Accéder au contenu principal

Astro City [Des Ailes de plomb] Panini

Influencé, selon ses propres dires, par Super-Folks, le roman de Robert Mayer ; paru en 1977. Un ouvrage qui concentre et quintessencie les aspirations les plus sombres, et les plus au diapason de son époque (en anglais on dit « relevant ») [Pour en savoir +], en matière de récit de super-héros. 
Livre à qui on prête une influence notable sur quelques-uns des plus éminents scénaristes travaillant (alors et encore aujourd'hui pour certains) dans la bande dessinée de super-héros & affiliés. 

Même si selon mes recherches (et la lecture du roman en question) la manière dont Super-Folks traite des super-héros est, hormis un sujet bien précis, déjà très présent dans une bonne partie des scénarios de l'époque.  [Pour en savoir +]
Kurt Busiek donc, puisque c'est de lui qu'il s'agit, a ainsi créé, sous l'influence dudit roman*, quelques-unes des meilleures séries mainstream, commercialisées outre-Atlantique. Du moins si je me fie à mes propres goûts. 
Astro City, série publiée dès 1995 en fait partie. 
       Avec Brent Anderson, son dessinateur, il emprunte, pour le personnage principal du recueil intitulé « Des Ailes de plombs », la physionomie de l'acteur Robert Mitchum ; et la dialectique du mélodrame, conjugué à celle du récit de gangsters. 
Robert Mitchum

Ce deuxième aspect est d'ailleurs immédiatement révélé en ce qu'il évoque la couverture d'un de ces paperbacks (livres de poches), qui ont tant fait pour la réputation des récits hard-boiled et des roman « noir ». 

La série Astro City, d'après Busiek lui-même, n'est pas tant un récit d’événements à suivre, qu'une façon de se demander de quelle manière, ce qui s'y passe, affecte les protagonistes. Et le regard par lequel les lecteurs.rices voient les choses est soit celui des habitants de la ville d'Astro City, dénués de super-pouvoirs ; soit celui des super-héros, ou comme c'est le cas ici, des super-vilains, de seconde zone. 

À l'instar de Marvels, la mini-série de 1994, dessinée par Alex Ross (qui signe ici les couvertures), et qui donnait à relire une partie de l'histoire de l'univers Marvel par le biais de Phil Sheldon, un photographe du quotidien new-yorkais le Daily Bugle ; la série Astro City donne la parole à ceux qui d'ordinaire ne la prennent pas. 

Une partie du plaisir qu'on peut prendre à lire cette série vient aussi de ce que Busiek & Anderson s'inspirent de personnages, voire de situations déjà vues. Aussi bien chez l'éditeur Marvel Comics, que chez sa Distinguée Concurrence. Mais Samaritan ou Winged Victory ne sont ni Superman, ni Wonder Woman
Les super-héros (et super-héroïnes) et super-vilain.e.s d'Astro City sont plutôt ce qu'il conviendrait d'appeler, les « fantômes sémiotiques » de ces personnages, plus ou moins emblématiques, de la BD américaine mainstream. Une sorte de rayonnement fossile, résultant d'un imaginaire collectif largement postmoderne. 

Ou dit autrement, Samaritan est le résultat d'une association d'idées, ici sciemment voulue par l'auteur, mais qui n'est pas seulement le modèle dont son fantôme sémiotique est le résultat. 

       Or donc, Astro City, miroir aux silhouettes de la taille d'une ville, et d'une certaine manière métaphore du genre lui-même, s'apprécie d'autant plus que l'on aura une bonne connaissance des divers personnages qui ont animé les aventures de l'Âge d'argent™, publiées (principalement) par Marvel et DC. Et qu'on garde un faible pour la naïveté dont ils faisaient preuve, avant les chamboulements de ce qu'on a appelait le « grim & gritty ». 

Ce qui n'est pas le moindre des paradoxes puisque, Super-Folks, Pierre de rosette du Champollion Busiek, est lui-même un roman à l'ambiance sombre & sordide. 

Busiek, et c'est peut-être en partie ce qui fait qu'Astro City n'a visiblement pas fonctionné en France, écrit sa série, du moins au début, à la manière de Madeleine Proust. La nostalgie pour un âge révolu, qui ne fait pas forcément partie de la culture des lecteurs français modernes, y est très présente. 
On peut bien sûr me rétorquer qu'il n'y a pas plus d'affinité entre le lecteur américain d'aujourd'hui et ce passé. Ce avec quoi je serais tout à fait d'accord, s'il n'y avait pas un phénomène d'imprégnation, une sorte de « ruissellement » propre aux cultures dans lesquelles nous baignons. Et qui nous permet de ressentir au travers de choses avec lesquelles nous n'avons pas été directement en contact. 

       « Des Ailes de plombs », l'arc en 7 parties (comme autant de fascicules publiés mensuellement d'avril 1998 à janvier 2000) qui nous intéresse ici, traduit par Jérémy Manesse, repose donc sur la forme du mélodrame. Entendue comme un récit qui suscite l'empathie du lecteur ou de la lectrice, avec un ou des protagonistes, victime(s) de force(s) qui les dépassent. 
Pour y voir plus clair, détaillons ce qui fait du mélodrame ce qu'il est : 
• Un personnage principal victime 
• Des péripéties providentielles ou catastrophiques (au détriment d'une causalité réaliste) 
• Un traitement qui met l'accent sur le pathétique de la situation. 

