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Le Trickster (ou Fripon divin)

Suite de l'article consacré à Diablo des X-Men, où l'on s’intéressera plus particulièrement au tricster un personnage de la culture Amérindienne, dont j'avais postulé dans un article précédent que Diablo pouvait s'en rapprocher.

Les Seventies

Il est décidé, au début des années 70, au sein de la Marvel de créer une équipe de super-héros composée de membres de différents pays de manière paraît-il, à gagner de nouveaux marchés à l’étranger. Roy Thomas, alors editor-in-chief il a succédé à Stan Lee, saisit la balle au bond et suggère l’idée de relancer l’équipe des X-Men, qui depuis cinq ans ne vit que de la réimpression de ses anciennes aventures, voire d'apparitions des membres de l'équipe dans d'autres revues.
Intégrale X-Men 1972 - 1975
L’idée fait son chemin et échoit finalement à Len Wein qui entre temps héritera également du poste d’editor-in-chief de Roy Thomas. Dave Cockrum qui est maintenant à la Marvel sera le dessinateur de ce qui deviendra Giant-Size X-Men #1. Pour la petite histoire Chris Claremont (l'homme qui fera de l'équipe une véritable franchise, c'est-à-dire qu'il fera des X-Men de véritables X-mème [-_ô]) est alors l’assistant de Wein. 
Un noyau d’anciens membres des X-Men, créés (1963) par Stan Lee & Jack Kirby, est choisi pour étoffer la nouvelle équipe en partie composée de nouveaux personnages venus d'autres pays. 
Pour l'occasion Dave Cockrum ressort son Nightcrawler, refusé en son temps par Boltinoff, qu’il modifie néanmoins en profondeur. 
De toute façon ce n’est pas la première fois que Cockrum transforme ce personnage qu'il promène par ailleurs depuis un sacré bout de temps.
CBA #6 : D'où vient le personnage de Nightcrawler/Diablo
Dave Cockrum : Quand je n’étais encore qu’un fan et que j’étais dans la marine, ma première femme et moi vivions sur l’île de Guam dans une maison en pleine cambrousse (laquelle était infestée de cafards et de rats). Il y a eu une tempête terrible, nous n’avions plus d’électricité, c’était très bruyant, il pleuvait comme en enfer avec des éclairs et du tonner. Afin de nous occuper et d’oublier notre angoisse, nous nous sommes assis et nous avons créé des personnages. Un duo composé de The Intruder (un croisement entre le Punisher et Batman, avec un crâne de métal et une combinaison noire, accompagné de son équipier Nightcrawler. L’idée originale était très différente du Nightcrawler qui hurlerait à la lune, grimperait les façades des immeubles et ferait tout un tas d’autres choses bizarres. C’était un vrai démon venant de l’enfer et qui ayant raté sa mission aurait peur d’y retourner et resterait attacher à son bienfaiteur. Le concept à été sérieuse révisé pour finir chez les X-Men.
Un concept totalement revu et corrigé donc pour son apparition dans l'équipe des Nouveaux X-Men, et qui introduit dans le caractère du personnage un peu de la personnalité qu'Errol Flynn mettait dans les siens, ceux qu'il interprétait dans les swashbucklers ; autrement dit les films dont le spectre historique va du Moyen Âge à l'époque des Mousquetaires en passant par celle la flibuste. Des films dont le protagoniste principal est un escrimeur de talent, un peu bravache, le verbe haut et désinvolte.   
Cette aspect sera d'ailleurs totalement assumé dans la mini-série homonyme publiée en 1985 (1988 par les éditions LUG).
Or, donc j'avais envisagé il y a quelque temps que Diablo était ni plus ni moins qu'une incarnation de la figure du Trickster.

Le terme de Trickster dans le sens où l'entendons ici a probablement été utilisé pour la première fois par l'archéologue et ethnologue Daniel Brinton en 1898. Il désigne un personnage particulièrement complexe, identifié d'abord dans certaines cultures indienne d'Amérique du Nord.
Ce personnage apparaît souvent en compagnie d'un "dieu créateur" dont il dérange les plans, mais dont la caractéristiques principale, la ruse, finit par se retourner contre lui. Le terme trickster peut se traduire par celui qui joue des tours avec une nuance de malice très présente.
S'il possède des pouvoirs divins, le Trickster n'est pas pour autant un dieu.
Paul Radin écrit que le Trickster (le terme a été traduit en français par Fripon divin) incarnerait : "les vagues souvenirs archaïques des âges primordiaux, où la différence entre ce qui est divin et ce qui ne l'est pas n'était pas encore nette. Le Fripon symbolise cette époque". Personnage ambivalent, il est donc le résidu d'un temps où les catégorie de bien et de mal n'existaient pas. "[...] le Fripon est à la fois créateur et destructeur [...]. Il ne connaît pas les valeurs sociales et morales, il est livré à ses convoitises et à ses passions et pourtant, toutes les valeurs sont souvent engendrées par ses actions". En tout état de cause il est un être "surnaturel", souvent comique, parfois amoral, voire fourbe (mais ces catégories ne le concernent pas comme nous l'avons vu) et qui prend souvent la forme d'un animal agile : le coyote dans les Plaines de l'Amérique du Nord, l'araignée en Afrique, le lièvre, le corbeau (voir Tonto et son corbeau) ou encore le jaguar.
Nanabozo
Il apporte les bienfaits des techniques et la duplicité de la culture ; ni dieu, ni homme, ni animal il est cependant perçu comme un "héraut civilisateur  ; qui remet continuellement en question l'équilibre des forces cosmique. 

