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SUPER-FOLKS de Robert Mayer

       Super-Folks, le livre de Robert Mayer paraît durant l'année 1977 ; le sujet en est à première vue atypique, même au pays qui a vu naître Superman, car justement il parle de super-héros. Ce qui n'est pas fréquent dans le domaine du roman, surtout à l'époque. 

Paru durant ce que les aficiondos appellent l'Âge de Bronze™, Super-Folks a pour protagoniste principal un extraterrestre doué de super-pouvoirs.
Au moment où commence le roman celui-ci est marié à une femme qui ignore qu'il vient d'une autre planète, père de deux enfants - un troisième est en route, et il a presque perdu ses super-pouvoirs ; et il n'a plus remis son costume depuis bientôt neuf ans.


Mais avant de parler à proprement dit du roman de Mayer, je vous propose un petit panorama du paysage super-héroïque de l’époque. 

       La bande dessinée étasunienne de super-héros, le genre dominant outre-Atlantique est découpée en période : l'Âge d'Or™ qui commence avec l'arrivée de Superman dans les pages du magazine Action Comics en 1938, l'Âge d'Argent™ (ou la renaissance des super-héros qui ont connu un profond désintéressement au début des années 50, et une quasi disparition) en 1956 avec le numéro 4 de la revue Showcase qui propose un Flash nouvelle formule, et à sa suite d'autres super-héros de l'Âge d'or™, que DC Comics, l'éditeur de la revue, réactualisera.
Si ces deux périodes sont facilement identifiables, il n'en est pas de même pour la suivant, qu'on appelle communément l'Âge de Bronze™.

L'une des particularités de cette troisième période, est d'avoir produit de la bande dessinée dite relevant, c'est-à-dire, inscrite dans les problèmes de son temps.
Dés le début de l'année 1970, le duo Denny O'Neil & Neal Adams plonge Green Lantern et Green Arrow, deux personnages de l'écurie DC Comics, qui n'ont rien en commun (hormis une couleur), dans un monde plus terre-à-terre. Avec notamment, une confrontation mémorable entre la Lanterne Verte et un vieil homme noir (Cf. l'entretien avec Neal Adams). 

Entre mai et juillet 1971 la série du Tisseur de toile chez le concurrent traite de la consommation de drogue chez les jeunes ; assez paradoxalement, alors que Stan Lee avait été approché pour écrire sur le sujet par l'United States Department of Health, Education and Welfare, c'est-à-dire un département de l’administration fédérale, la Comics Code Authority (CCA) qui régule alors le contenu des comic books lui refuse l'apposition de son sceau. Car l'histoire de Spider-Man parle de drogue.
Une absence qui normalement compromet la distribution des revues, étant donné que les distributeurs refusent de diffuser les fascicules qui non pas le sacro-saint sceau. Cependant Marvel passe outre et les trois numéros d'Amazing Spider-Man (#96 - #98) reçoivent un bon accueil tant critique que public. Quelques mois plus tard c'est au tour de Green Arrow de découvrir que le jeune Speedy est devenu un junkie.
Cette fois-ci le sceau du CCA orne la couverture.

Et ces aventures ne se déroulent dans pas dans le courant underground, ou au sein d'un label pour "lecteurs avertis" mais bien dans les pages de séries populaires (ou du moins destinées à l'être).
Green Lantern & Green Arrow est en quelque sorte la série par qui le comic book "relevant" est entré sur le devant de la scène, une scène assez réduite si l'on en croit Carmine Infantino alors editor-in-chief de DC Comics qui s'explique en 1971 dans le supplément du New York Times.

Les comics ne sont plus (seulement) un moyen d'évasion, ils doivent être le miroir de la réalité, c'est en tout cas ce que demandent les kids à Infantino (Cf. Le New York Times du 2 mai 1971). Or donc, le terme "relevant" est celui qui qualifie des histoires qui s'inscrivent sur fond de questions sociales un aspect plutôt absent de la période précédente.

Cependant, il faut dire qu'à ce moment-là (au début des années 70) si 200 millions de fascicules de bande dessinée sont mis en vente, cela ne veut pas dire qu'ils sont nécessairement tous vendus ; et justement la série de Green Lantern n'était pas au mieux de sa forme. Donc Carmine Infantino était prêt pour n'importe quelle idée pourvue qu'elle marche.

Celle d'O'Neil a été de voir s'il était possible de combiner des faits journalistiques avec la flamboyance et la fantasy du genre super-héroïque, et ça a marché. Il faut dire que le style de Neal Adams est un atout non négligeable dans cette perspective.

