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« Je suis ton père » Deathstroke #30-35

Christopher Priest a deux qualités que j’apprécie, forcément puisque j’en fais des qualités. 
           La première transparait dans son travail de scénariste depuis son passage sur la série Quantum and Woody, qu’il a contribué à créer (avec M.D. Bright) pour l’éditeur Valiant™ Acclaim Comics™, au crépuscule des nineties. Il y utilisait pour la première fois des intermédes en forme de « cartons » noirs, qui rythment depuis ses récits, dans lesquels il inscrivait des indications laconiques de lieux, et ce qui ressemblait à des titres de chapitres. 
Et, petit à petit, il affinera une mise en récit disons, « discontinue », coupée souvent par des interventions de personnages « face caméra », dont les propos (ici en V.O) ne sont pas immédiatement identifiables à l’intrigue en cours. S’ajoute à cela une propension à jeter ses lecteurs au cœur de ce qui se passe, sans explications préalables. 
Et, plus récemment, l'utilisation fréquente d'un « technoblabla », qui en fait cependant l’un des rares scénaristes mainstream étasuniens à prendre en compte l’aspect technophile de la société contemporaine. Il joue en sus de ces discours - parfois très pointus - pour accentuer un humour pince-sans-rire, qui ajoute à l’aspect (apparement) désordonné de ses récits. 
Christopher Priest est donc un scénariste qui demande à ses lecteurs de participer à ce qu’il raconte à un degré nettement plus important que ce qu’on nous demande habituellement sur ce type d’histoire, en complexifiant – intentionnellement - son storytelling. En cela il est un scénariste qu’on identifie immédiatement, pourvu qu’on ait eu affaire avec son style au moins une fois. Et c’est pour ça qu’il me plaît.
Priest a en effet réussi à avoir une « signature » dans une industrie qui par nature n’encourage pas ce type de comportement. Et puisque je suis de ces lecteurs qui suivent plutôt des scénaristes que des personnages, ça me va parfaitement. 
            Second point. 
Christopher Priest est un scénariste qui pense, et qui le dit, que l’anatomie n’est pas ne devrait pas être un destin. Il a d’ailleurs pris sous son aile Deathstroke, pour ne pas à avoir encore, à écrire un personnage afro-américain, sous prétexte qu’il est lui-même Noir. Une démarche qui va à l’encontre de la doxa du moment. Et un point de vue que je partage avec lui. 
            Or donc, «Deathstroke vs Batman » « Batman vs Deathstroke » car la locomotive des éditions Urban Comics™ est bien le Caped Crusader, quand bien même cet arc narratif est une partie indissociable du run que Priest à écrit pour le mercenaire borgne. 
Lequel se trouve - malgré lui - au cœur d’une recherche en paternité, susceptible de réécrire ce sur quoi repose la cohérence du dernier univers en date de l’éditeur américain. 
Car comme vous le savez peut-être, l’univers fictif de DC Comics™ est une sorte de palimpseste sur lequel une armée de scénaristes réécrit ce que leurs prédécesseurs, tout aussi nombreux, ont mis (parfois) du temps à bâtir. Ceci d’autant plus facilement que lesdits scénaristes ne sont ni propriétaires des personnages, ni des histoires qu’ils leurs écrivent.   
            Comme je le disais Christopher Priest a développé un style d’écriture reconnaissable entre tous. Si les faits ne s’enchaînent jamais longtemps dans un ordre chronologique, il ne donne pas toujours d’indications explicites pour le comprendre. Les scènes se succèdent ainsi dans une apparente continuité, pour finalement se révéler ne pas l’être. Les dialogues participent souvent de discussions dont les interlocuteurs connaissent - bien évidemment (?) - les tenants et les aboutissants, mais pas toujours le lecteur. Qui s’y trouve mêlé d’un moment à l’autre sans préambule, et s’en trouve éjecté tout aussi brutalement. C’est à la fois excitant, et horripilant. Parfois « en même temps » ! 
Ce qu’on ne peut en tout cas pas reprocher à Christopher Priest, c’est son sens de la synthèse.
            Pour qui connait un peu l’univers grouillant des super-héros made in DC Comics™, certaines –comme ici- de ses histoires résument avec beaucoup de clarté des pans entiers de ce sur quoi repose ce qu’il raconte. ……. Alors que son intrigue est des plus embrouillée. 
Oui je sais, c’est complétement contre-intuitif. 
Raison pour laquelle, il me semble que l’on a tout à gagner à lire ses arcs d’un bloc, et non pas au rythme de parution des fascicules. Même si sur cette série, je crois bien que l’éditeur étasunien proposait des sorties bimensuelles. 
            Une dimension que j’apprécie aussi chez lui, c’est que ses aventures ont des proportions de blockbuster. S’agissant ici d’un personnage tel que Deathstroke, dont la vie n’a pas été un long fleuve tranquille, pas question de passer des pages et des pages à s’apitoyer, ou à se sigmundfreuder à longueur de temps. Si la psychologie n’est pas absente, au contraire même, elle se dessine au travers des actions des protagonistes. On est dans une série d’aventure, un feuilleton super-héroïque, et Priest n’a visiblement pas honte d’en écrire.
Et cet arc est presque un symbole de cette écriture engagée dans l’action, puisque le thème aurait eu toutes les (bonnes) raisons de passer par les voies d’une méditation verbeuse sur : Qu’est-ce qu’être un père ? 
Question à laquelle le scénariste répond d'ailleurs avec beaucoup d'élégance.
Priest est nonobstant un homme du verbe (à plus d'une titre), mais ses textes ne sont jamais ennuyeux, ni n'apparaissent jamais verbeux. Soit ils servent le déroulé de l’histoire, soit ils sont amusants, même ses digressions techniques sont stimulantes. Bref on ne s'ennuie jamais.
             C’est d’ailleurs le mot qui me vient à l’esprit lorsque je pense à lui : stimulant. 
Si tous ses scénarios ne trouvent pas chez moi un lecteur comblé, ils sont toujours stimulants. 
Et ce « Batman vs Deathstroke », pour le coup, combine les deux : une stimulante statisfaction . [-_ô]
_________________
Traduit par Mathieu Auverdin, ce run de 6 numéros est dessiné par Carlo Pagulayan, et vendu pour la modique somme de 4,90 euros, dans le cadre d'une opération spéciale (à durée limitée). 
Il est en outre complété par trois autres numéros de la même série, où Deathstroke rencontre Superman (Deathstroke #6-8).

Commentaires

  1. Quel plaisir de lire ton analyse.

    Je n'ai réussi à lire Christopher Priest qu'avec cette saison de Deathstroke, de 50 et quelques épisodes. Je suis passé exactement par les stades de déstabilisation que tu décris : les cases d'intertitre, la narration discontinue, les propos dont on ne sait pas qui les profère, l'absence d'explications, l'humour à froid pas toujours facile à percevoir. Il m'a fallu une bonne dizaine d'épisodes pour réussir à m'adapter à cette forme narrative complexifiée très personnelle.

    Les dialogues participent souvent de discussions dont les interlocuteurs connaissent les tenants et les aboutissants, mais pas toujours le lecteur. [...] C’est à la fois excitant, et horripilant. A nouveau exactement mon ressenti.

    Du coup, je me suis jeté sur USAgent American Zealot, petite minisérie en 5 épisodes, mais, encore une fois comme tu l'écris, j'ai tout de suite reconnu les caractéristiques tellement uniques de l'écriture de Christopher Priest. Merci beaucoup pour ce billet.

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