Accéder au contenu principal

HELLBOUND, L'ENFER [Yeon Sang-Ho / Choi Kyu-Sok]

Séoul. 
Dans un bar, de nos jours, des adolescents commentent une vidéo qu’ils sont en train de regarder sur un smartphone, on y voit un jeune homme affirmant qu’un certain nombre d’individus dans le monde ont reçu ces dernières années des notifications téléphoniques concernant le temps qu’ils leur restaient à vivre (entre 3 jours et 20 ans). 
Le jour dit de leur mort annoncée, trois « créatures » apparaissent et tuent le récipiendaire de ladite notification.
Le jeune homme de la vidéo, Jeong Jinsu, le fondateur d’une communauté religieuse – NEO VERITAS – y voit l’acte de Dieu lui-même. Car les « damnés » seraient « tous des criminels » selon lui. 
Toujours le même jour, pour la première fois, un Séoulite est l’objet d’une notification….. 
            Naguère la Corée du Sud, coincée entre le Japon et la Chine, n’était connue que pour ses exportations d’automobiles et de produits électroniques, ou pour son antagonisme avec le régime du Nord. Aujourd'hui elle est davantage connue pour sa culture populaire qui, reconnaissance suprême, y a gagné un nom la Hallyu, ou « vague coréenne ». 
            Un terme inventé par un journaliste chinois qui, dans les années 1990, mettait en garde l’empire du Milieu contre l'arrivée massive de la culture coréenne : les séries télévisées (ou drama) y faisaient des audimats records, des magasins de produits coréens s'implantaient dans les rues branchées de Pékin, les jeunes Chinois imitaient les idols, ces pop stars polyvalentes made in Matin calme, en se teignant les cheveux comme les membres du groupe coréen alors très populaire H.O.T.™. 
Une vague qui n'épargnait pas plus leurs mères, qui s'entichaient pendant ce temps des acteurs coréens, surnommés les « Italiens de l'Asie », à cause de leur jeu très démonstratif. 
La crise de 1997 a encore encouragé le gouvernement coréen a faire de l’exportation de sa culture populaire une nouvelle initiative économique, massivement soutenu par les chaebols, ces influents conglomérats d'entreprises, en lui fournissant le même soutien à l'exportation que jadis il le fit pour le secteur industriel. 
La Hallyu est de fait devenue un instrument de soft power, une quasi « marque nationale », une déferlante ; le reflet d'un désir ardent de se doter d’un pouvoir culturel indépendant dans le concert général de la mondialisation. 
Et surtout un pari à l’exportation réussi ! 
            Un outil d’influence qui passe néanmoins encore par la créativité industrielle. 
C’est ainsi que les « webtoons » ont vu le jour. Il s’agit d’un format de bande dessinée (manhwa) spécifiquement taillé pour la lecture sur smartphone, tablette ou PC. Plutôt que de faire de la BD numérisée en gardant la page comme support, il s’agit de proposer des histoires feuilletonnantes dont la lecture se fait verticalement, en « scrollant », case par case. 
« Hellbound », l’histoire scénarisée par Yeon Sang-Ho et dessinée par Choi Kyu-Sok est à l’origine un webtoon dont la publication a commencé en 2019, en Corée. Et que l’éditeur Delcourt™ via son label KBOOK, propose en édition papier en deux tomes. Traduits par Sabrina Damoune & Joonggun An.
Mais pas de panique, le premier tome commercialisé depuis le 10 novembre est tout à fait lisible pour les amateurs de bande dessinée « traditionnelle ». 
            En effet Choi Kyu-Sok privilégie un découpage pensé pour la page (et non pour des cases superposées les unes aux autres), qu’il modifie lors de la publication en ligne pour le format webtoon
Son style s’apparente toutefois, comme il le reconnait lui-même, à un story-board de film ou de série. (Et comme le monde de la Hallyu est bien fait « Hellbound » est devenue une série diffusée par Netflix™ en ce moment même). En outre, le sens de lecture des manhwas est le même que celui des BD occidentales. Rien qui ne s'oppose donc à quiconque de tenter l'aventure.
En tout cas il sera sûrement difficile de lâcher ce premier tome de 300 pages pour ceux qui s'y risqueront. 
            Choi Kyu-Sok & Yeon Sang-Ho, deux amis de longue date, qui n’en sont pas à leur coup d’essai, « Hellbound » trouve d’ailleurs une part de son origine dans le court-métrage animé The Hell (Two Kinds of Life) de Yeon Sang-Ho sorti en 2006, raconte une histoire qui certes n’est pas nouvelle, mais d’une manière qui donne pourtant l’impression de n’avoir jamais été racontée. 
La grande réussite de cette première partie tient incontestablement à la caractérisation des personnages. Chacun, quel que soit l’espace qu’il occupe dans l’histoire retient l’attention. 
Avec un savoir-faire consommé, les auteurs laissent entendre que ce que nous apprenons d’eux, ne constitue pas l’entièreté de ce qu’ils sont.
Un peu comme les « damnés ». 
            En conclusion « Hellbound » est certainement l’une des meilleures histoires que j’ai lues cette année. Reste que la seconde partie (à paraître le 5 janvier 2022) sera cruciale en ce qu’elle devra au moins égaler un premier tome en tout point époustouflant. 
Rendez-vous est pris !