Si le Superman de l'Âge d'or™ se coltinait déjà en son temps aux phénomènes sociaux : délinquance juvénile, violence domestique, et si Lois Lane n'a pas hésité, quelques années plus tôt, à se transformer en jeune Afro-Américaine le temps d'un épisode (#106) ; ce qui est nouveau avec la notion de comic book "relevant", c'est qu'il s'agit clairement d'un argument de vente notamment en direction des jeunes adultes.

Ce qui au demeurant n’enlève rien à la qualité de la série des deux super-héros verts (ni à d'autres de la même époque).


Steve Gerber (qui est un contre-exemple en matière de vente) quintessenciera cette approche dite relevant au travers de ses séries. The Defenders, Man-Thing ou Omega the Unknown auront souvent un arrière-plan social "réaliste" : les marchands de sommeil, les logements insalubre, les sectes, le racisme etc.
 
En tout état de cause l'Âge de bronze™ est aussi une période qui voit les super-héros Noirs prendre plus d'importance (conséquence du "relevant" ?). Luke Cage est ainsi le premier à avoir sa propre série, en 1972.

Les femmes se voient également promues.
 
Toujours en 1972, Gloria Steinem, une féministe et journaliste américaine lance le magazine Ms. (prononcer miz), qui n'a rien à voir avec la BD ; dans lequel elle déplore, et critique DC Comics pour avoir retiré ses pouvoirs à Wonder Woman (#179 nov-déc 1968) qui selon elle, est une représente du féminisme. L'Amazone fait d'ailleurs la couverture du premier numéro.
En 1977, mieux vaut tard que jamais, Carol Danvers deviendra l'editor (l'équivalent en France d'un poste entre directrice de collection et rédactrice-en-chef) de la revue Woman. Elle sera aussi accessoirement l'alter ego de Ms. Marvel, un personnage de la Maison des Idées.
Il est peut-être intéressant de noter que "Ms." (qui n'est pas l'abréviation d'un mot) est un terme non-discriminatoire (autrement dit politiquement correct) qui ne fait pas état de la position conjugale (sic) de celle à qui il s'adresse.
       L'Âge de bronze™ c'est aussi le retour des monstres dans le courant mainstream : Man-Thing, The Ghost Rider, Son of Satan ; de nouveaux magazines consacrés à l'horreur voient le jour : Ghostly Haunts chez Charlton, Weird War Tales chez DC, ceci grâce à un assouplissement du CCA.

C'est également un amoindrissement des pouvoirs de Superman et la disparition de la surface de la Terre de la kryptonite™, deux données dont semble s'être souvenu Robert Mayer.
Un traitement de faveur est réservé à la caractérisation des super-vilains : Ra'S Al Ghul, animé d'un fort sentiment écologique veut sauver le monde malgré lui. Et lesdits vilains, ne sont pas toujours là où on s'y attend. Captain América est bien placé pour le savoir lui qui combattra l'Empire Secret, un peu comme David Brinkley le personnage principal de Superfolks.
Et des personnages ambigus à l'image du Punisher font leur apparition. L'univers des super-héros se fait plus crépusculaire, lentement (mais pas totalement).

        Dés le lancement des Fantastic Four l'éditeur Marvel a tenté, au début des années 1960 de rapprocher la vie de ses personnages de celle de ses lecteurs : les Quatre Fantastiques en question doivent faire face à une expulsion de leur QG le Baxter Building, ou d'anciens concepts sont revisités : ainsi la permutation chère au Captain Marvel de l'Âge d'or™ est traitée sur le mode de la confrontation avec sa résurgence made in Marvel : Rick Jones ne vit pas forcément bien de se retrouver dans la Zone négative™ à chaque fois qu'il y a du suif, laissant sa place à un super-héros d'origine Kree
En outre les séries sont feuilletonnantes, ce qui permet de développer les personnages d'un épisode sur l'autre. Et de faire en sorte qu'ils ne soient plus détachés de ce qui leur est arrivé l'aventure précédente. Cette propension à faire évoluer les personnages entraîne de facto une inflation dramatique qui va mettre certains personnages face à des situations de plus en plus dures.

La fin de l'innocence est proche.
Notamment pour Spider-Man qui devra faire face à la mort de Gwen Stacy, sa bien-aimée.
Le monde des super-héros est un monde définitivement dangereux, Aquaman en saura quelque chose, lui qui perdra son enfant dans Adventure Comics n° 452 en juillet 1977.
En outre les années 1970 c'est aussi l'arrivée des super-héros à la télévision : Wonder Woman en 1974 puis dans une série de 1975 à 1977, Hulk en 1977 avant l'arrivée (en 1978) sur le grand écran de Superman.
C'est dans ce contexte que paraît Super-Folks de Robert Mayer._________
À noter que le roman de Robert Mayer est paru en France le 2 février 2017 chez l'éditeur Aux Forges de Vulcain sous le titre Supernormal.

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