À partir des découvertes faites à son sujet, on a étendu la présence du Trickster à nombre de cultures et de continents (voir supra), sans oublier la mythologie nordique où il est personnifié par Loki.
On a par ailleurs extrapolé certaines caractéristiques comme par exemple de voir en lui le symbole de la liberté individuelle contre l'ordre établi.
Selon Elias Canetti, autre exemple, le Trickster porte la mémoire de cette faculté de métamorphose que la culture a perdu de vue. C. G. Jung y a vu un stade indifférencié de la conscience, une conscience qui dans son évolution a à peine quitté le plan animal. Karl Kerenyi le voit aussi bien dans les mythes grecs (Hermès) que dans la littérature (Reineke Fuchs chez Goethe, ou Felix Krull chez Thomas Mann) ; il est alors un "archi-fripon".

En ce qui me concerne, il est toujours un être surnaturel, ni dieu, ni homme, ni animal. Malicieux, rusé, amoral et farceur ; il contrecarre effectivement l'ordre établi mais autant par malice que par maladresse. Il transforme le cosmos (qui désigne un ensemble harmonieux, bien ordonné) en chaosmos, c'est-à-dire le caractère transitoire de l'agencement de notre monde face à l'inflexible férocité du chaos. 
Et surtout, un aspect que j'aime beaucoup : il est un personnage qui raconte des histoires tissées de mensonges, qui sont en fait les mythes qui parlent de lui

