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L'Enfer du devoir [Friedkin / Jackson / Jones / Pearce / Kingsley]

Face à la mort des autres, il y a trois attitudes possibles : 
) Écouter les Romains qui disaient : « d’un mort on ne doit dire que du bien » (« de mortuis nil nisi bonum ») 
) S’inspirer de Voltaire : « Nous devons des égards aux vivants, aux morts nous ne devons que la vérité ». 
) Ou imiter Donald Westlake : « D’un mort, si vous ne pouvez pas dire de mal, ne dites rien ». 
Visiblement on peut aussi faire une rétrospective. 
William Friedkin est mort le 7 août dernier, et une revue spécialisée s'y est prêtée dans son édition de septembre 2023. Classement et résumés succincts donc, de ce que pense la rédaction de 10 des films du cinéaste. C'est « L'Enfer du devoir », classé en cinquième position qui a éveillé ma curiosité. 
            J'avais le souvenir de l'avoir vu, et la conclusion du commentaire - digne d'un soir d’ébriété idéologique - (« Mais le twist final plombe moralement le film.»), m'a furieusement donné envie de le revoir. 
Notamment en ce que ce magazine donne à lire des commentaires toujours très 
« progressistement » corrects (si je peux me permettre ce barbarisme). 
N'hésitant visiblement pas ici à éborgner l'un des piliers du Nouvel Hollywood© sur le terrain de la morale. [Sourire]
Un parti pris dont j'ai beaucoup de mal à voir ce qu'il vient faire dans la critique d'un film. Ce dont je ne devrais pas m'étonner toutefois, puisqu'on peut - encore aujourd'hui - lire sur la page Wikipedia™ française dudit film (sortie quelques mois avant l’attentat contre le destroyer USS Cole dans le port d’Aden au Yémen, et 1 an ½ avant l'attentat du 11-septembre) : « Probablement le plus raciste des films jamais fait contre les Arabes par Hollywood ». Ça me rappelle l'attaque, par la Ligue de défense des droits civiques des Italo-Américains™, alors présidé par Joseph Colombo, l'un des boss d'une des familles de la Cosa Nostra new-yorkaise, à l'encontre du film Le Parrain
Mais d'abord, « L'Enfer du devoir » film de guerre ou film de prétoire ? 
Eh bien les deux mon adjudant, comme on dit dans la bif
            En effet, un film de (mauvais) genre se caractérise par des passages obligés (chansons dans les comédies musicales, actes sexuels dans un porno, etc.) dont l'absence signifie qu'on s'est foutu de vous si on vous l'a vendu comme tel. Mais surtout, si un film aligne les stéréotypes du (mauvais) genre dont il se revendique, et que ceux-ci sont indispensables à l'intrigue ; alors on est bien dans un film de (mauvais) genre. Et non dans un film qui se déroule au Far West, sans pour autant être un Western. Par exemple. 
« L'Enfer du devoir » est donc au final un film de guerre ET, un film de prétoire. 
            L'histoire est assez simple, le colonel Terry L. Childers, alors qu'il commande un détachement venu protéger l'ambassade des U.S.A. au Yémen donne l'ordre de tirer sur une foule dont on lui reprochera qu'elle manifestait pacifiquement. Jugé en cour martiale, il demande à son vieil ami, le colonel Hayes Hodges, à qui il a sauvé la vie 28 ans plus tôt au Vietnam, d'être son avocat. 
Deux théories vont s'affronter lors du procès : celle où Childers est coupable d'avoir fait tirer sur des gens désarmés, et celle où la foule était armée et qui l'innocente. 
            Une cassette vidéo, où est enregistré ce qui se passait sur la place au moment des évènements, aurait pu être en mesure de corroborer ou d'infirmer les dires du colonel Childers. Problème, elle sera discrètement détruite par le conseiller de la Sécurité Nationale Bill Sokal (sans qu'on sache ce qu'elle contenait). En outre des pressions seront exercées sur l'ambassadeur Mourain qui doit pourtant la vie sauve, ainsi que celle de sa famille, au colonel Childers et à ses hommes. 
D'autre part, seul Childers a vu la foule armée ; ses hommes n'étaient pas en mesure de le faire, et la situation étant de qu'elle était alors, les Marines ont dû évacuer les lieux rapidement. Ce qui fait qu'un doute supplémentaire plane : les autorités yéménites ont-elles ou non caché les armes utilisées par les manifestants ? 
Si certains faits sont avérés : la destruction de la K7, les pressions sur l'ambassadeur, le sauvetage de sa famille par les Marines du colonel Childers, la position de la foule ne sera jamais tranchée. Même pas pour le spectateur.
À cela s'ajoute que le colonel Hayes Hodges, alors jeune lieutenant au Vietnam doit d'être en vie grâce au lieutenant Terry L. Childers, qui a abattu un prisonnier de guerre ennemi afin de forcer son supérieur, le colonel Binh Le Caoun, commandant de l’Armée populaire vietnamienne, de retirer ses hommes qui décimaient ceux de Hodges. Ce fait est aussi avéré. 
            On a donc un commandant d'unité capable de déroger aux règles d'engagement du corps des Marines (le titre original du film est justement Rules of Engagement) pour sauver la vie de ses camarades. La question est donc, a-t-il - encore une fois, désobéi à son code de déontologie pour protéger ses hommes au Yémen (qui avait déjà essuyé trois pertes) ? 
            Si finalement le verdict ne sera pas politiquement correct, d'autant qu'il se joue sur un témoignage inattendu (et contre-intuitif pour n'importe quel civil ou militaire n'ayant jamais connu l'épreuve du feu) . 
« L'Enfer du devoir » démontre (et c'est à mes yeux l'aspect le plus important de l'histoire) que l'ordre ne fait pas bon ménage avec la justice. Surtout quand on demande, avec l'insistance de la mauvaise foi et - parfois du mensonge, à la justice de préserver l'ordre à son propre détriment. Et ce n'est pas le réel qui va me démentir. 
Reste que justement, « L'Enfer du devoir » est un film.
             Or donc, puisque d'aucuns estiment que « la valeur morale d'une œuvre fait partie de sa valeur artistique » (André Gunthert et Carole Talon-Hugon dans le quotidien Le Monde™), pourquoi en effet se gêner et ne pas déplorer qu'un twist moralement regrettable (décidé par qui ?) plombe un film. Réduire une fiction à un discours militant, sujet à une hygiène morale (à géométrie variable, forcément) rappelle pourtant d'assez mauvais souvenirs. 
Et puis on le sait, un jour la conjugaison change : on fut moral, on ne l'est plus. 
Cela dit, s'agissant de morale, à quand la réécriture d'œuvres du patrimoine ? 
À quand les autodafés ? 
À quand des relecteurs une police des susceptibilités ? 
Mais suis-je bête, c'est déjà en cours. 
            Bref, pour ceux encore capables de ne pas invoquer la morale dès lors qu'une fiction n'enfourche pas la doxa du moment, pour ceux capables de s'enthousiasmer (ou pas) en fonction du divertissement que procure un film, de la roublardise de son scénario (et de son réalisateur qui termine son film à la manière d'un de ceux tirés de faits réels), sans oublier le jeu de ses acteurs, 
« L'Enfer du devoir » est un détour de près de 2 heures qu'ils risquent de ne pas regretter. 
À bon entendeur, salut !

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