Accéder au contenu principal

The Eternal [Chuck Austen/Kev Walker/Simon Coleby/Dave Sharp/Mike Raicht]

En 1975, après cinq ans passés chez la Distinguée Concurrence™, Jack Kirby revient chez Marvel™ où il a connu ses plus grands succès. Il y amène l'idée d'une nouvelle série de bande dessinée, fruit d'influences extérieures, et d'un recyclage de ce qu'il a déjà produit.
            Les Éternels1976-1978, puisque c'est de cette série dont il s'agit, est assez représentative du cœur nucléaire créatif qu'est devenu Jack Kirby. S'il consomme moult sources allogènes (la théorie des « anciens astronautes » d'Erich von Däniken, le « Mystère » Richard Shaver, Les Enfants d'Icare du romancier Arthur C. Clarke, voire certaines nouvelles de Sf d'Otto Binder), ainsi que ses propres travaux (Black Cat #59 ou Fantastic Four #64) ; il transforme le tout en un nouveau combustible, capable d'énergiser l'imaginaire de n'importe quel lecteur. Même si pour le coup cette nouvelle série ne connaitra que 19 numéros sous son égide. Les temps ont changé, pas Kirby.
            La sortie cette année d'un film au titre homonyme, réalisé par Chloé Zaho, a remis sur le devant des linéaires les différentes séries de BD que Marvel™ a publiées avec ces personnages, inventés par Kirby. 
Car, comme vous le savez peut-être, chez l'éditeur Marvel™, les personnages créées dans ses magazines restent la propriété de la maison d'édition. En outre, pour garder la main sur le noms desdits personnages, ou des groupes qu'ils forment, l'éditeur doit en faire usage régulièrement, sinon les uns et les autres tombent dans le domaine public. Marvel™ a expérimenté ce type d'avanies il y a quelques années avec l'un de ses groupes de super-héros, The Champions, dont le nom a dû être changé en The Ordercar un autre éditeur étasunien se l'était accaparé pour son propre usage.
Ceci étant, au moins une série (à ma connaissance) consacrée aux Éternels n'a pas eu l'heur d'une nouvelle édition à l'occasion de la sortie en salle du film. 
            « The Eternal », la série en question, six numéros parus entre le mois d'août 2003 et celui de janvier 2004, sous le label MAX de l'éditeur, met en scène une uchronie, dont le Point Renouvier® est l'interférence extraterrestre dans l'évolution humaine, comme chez Kirby. Mais plutôt que de situer son scénario à l'époque contemporaine de sa publication, comme l'avait fait son illustre prédécesseur, le scénariste Chuck Austen en reste aux premiers pas de l'humanité.
Les temps ont changé, disais-je lors du retour de Kirby chez Marvel™ ; 30 ans plus tard c'est plus que jamais le cas. En effet, jamais une série n'a aussi bien mérité l'avertissement «Parental Advisory Explicite Content » qu'arboraient les couvertures du label MAX. Gore, très gore, «  The Eternal » est aussi sexuellement très explicite, et corolaire de ce choix, elle est aussi peu avare en nudité, surtout féminine.
            Ces six numéros qui forment une histoire complète (et qui à l'origine devait être les premiers d'un CDI), garde l'esprit qu'avait insufflé Jack Kirby dans son propre projet, à savoir que les Éternels étaient la source des mythologie humaines. En même temps qu'il change la nature des personnages éponymes, label MAX oblige et inclination personnelle* aussi, Chuck Austen joue la carte religieuse. Une belle prise de risque dans un pays dont le président prête serment sur la Bible lors de sa cérémonie d'investiture.
Or donc, c'est à une réécriture de la Genèse que se livre Austen. Et plus singulier encore, l'un des leviers dramatiques qui articule cette histoire semble venir tout droit des pages de Là-bas1891, le roman de Joris-Karl Huysmans. Un emprunt (?) qui trouve, cela dit, parfaitement sa place, puisque l'écrivain parisien y inventait un  nouveau péché ; le « pygmalionisme » !
            Ce péché n'est pas facile à expliquer nous dit Durtal le personnage principal de Là-bas, mais il se lance : « dans la province de la Luxure, on relève, si je ne me trompe, le péché ordinaire, le péché contre nature, la bestialité, ajoutons-y, n’est-ce pas, la démonialité et le sacrilège. 
Eh bien, il y a, en sus de tout cela, ce que j’appellerai le Pygmalionisme, qui tient, tout à la fois, de l’onanisme cérébral et de l’inceste. 
Imaginez, en effet, un artiste tombant amoureux de son enfant, de son œuvre, d’une Hérodiade, d’une Judith, d’une Hélène, d’une Jeanne d’Arc, qu’il aurait ou décrite ou peinte, et l’évoquant et finissant par la posséder en songe ! — Eh bien, cet amour est pis que l’inceste normal. Dans ce crime, en effet, le coupable ne peut jamais commettre qu’un demi-attentat, puisque sa fille n’est pas née de sa seule substance mais bien aussi d’une autre chair. Il y a donc, logiquement, dans l’inceste, un côté quasi-naturel, une part étrangère, presque licite, tandis que, dans le Pygmalionisme, le père viole sa fille d’âme, la seule qui soit réellement pure et bien à lui, la seule qu’il ait pu enfanter sans le concours d’un autre sang. Le délit est donc entier et complet. Puis, n’y a-t-il pas aussi mépris de la nature, c’est-à-dire de l’œuvre divine, puisque le sujet du péché n’est plus, ainsi que dans la bestialité même, un être palpable et vivant, mais bien un être irréel, un être créé par une projection du talent qu’on souille, un être presque céleste, puisqu’on le rend souvent immortel, et cela par le génie, par l’artifice ? 
Allons plus loin encore, si vous le voulez ; supposez qu’un artiste peigne un saint et qu’il s’en éprenne. Cela se compliquerait de crime contre nature et de sacrilège. Ce serait énorme ! »
Si Chuck Austen ne suit pas à la lettre la définition de Durtal, c'est plutôt bien imité. 
Inutile de vous dire qui est l’œuvre en question, vu le contexte.
            Pour mener à bien son entreprise blasphématoire Chuck Austen s'est entouré d'une duo d'artistes britanniques dont le style est en adéquation parfaite avec le propos violent et décadent du scénario. Cependant Kev Walker et Simon Coleby savent également véhiculer toutes les émotions dont l'être humain est capable ; si « The Eternal » est une entreprise de démolition (dans tous les sens du terme) ses personnages sont aussi des individus. Et grâce au talent combiné du dessinateur et de l'encreur nous n'ignorerons rien de leurs dilemmes.
            Si « The Eternal » n'est manifestement pas la série du siècle, elle a tous les atouts pour devenir « culte », au sens originel du terme. Autrement dit une histoire ignorée du plus grand nombre, mais cultivée dans le for intérieur de quelques connaisseurs, et dont ils parlent entre eux. À l'heure de la transparence totale et de l'omniscience numérique, sans oublier l'ombre d'Anastasie et de sa moraline toxique, « The Eternal » est un pavé dans la mare d'un politiquement correct de plus en plus envahissant, et aveugle.
_________
            Inclination personnelle : Chuck Austen est connu pour avoir une approche « algébrique » (sic) (algebraic approach comics) de son travail. 
En effet s'il veut que l'événement C arrive, et que B en soit la cause, il n'hésite pas à changer A (c'est-à-dire le personnage principal). Autrement dit, plutôt que de travailler ses histoires en fonction d'un personnage pris tel qu'il est, Austen n'hésite pas à le modifier pour ses propres intérêts. Shocking! 
D'autant qu'un personnage, dans l'industrie de la BD étasunienne, c'est une marque commerciale, qui plus est sévèrement surveillée par une frange du fandom, dont la tolérance est inversement proportionnelle à la manière de faire savoir son mécontentement.  