Vieux Bonhomme Coyote décide de façonner le monde.
Au début, l’univers était noyé sous les eaux. Vieux Bonhomme Coyote considéra le paysage est dit : « Ça manque de terre.» Il avait reçu du Grand Esprit le don de commander aux animaux qu’on appelait alors les Tribus Sans Feu. Alors il appela quatre canards afin qu’ils l’aident à trouver de la terre. Les canards plongèrent sous l’eau à la recherche de boue. Les trois premiers remontèrent à la surface aussi bredouilles qu’on peut l’être. Mais le quatrième – quatre était le chiffre sacré et attendu que c’est comme cela que ça se passe dans ce genre d’histoire - refit surface avec de la boue. … Vieux Bonhomme Coyote dit alors : « Maintenant, je vais pouvoir mettre de la terre ici et là. » Il fit les montagnes et dessina les rivières, créa les plaines et les déserts, les plantes et les animaux. Puis il conclut : « Je vais aussi y mettre des êtres humains. Comme ça, il y aura des gens pour colporter des histoires sur mon compte. » Avec la boue, il modela des hommes et des femmes aux corps élancés. Vieux Bonhomme Coyote fut satisfait de son travail. « Je les appellerai les Absarokees, dit-il, ce qui veut dire, les Enfants de l’Oiseau au Gros Bec. Un jour, les blancs qui n’y connaissent rien viendront et les appelleront les Crows. » -Mais que vont-ils manger ? Demanda l’un des canards. -Ils sont nus comme des vers, reprit un autre. Avec quoi comptes-tu les vêtir ? -C’est vrai, ajouta un troisième, ils sont beaux mais crèveront de froid pendant l’hiver. Vieux Bonhomme Coyote mesura à nouveau combien il ne pouvait pas encadrer les canards. Alors il reprit la boue et confectionna un curieux animal à grosse fourrure doté d’une paire de corne. -Voilà, dit-il, ils trouveront tout ce dont ils ont besoin chez cet animal. Je vais l’appeler Bison. Le quatrième canard avait assisté à tout cela en fumant une cigarette. -C’est un bien gros animal que tu créé là. Avec quoi veux-tu qu’ils le capturent ? demanda-t-il en expulsant la fumée de sa cigarette dans le visage de Vieux Bonhomme Coyote. -Eh bien, je vais créer un autre animal sur lequel ils pourront monter et qui les aidera à attraper le bison. -Et ce nouvel animal avec quoi le captureront-ils ? Questionna à nouveau le quatrième canard. -Ecoute-moi bien, mon canard, pourquoi faudrait-il que je m’occupe de tout en ce bas monde ? J’ai déjà créé l’univers, j’y ai mis ces gens et tout ce dont ils avaient besoin, ça suffit maintenant ! -Ben… s’ils ont tout ce qu’il leur faut, à quoi vont-ils occuper leurs journées ? À parler de toi ? - Ce serait pas si mal. -Oui, mais très vite emmerdant, commenta le canard. -Je vais leur faire plein d’ennemis, dix fois plus nombreux qu’eux. Ils seront obligés de se battre et d’inventer toutes sortes de rituels guerriers. Que penses-tu de ça ? -Ils seront exterminés. -Sûrement pas ! Parce que je ne les abandonnerai jamais. Les Enfants de l’Oiseau Gros Bec resteront mes préférés… même si leurs ennemis racontent aussi des histoires sur mon compte. -Et qu’adviendrait-il si le bison disparaissait ? -Ça n’arrivera jamais. Il y en a bien trop. -Mais imagine que ça se produise quand même. -Alors c’est que les êtres humains seront fait entuber. Je mes sens sale et fatigué. En plus je suis frigorifié à force de patauger dans cette flotte. Je crois que je vais inventer un système à vapeur pour réchauffer les corps. Vieux Bonhomme Coyote construisit la première hutte à sudation à l’aide de branches de saules et de peaux de bison. Il chauffa des pierres dans un grand feu et les plaça dans une sorte de puits au centre de la hutte. Enfin lui et les canards y pénétrèrent avant d’en refermer toutes les issues et d’y faire l’obscurité. -Ça t’embêterait d’éteindre ta cigarette ? demanda Vieux Bonhomme Coyote au quatrième canard. Le canard obéit et jeta sa cigarette sur les pierres chauffées à blanc. La fumée envahit la hutte. -Ça sent bon, dit Vieux Bonhomme Coyote. On devrait essayer de balancer d’autres trucs sur les pierres histoire de voir ce que ça donne. Il jeta des épines de cèdre qui se mirent à embaumer la cabane -Je garde l’idée des épines de cèdre pour les cérémonies qui se dérouleront dans le sauna. Et l’eau aussi. Faut beaucoup d’eau pour que l’atmosphère devienne presque insupportable. -Et tu crois qu’on en ressortira totalement purifié ? demanda le troisième canard. -Bien sûr, répondit Vieux Bonhomme Coyote. D’abord faudra verser quatre louches de flotte en hommage aux quatre directions. -Et aussi en hommage aux quatre canards… -Si tu veux, ajouta Vieux Bonhomme Coyote. Puis on versera sept louches de flotte pour la Grande Ourse. Et dix de plus. Parce que dix, quoi qu’on en dise, ça reste quand même un chouette nombre. Il tendit à Chacun des canards une brindille de saule afin qu’ils se grattent le dos. -Allez-y. Frottez-vous le dos avec ça. -À quoi ça sert ? demanda le deuxième canard. -Ça ramollit. Je veux dire que ça aide à faire sortir la sueur et que ça vous purifie Puis pendant que les canards s’exécutaient, Vieux Bonhomme Coyote dit : -Maintenant, je vais verser beaucoup d’eau sur les pierres. Sans compter le nombre de louchées. On va avoir extrêmement chaud et se retrouver purifiés comme jamais. Ce qu’il fit. L’atmosphère devint irrespirable. Il sortit de la hutte en laissant les canards à l’intérieur. Bien plus tard, après qu’il eut pris u bon bain pour se rafraîchir, qu’il eut festoyé et goûté quelque repos, il dit : -Super ! Je crois que je vais refiler la combine du sauna à ce nouveau peuple que je viens de créer. Ça leur servira de lieu de recueillement et de saint-sacrement en même temps. Ils penseront à moi chaque fois qu’ils y mettront les pieds. C’est un bien beau cadeau que je leur fais là. Quant aux canards, c’est aussi bien que personne ne sache ce qui a pu leur arrive. Puis Vieux Bonhomme Coyote se tailla un cure-dent dans une brindille de saule pour extirper un bout de viande qu’il avait de coincé entre deux molaires. - Le canard parfumé à la sauge, j’connais rien de meilleur….

Un Blues de coyote de Christopher Moore

À tel point qu'on peut s'interroger sur le mythe même du Trickster : ne serait-il pas une affabulation propagée par lui-même ?
En conclusion, il me semble que Diablo, du moins celui envisagé par Dave Cockrum & Chris Claremont dans les premiers épisodes des Nouveaux X-Men et dans la mini-série de 1985, est une belle représentation du Trickster.

Cependant, il me paraît aussi annoncer, ce qui est normal pour un héraut, un autre type de personnage : le Pícaro


(À suivre ....)

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