. Kersaudy rapporte d’ailleurs que pendant l’entre-deux-guerres un milliardaire lui aurait proposé une somme considérable pour qu’il cesse de boire du cognac et que Churchill aurait refusé, malgré ses sempiternels besoins d’argent.
Victime d’une dépression chronique (qu’il appelait son Black Dog), il a aussi été victime de pneumonies, dont une lui a valu l’extrême-onction. Écrasé par une voiture à New York, chute d’une hauteur de 8 mètres, etc.
Ce qui ne l'empêchera pas de mourir presque centenaire.
À partir de 1915 cet homme déjà très occupé se toque de peindre. Et pas seulement sa cuisine.
Il finira par exposer et vendre ses toiles.
Le Midi de la France deviendra pendant de longue années un havre pour cet artiste, où un jour, il recevra même les louanges d’un Picasso, qui n’avait certes pas encore atteint la renommée qu’on lui connaitra, pas plus que Churchill à ce jour-là ne le reconnaîtra d'ailleurs.
Biographie écrite sous 50 nuances d’humour, François Kersaudy dit, par exemple que le français que parle Winston Churchill est la « seule langue qu’il maltraite couramment ».
Et de citer plusieurs exemples dont lors de son arrivée à Anvers, en Belgique : « Je suis très heureux aujourd’hui d’arriver à l’Anvers ». Ou à de Gaulle « Général, si vous m’obstaclerer je vous liquedrai. ».
François Kersaudy, s’étonne aussi de la prescience du grand homme, voire de ces prophéties dont il cite plusieurs exemples.
Et tout ça en 800 pages.
Au final, c'est une magnifique biographie, documentée, écrite avec beaucoup d'esprit, et souvent d'humour, « Winston Chruchill » éclaire incidemment nos hommes politiques d'une lumière qui ne leur est guère favorable. Pas plus que l'époque actuelle cela dit.
François Kersaudy est en tout cas - dorénavant, sur ma liste d'auteurs à lire.
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