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

The Words

... The Words ( Les Mots ) est un film qui avait tout pour me séduire : le roman en tant qu'élément principal, des acteurs que j'aime bien ; D ennis Q uaid, J eremy I rons, J . K . S immons et B radley C ooper. Éléments supplémentaire l'histoire se révèle être une histoire dans l'hisitoire. Ou plus exactement un roman à propos de l'écriture d'un roman, écrit par un autre ; entre fiction et réalité.  Je m'explique. Clay Hammon fait une lecture public de son dernier livre The Words dans lequel un jeune auteur, Rory Jansen , en mal de reconnaissance tente vaille que vaille de placer son roman chez différents éditeurs. Cet homme vit avec une très belle jeune femme et il est entouré d'une famille aimante. Finalement il va se construire une vie somme toute agréable mais loin de ce qu'il envisageait. Au cours de sa lune de miel, à Paris , son épouse va lui offrir une vieille serviette en cuir découverte chez un antiquaire, pour dit-elle qu'

Juste cause [Sean Connery / Laurence Fishburne / Ed Harris / Kate Capshaw]

« Juste Cause 1995 » est un film qui cache admirablement son jeu.             Paul Armstrong , professeur à l'université de Harvard (MA), est abordé par une vieille dame qui lui remet une lettre. Elle vient de la part de son petit-fils, Bobby Earl , accusé du meurtre d'une enfant de 11 ans, et qui attend dans le « couloir de la mort » en Floride . Ce dernier sollicite l'aide du professeur, un farouche opposant à la peine capitale.   Dès le départ, « Juste Cause 1995 » joue sur les contradictions. Ainsi, Tanny Brown , « le pire flic anti-noir des Everglades », dixit la grand-mère de Bobby Earl , à l'origine de l'arrestation, est lui-même un africain-américain. Ceci étant, tout le film jouera à remettre en cause certains a priori , tout en déconstruisant ce que semblait proposer l'incipit du film d' A rne G limcher. La déconstruction en question est ici à entendre en tant que la mise en scène des contradictions de situations dont l'évidence paraît pour

Nebula-9 : The Final Frontier

... Nebula-9 est une série télévisée qui a connu une brève carrière télévisuelle. Annulée il y a dix ans après 12 épisodes loin de faire l'unanimité : un mélodrame bidon et un jeu d'acteurs sans vie entendait-on très souvent alors. Un destin un peu comparable à Firefly la série de J oss W hedon, sauf que cette dernière bénéficiait si mes souvenirs sont bons, de jugements plus louangeurs. Il n'en demeure pas moins que ces deux séries de science-fiction (parmi d'autres telle Farscape ) naviguaient dans le sillage ouvert par Star Trek dés les années 60 celui du space opera . Le space opera est un terme alors légèrement connoté en mauvaise part lorsqu'il est proposé, en 1941 par l'écrivain de science-fiction W ilson T ucker, pour une catégorie de récits de S-F nés sous les couvertures bariolées des pulps des années 30. Les pulps dont l'une des particularités était la périodicité ce qui allait entraîner "une capacité de tradition" ( M ich