Autrement dit, le mélodrame est un récit qui révèle des vérités morales et émotionnelles à travers une dialectique entre pathos et action. Un portrait robot qui correspond trait pour trait à ce quatrième volume de la série, publié par Panini. Lequel partage d'ailleurs une intrigue quasi semblable à celle de Super-Folks

       En définitive, « Des Ailes de plombs », dont le pathos du titre original (« Tarnished Angel ») n'est peut-être pas aussi explicite que sa traduction, montre que les histoires de super-héros, sont encore capables de réserver de belles surprises. Et qu'il est tout à fait possible d'écrire des histoires originales, alors même qu'on s'inspire pourtant d'idée ayant déjà largement fait leurs preuves. 
Toutefois, ce n'est clairement pas sur le terrain de l'intrigue, un poil désuète et assez naïve, qu'il faut attendre Busiek. 
 ___________ 
* Super-Folks est désormais disponible en français, et en poche, sous le titre de Supernormal

Commentaires

  1. Peut-être que "Astro City" aura une seconde chance auprès du public français car, je crois, Urban Comics en préparerait de nouvelles traductions en recueils. C'est effectivement une oeuvre magnifique, aujourd'hui arrivée à son terme sous forme de fascicules en vo, mais que Busiek entend prolonger via des "graphic novels" (sans doute un format et un rythme plus confortables alors que la série accusait des retards fréquents auparavant).

    Par ailleurs, ce sens de la synthèse qu'a Busiek pour (re)crééer des personnages inspirés de ceux de Marvel ou DC tout en produisant des créatures personnelles se retrouve, je trouve, aujourd'hui, chez le non moins talentueux Jeff Lemire avec sa série "Black Hammer" (à laquelle, je crois, tu avais consacrée un article) et ses "spin-off".
    Il y réinterprète des figures telles que Shazam, le Martian Manhunter, Darkseid... Mais sous un angle très original. Ce sentiment est souligné par le dessin très particulier de Dean Ormston, qui, comme Brent Anderson pour "Astro City", se distingue du tout-venant des artistes de Marvel ou DC.

    J'ignorai si "Superfolks" était dispo en vf, mais merci pour l'info. Je vais tâcher de me le procurer (tu es bon conseiller puisque, grâce à toi, j'avais découvert avec ravissement "La fantastique famille Telemachus" de Daryl Gregory).

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Triple frontière [Mark Boal / J.C. Chandor]

En même temps qu'un tournage qui devait débuter en 2011, sous la direction de K athryn B igelow, Triple frontière se verra lié à une tripotée d'acteurs bankables : S ean P enn, J avier B ardem, D enzel W ashington. Et même T om H anks. À ce moment-là, le titre est devenu Sleeping dogs , et d'autres noms circulent ( C hanning T atum ou encore T om H ardy). Durant cette période de valses-hésitations, outre M ark B oal au scénario, la seule constante restera le lieu où devrait se dérouler l'action. La « triple frontière » du titre est une enclave aux confins du Paraguay , du Brésil et de l' Argentine , devenue zone de libre-échange et symbole d'une mondialisation productiviste à fort dynamisme économique. Le barrage d' Itaipu qui y a été construit entre 1975 et 1982, le plus grand du monde, produirait 75 % de l’électricité consommé au Brésil et au Paraguay . Ce territoire a même sa propre langue, le « Portugnol », une langue de confluence, mélange d

The Words

... The Words ( Les Mots ) est un film qui avait tout pour me séduire : le roman en tant qu'élément principal, des acteurs que j'aime bien ; D ennis Q uaid, J eremy I rons, J . K . S immons et B radley C ooper. Éléments supplémentaire l'histoire se révèle être une histoire dans l'hisitoire. Ou plus exactement un roman à propos de l'écriture d'un roman, écrit par un autre ; entre fiction et réalité.  Je m'explique. Clay Hammon fait une lecture public de son dernier livre The Words dans lequel un jeune auteur, Rory Jansen , en mal de reconnaissance tente vaille que vaille de placer son roman chez différents éditeurs. Cet homme vit avec une très belle jeune femme et il est entouré d'une famille aimante. Finalement il va se construire une vie somme toute agréable mais loin de ce qu'il envisageait. Au cours de sa lune de miel, à Paris , son épouse va lui offrir une vieille serviette en cuir découverte chez un antiquaire, pour dit-elle qu'

Big Wednesday (John Milius)

Une anecdote circule au sujet du film de J ohn M ilius, alors qu'ils s’apprêtaient à sortir leur film respectif ( La Guerre des Etoiles , Rencontre du Troisième Type et Big Wednesday ) G eorge L ucas, S teven S pielberg et J ohn M ilius  auraient fait un pacte : les bénéfices de leur film seront mis en commun et partagés en trois. Un sacré coup de chance pour M ilius dont le film fit un flop contrairement aux deux autres. Un vrai surfeur ne doit pas se laisser prendre au piège de la célébrité  Un vrai surfeur ne doit pas se sentir couper des siens. Il ne doit pas courir derrière les dollars, ni gagner toutes les compétitions. [..] M idget F arrelly champion du monde de surf 1964  ... Big Wednesday est l'histoire de trois jeunes californiens dont la vie est rythmée par le surf ; on les découvre en pleine adolescence au cours de l'été 1962, et nous les suivrons jusqu'à un certain mercredi de l'été 1974.   L'origine du surf se perd dans la nuit des