Dieu est un enfant qui joue avec une fourmilière.
.. Avant tout, enfonçons quelques portes dérobées de la "pop culture".
.. John Constantine est un personnage de bande dessinée apparu dans les pages de la série Swamp Thing (en 1985) ainsi que nous l'explique Stephen Bissette ; "Me trouvant dans la position de quelqu'un qui a eu la chance de travailler avec Alan (et John Totleben) comme artiste sur Saga of the Swamp Thing, [..] mon interaction personnelle m'a démontré encore et encore à quel point la vie créative d'Alan Moore peut être réellement collaborative. Dans le cas du Swamp Thing, il accueillit des idées d'histoires, de personnages et de concepts de John, Rick et moi que le scénariste précédent avait clairement refusées (avec même des protestations). C'est de cette incroyable générosité fertile et de cette chimie collaborative que naquirent des histoires et des personnages qui n'auraient pas existé sinon, y compris [..] John Constantine (le catalyseur ayant été que John et moi avions dit à Alan - dans ma toute première lettre à Alan, en mai 1983 ! - que nous voulions "dessiner un personnage ressemblant à Sting, ou alors que nous allions interpréter l'une de ses créations de cette manière .."). [...]*
Si Constantine est donc dans un premier temps un personnage secondaire , il obtiendra quelques années plus tard une série régulière au sein du label Vertigo.
C'est en 1987 que le scénariste Jamie Delano commence à travailler sur la série dédié à Constantine intitulée Hellblazer. Dans sa préface (traduite chez l'éditeur Panini dans le recueil Péchés Originels) il dresse un portrait du personnage "[..] John Constantine [est] un "détective psychique" issue de la classe ouvrière britannique, attiré par l'occulte, insouciant et plutôt amoral."**
Que ce soit dans les pages de Swamp Thing, sous les auspices de Jamie Delano & John Ridgway pour ses premiers pas, ou sous la houlette des auteurs qui se sont ensuite succédés sur le titre ( plus de 200 numéros pour la série régulière) John Constantine côtoie une horreur viscérale, un fantastique souvent brutal et cauchemardesque. Poisseux.
La pensée ésotérique [...] (est) un "mot autobus" où montent des gens qui ne se connaissent pas et qui descendront à des haltes différentes sans s'être parlé, mêlés à d'autres voyageurs, au hasard du trajet, n'ayant en commun que leur destination.
Jean-Pierre Laurant
.. Vingt ans après sa première manifestation dans les pages d'un comic book John Constantine est adapté au cinéma sous les traits de Keanu Reeves. Si à l'origine Constantine est né à Liverpool dans un milieu ouvrier, a fréquenté la scène punk et fait ses premières armes dans les bayous de la Louisiane (du moins pour les lecteurs), au cinéma on le croirait tout droit sorti d'une clinique chic de L.A.
À l'instar de cette impression, tout dans le film semble aseptisé. Ainsi la scène d'ouverture qui lorgne du côté de L'Exorciste rate complétement son effet. C'est plat, froid et de mauvaise augure pour le reste ce sera d'ailleurs la seule prommesse tenue (en regard du matériau de base).
Or donc, John Constantine est devenu après son traitement cinématographique une sorte de diacre exorciste de la paroisse de Los Angeles, et si le personnage principal a été sérieusement raboté en traversant l'Atlantique, ses partenaires à l'écran n'ont même pas la force de se battre pour un peu de substance. Pour un peu on se croirait dans une histoire de fantômes.
Pour enfoncer le clou de ce chemin de croix, le recours aux effets spéciaux numériques accentue la stérilisation entreprise. Là où il aurait fallu de l'organique, du latex, de l'hémoglobine de synthèse, on nous fourgue du numérique. Encore raté.
La derniére séquence comme de juste, achève cette lente agonie.
Fumeur invétéré dans la bande dessinée Hellblazer, Constantine a gardé ce vice au grand écran.... mais c'est pour mieux nous donner "le coup de pied de l'âne" dans sa version californienne.
Atteint d'un cancer John Constantine se voit toutefois octroyer un bonus parmi les vivants (je vous passe les détails), et la derniére scène nous le montre guérit, prendre un chewing-gum en lieu et place d'une cibiche. Blasphème !
Cette ultime trahison montre s'il en était besoin, que les responsables du film n'ont rien compris au personnage. Il me semble qu'au contraire Constantine aurait saisi l'occasion d'une vacherie à l'égard des frères ennemis bibliques dont nous sommes le jouets (du moins dans le film).
Alors que là, c'est un cheveux dans la soupe de grenouilles de bénitier que l'on vient de nous servir.
Du chewing-gum ! Et pourquoi pas une sucette tant qu'on y est.
*Traduction Marc Février in L'hypotèse du lézard Alan Moore, Les moutons électriques, éditeur.
** Traduction Jérémy Manesse
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