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Hap & Leonard (S01 - E01)

... Si les adaptations des récits de Joe R. Lansdale ne m'ont jamais convaincues (dans leur rapport au matériau d'origine) il n'en demeure pas moins que savoir qu'il y en a une nouvelle excite encore ma curiosité.
Hap & Leonard est une série de romans très sympathique et divertissante ; Joe R. Lansdale réussit à brosser le portrait de personnages (les deux principaux mais pas seulement) qui au fil de leurs aventures pleines de péripéties tordues et loufoques sont devenus un peu comme des copains que l'on voit de loin en loin mais toujours avec beaucoup de plaisir.
Le genre de type qu'il est rassurant de savoir qu'il sont là.
Sur le papier le choix des deux interprètes (choix capital pour ce genre de projet qui repose en grande partie sur leurs épaules) marche plutôt bien.
Malheureusement après avoir vu le premier épisode de la série ce n'est plus tout  à fait la même chanson.
Du moins en ce qui concerne l'idée que je me faisais de Hap et Leonard.
Michael K. Williams & James Purefoy manquent cruellement de préparation, surtout au niveau de leur connaissance des sports de combat : la séance de pugilat qui les oppose est de mon point de vue une très grosse erreur tant les deux acteurs semblent n'avoir jamais mis les pieds sur un ring ou sur un tatamis.
Et la mise en scène n'enjolive pas la situation.
Mieux aurait valu se passer de cette séquence.
Idem au niveau du physique, j'aurais bien vu des acteurs un peu plus affûtés, pas des culturistes mais des types un peu plus costauds dont on sait en les voyant qu'ils gagnent leur vie avec leurs muscles.
Cela dit pour ce qui est des freaks qui peuplent les romans du romancier texan, j'ai retrouvé dans cet épisode la patte de Lansdale, capable d'écrire ces laissés pour compte du "Rêve américain" avec une distance ironique mais aussi un regard bienveillant.
L'autre atout des romans c'est l’amitié qui lit les deux personnages, et de ce côté-là c'est aussi plutôt réussi.
Or donc un premier épisode en demi-teinte, néanmoins la deuxième partie du show si je puis dire est un cran au-dessus et augure bien de la suite.
Joe R. Lansdale & Nick Damici
Pour terminer ce billet je vous propose un extrait du roman dont s'inspire la première saison de la série (ce chapitre est d'ailleurs retranscrit assez fidèlement dans le premier épisode).
Il s'intitule Les Mécanos de Vénus, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Bernard Blanc, éditions Denoël (existe aussi en version poche) :


On peut investir beaucoup d’intelligence dans l’ignorance quand on a vraiment besoin de s’illusionner. 

Saul BELLOW 


 Mettez tous vos œufs dans le même panier — ET SURVEILLEZ-LE ! 