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Triple frontière [Mark Boal / J.C. Chandor]

En même temps qu'un tournage qui devait débuter en 2011, sous la direction de K athryn B igelow, Triple frontière se verra lié à une tripotée d'acteurs bankables : S ean P enn, J avier B ardem, D enzel W ashington. Et même T om H anks. À ce moment-là, le titre est devenu Sleeping dogs , et d'autres noms circulent ( C hanning T atum ou encore T om H ardy). Durant cette période de valses-hésitations, outre M ark B oal au scénario, la seule constante restera le lieu où devrait se dérouler l'action. La « triple frontière » du titre est une enclave aux confins du Paraguay , du Brésil et de l' Argentine , devenue zone de libre-échange et symbole d'une mondialisation productiviste à fort dynamisme économique. Le barrage d' Itaipu qui y a été construit entre 1975 et 1982, le plus grand du monde, produirait 75 % de l’électricité consommé au Brésil et au Paraguay . Ce territoire a même sa propre langue, le « Portugnol », une langue de confluence, mélange d

The Words

... The Words ( Les Mots ) est un film qui avait tout pour me séduire : le roman en tant qu'élément principal, des acteurs que j'aime bien ; D ennis Q uaid, J eremy I rons, J . K . S immons et B radley C ooper. Éléments supplémentaire l'histoire se révèle être une histoire dans l'hisitoire. Ou plus exactement un roman à propos de l'écriture d'un roman, écrit par un autre ; entre fiction et réalité.  Je m'explique. Clay Hammon fait une lecture public de son dernier livre The Words dans lequel un jeune auteur, Rory Jansen , en mal de reconnaissance tente vaille que vaille de placer son roman chez différents éditeurs. Cet homme vit avec une très belle jeune femme et il est entouré d'une famille aimante. Finalement il va se construire une vie somme toute agréable mais loin de ce qu'il envisageait. Au cours de sa lune de miel, à Paris , son épouse va lui offrir une vieille serviette en cuir découverte chez un antiquaire, pour dit-elle qu'

Big Wednesday (John Milius)

Une anecdote circule au sujet du film de J ohn M ilius, alors qu'ils s’apprêtaient à sortir leur film respectif ( La Guerre des Etoiles , Rencontre du Troisième Type et Big Wednesday ) G eorge L ucas, S teven S pielberg et J ohn M ilius  auraient fait un pacte : les bénéfices de leur film seront mis en commun et partagés en trois. Un sacré coup de chance pour M ilius dont le film fit un flop contrairement aux deux autres. Un vrai surfeur ne doit pas se laisser prendre au piège de la célébrité  Un vrai surfeur ne doit pas se sentir couper des siens. Il ne doit pas courir derrière les dollars, ni gagner toutes les compétitions. [..] M idget F arrelly champion du monde de surf 1964  ... Big Wednesday est l'histoire de trois jeunes californiens dont la vie est rythmée par le surf ; on les découvre en pleine adolescence au cours de l'été 1962, et nous les suivrons jusqu'à un certain mercredi de l'été 1974.   L'origine du surf se perd dans la nuit des