 Mark TWAIN 
1 

L’après-midi où tout commença, j’étais avec mon pote Leonard Pine dans le grand champ derrière chez moi. J’avais mon calibre 12 et lui, il lançait les pigeons d’argile.
— Envoie ! criai-je. Leonard déclencha le mécanisme et une nouvelle cible monta vers le ciel ; je levai brusquement mon fusil et la fauchai en plein vol.
— Mec, lâcha Leonard, tu rates jamais ?
— Seulement quand je le fais exprès. 
J’avais remplacé les vrais oiseaux par des morceaux d’argile depuis un bail. Aujourd’hui, je n’aime plus tuer quoi que ce soit, mais j’apprécie toujours autant le tir. Viser, appuyer sur la détente, sentir le recul de l’arme dans mon épaule et regarder la cible exploser en mille morceaux — tout ça m’apportait une satisfaction très particulière. 
— Faut que j’ouvre une autre boîte, annonça Leonard. Tous les pigeons sont morts. 
— C’est à mon tour de lancer, dis-je. À toi le fusil. 
— J’ai tiré deux fois plus que toi et j’ai raté la moitié de ces bestioles. 
— C’est pas grave. J’ai les yeux qui fatiguent de toute façon. 
— N’importe quoi ! Leonard se redressa, essuya ses grandes mains noires sur son pantalon kaki et vint prendre le .12. Il était sur le point de le charger et moi d’armer le lanceur lorsque Trudy apparut à l’angle de la maison. On la vit tous les deux en même temps : j’étais en train de me tourner pour saisir une autre boîte de pigeons d’argile et Leonard pivotait pour ramasser des cartouches — et elle était là qui s’avançait vers nous en se dandinant dans le soleil. — Bordel, grommela Leonard. Voilà les emmerdes qui débarquent… Trudy avait environ quatre ans de moins que moi, trente-six ans, mais elle en paraissait toujours vingt-six. Elle avait de longs cheveux blonds et des jambes à n’en plus finir — de belles jambes bronzées aux cuisses fermes. Et elle savait s’en servir : elle avait ce genre de démarche qui lui chaloupait les hanches et donnait à ses seins ce charmant petit rebond capable de te foutre un conducteur dans le fossé au premier coup d’œil. Son chandail beige moulant prouvait qu’elle n’avait toujours pas besoin de soutien-gorge et sa jupe noire très courte me rappela la fin des sixties, quand elle portait des minijupes. C’était l’époque où j’avais fait sa connaissance : elle deviendrait une artiste célèbre, et moi, je trouverais un moyen de sauver le monde. Pour autant que je sache, sa carrière artistique n’était jamais allée plus loin qu’une table à dessin et l’habillage de mannequins dans des vitrines de magasins. De mon côté, mon sauvetage du monde s’était limité à signer quelques pétitions pour des causes diverses allant du recyclage des canettes en alu à la défense des baleines. Aujourd’hui, je jette mes canettes à la poubelle et j’ignore tout du sort des cétacés. 
— Fais gaffe à elle, me souffla Leonard, avant qu’elle ne soit à portée de voix. 
— Je ne la quitte pas des yeux. 
— Tu m’as très bien compris. Ne viens pas pleurer chez moi si elle te refait le même coup que les autres fois. Écoute bien ce que je te dis. 
— Je t’entends. 
— Ah ah ! Et une bite dure est sans conscience. 
— C’est pas ça, et tu le sais. 
— Il n’y a pas de fumée sans feu… Alors que Trudy s’approchait, son visage éclairé par le soleil de midi, je remarquai que, finalement, ses vingt-six ans étaient loin. Les pores de son nez était un peu plus dilatés que jadis, elle avait des pattes-d’oie autour des yeux et des rides du sourire aux coins des lèvres. Elle avait toujours aimé rigoler et un rien la faisait marrer. Je me souvenais très bien de la manière dont elle se poilait quand elle prenait son pied au lit. À l’époque, son rire était aussi joyeux qu’un chant d’oiseau. C’était le genre de choses dont je ne voulais pas me rappeler, mais ça restait gravé en moi, intact, comme une épine plantée dans mon cerveau. Quand elle nous sourit, je sentis cette journée de janvier se réchauffer un peu. C’était un pouvoir qu’elle avait sur les hommes ; elle en était consciente. Femme libérée ou pas, elle ne se privait pas d’abuser de ce talent. 
— Salut, Hap, fit-elle. 
— Salut, répondis-je. 
— Leonard, dit-elle. 
— Trudy, murmura Leonard. 
— Vous faites quoi, les mecs ? 
— Ball-trap, dis-je. Tu veux essayer ? 
— Sûr. Leonard me rendit le fusil. 
— Faut que j’y aille, Hap. Je passerai te voir plus tard. T’oublieras pas mon conseil, hein ? Je fixai son visage sévère, aussi noir qu’une prune, et grognai : 
— Promis, je m’en souviendrai. 
— Ouais, ouais. À plus, Trudy. Sur ces mots, il s’éloigna à grands pas à travers la prairie, en direction de la maison devant laquelle il avait garé sa voiture. 
— Qu’est-ce qui lui prend ? demanda Trudy. Il a l’air à cran. 
— Il ne t’aime pas. 
— Ah oui. J’avais oublié. 
— Non, t’avais pas oublié. 
— Bon, d’accord, j’avais pas oublié. 
— Tu veux tirer la première ? 
— Je préférerais aller chez toi et boire un café. Il fait un peu frisquet ici. 
— T’es pas habillée pour l’hiver. 
— J’ai mis des bas. Ça tient plus chaud qu’il n’y paraît. Mais pas assez. Et puis, ça fait un moment que je ne t’ai pas vu… 
— Presque deux ans. 
— … Et j’avais envie d’être jolie. 
— C’est réussi. 
— T’as l’air en forme aussi. Quelques kilos de plus ne te feraient pas de mal, mais tu as bonne mine. 
— Toi, t’as pas besoin d’un gramme de plus ou de moins. Tu es superbe. 
— C’est la danse jazz. J’ai acheté un disque et je fais les exercices. Les femmes d’un certain âge comme moi ont besoin de ça pour rester en forme. Je laissai échapper un petit rire. 
— OK, femme d’un certain âge. Aide-moi à ramasser tout ça et on rentre. Elle s’assit à la table de la cuisine, me sourit et parla de la pluie et du beau temps. Je pris le café dans le placard en essayant de ne pas me souvenir de ce qu’on avait vécu ensemble, mais c’était impossible. Après avoir mis la cafetière sur le feu, je m’installai en face de Trudy. Il faisait bon dans la pièce grâce aux radiateurs à gaz, et j’étais assez proche d’elle pour sentir l’odeur de son savon à la menthe et un soupçon de parfum, dont elle s’était probablement tapoté l’arrière des oreilles, le creux des genoux et le dessous du nombril. Elle se parfumait déjà comme ça, à l’époque, et je me sentis fondre à cette seule pensée. 
— Tu bosses toujours dans les champs de roses ? demanda-t-elle. 
— On a retourné la terre il y a quelques jours. Notre patron en a terminé avec cette partie du travail. Il n’aura pas besoin de nous avant un moment. Elle hocha la tête, passa une main aux ongles longs dans ses cheveux, et je vis briller une petite boucle en or à son oreille. Je ne sais pas ce que ce geste et la vision de ce bijou avaient de spécial, mais cela me donna envie de la prendre dans mes bras, de l’allonger illico presto sur la table et de rattraper ces deux ans de manque d’elle. Au lieu de quoi, je me rabattis sur un souvenir — l’un de mes préférés. Cette soirée en boîte où elle portait un chemisier rayé noir et blanc et une minijupe… J’avais vingt-trois ans et elle dix-neuf. Sa façon de danser et de bouger quand elle ne dansait pas, son odeur, tout ça m’avait rendu fou de désir. Ce soir-là, j’ai murmuré quelque chose à son oreille, elle a ri, on a récupéré ma Chevy et roulé jusqu’à notre aire de stationnement préférée sur une colline couverte de pins. On s’est déshabillés l’un l’autre et on a fait l’amour lentement sur le capot de ma voiture réchauffé par le moteur. La lune nous éclairait comme si c’était un lampion d’amour rien que pour nous deux ; on aurait dit que la légère brise d’été agitait un éventail de plumes sur nos corps. Et à part l’acte sexuel lui-même, je me rappelle surtout que, à ce moment-là, je me sentais incroyablement fort et immortel. La vieillesse et la mort me semblaient aussi folles et improbables qu’une histoire d’ivrogne prétendant s’être promené sur une étoile. 
— Comment va… Euh, comment il s’appelle déjà ? Howard ? Je n’avais pas eu l’intention de poser cette question, mais les mots s’échappèrent de mes lèvres malgré moi. 
— Il va bien. On a divorcé. Ça fait un an maintenant. Je crois que je ne suis pas douée pour le mariage. Je t’avais et j’ai tout foiré, n’est-ce pas ? 
— Je ne suis pas une grande perte. 
— Je t’ai quitté pour Pete, puis j’ai quitté Pete pour Bill, et j’ai plaqué Bill pour Howard. Ça n’a marché avec aucun d’eux, ni avec ceux que j’ai rencontrés en chemin et que je n’ai pas épousés. Aucune de ces relations n’a égalé la nôtre. Et les hommes comme toi sont de plus en plus difficiles à trouver. Vu que le compliment était un peu lourdingue, je n’y répondis pas. Je vérifiai que le café était prêt et j’en remplis deux tasses. Quand je lui tendis la sienne, elle leva les yeux vers moi et j’essayai de lui dire quelque chose sur un ton fraternel, mais en vain. 
— Tu m’as manqué, Hap…, lâcha-t-elle. Vraiment manqué. Je posai ma tasse à côté de la sienne, elle se leva, je la pris dans mes bras et on se roula une pelle. La terre ne trembla pas, mon cœur ne s’arrêta pas — mais ce n’était pas loin. On commença à se tripoter tout en se dirigeant vers la chambre et en semant nos vêtements sur le sol au passage. Sous les couvertures, on se lança de nouveau dans cette lente et agréable danse de l’amour, et elle laissa échapper ce rire que j’aimais tant, ce rire aussi doux et joyeux que le chant d’un oiseau. Et à ce moment-là, je m’en foutais de me souvenir que même la pie-grièche, le plus prédateur de tous les oiseaux, était capable elle aussi de chanter joliment.

(À suivre ....)

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