Créée suite à un pari, la mini-série « Black Summer » est la première histoire de super-héros commercialisée par l'éditeur étasunien Avatar Press™.
William A. Christiansen, le boss de cette maison d'édition avait parié avec Warren Ellis que le scénariste anglais ne pourrait pas écrire - sous un nouvel angle, trois types d'histoire appartenant au patrimoine de la culture de masse : une BD de zombies, une aventure de Fantasy et, pour le cas qui nous intéresse ici un scénario de super-héros.
Après avoir respectivement éliminé les zombies (avec les 6 numéros de Blackgas) et la Fantasy (avec les 3 numéros de Wolfskin), il ne lui restait donc plus que les super-héros à épingler à son tableau de chasse.
Un (mauvais) genre qui n’était pas totalement étranger à Ellis, mais dont Christiansen voulait absolument se démarquer.
En effet William A. Christiansen avait, en tout cas à l’époque, une vision binaire du paysage éditorial de la bande dessinée américaine.
D’un côté les éditeurs qui commercialisaient des super-héros, autrement dit le courant dominant ou mainstream, et de l’autre ceux qui s’en abstenaient, et qu’il qualifiait d’indépendants.
Marvel™ & DC™ deux poids lourds de l’édition outre-Atlantique, connus sous le sobriquet de Big Two©, étant à eux deux le mètre-étalon de la manufacture de super-héros, Christiansen voulait quelque chose qu’ils n’auraient pas eux-mêmes publié. Quelque chose d’original.
Ayant carte blanche, Warren Ellis ira donc créer une histoire à partir de ses propres marottes – la science, le gauchisme culturel, des personnages borderlines ; tout en s’inscrivant (volontairement ou non) dans la tradition des
« Outlaw Comics », à laquelle souscrivait sans réserve d'ailleurs Avatar™.
Mais qu’est-ce qu’un « Outlaw Comics » ?
Tout d'abord, le nom de cette étiquette est sujet à caution, puisque évidemment donnée a postériori, elle est au surplus aussi peu connu que les bandes dessinées en question. Et que les créateurs de ce courant n'ont, au demeurant, jamais labellisé comme tel.
Si cette taxonomie est donc arbitraire, elle a toutefois l'avantage de circonscrire mon propos en lui donnant une définition, une généalogie et un nom.
C'est Glen Hammonds, le propriétaire d'une librairie qui, au début des années 1990, a ainsi catégorisé un certain nombre de comic books qu'il vendait, en les regroupant sous le nom d'Outlaw comics (qui vous vous en rendrez compte leur va comme un gant).
Et puisque dire c'est faire, il venait de créer un nouveau sous (mauvais) genre.
Classer, étiqueter, est un hobby dont la culture de masse fait de toute façon un usage considérable ; et quand ce ne sont pas les amateurs, ce sont les éditeurs qui classifient.
Reste à chacun d'en tirer ce que bon lui semble, rien n'est bien entendu écrit dans le marbre.
Or donc, les Outlaw comics (supra Grips de Tim Vigil & Kris Silver) forment une sous-culture qui donne à lire, de la manière la plus explicite et la plus démonstrative possible, la perversité, la violente, des sexualités extrêmes, (mais inversement ; absolument pas sexy, quoique...) dans des proportions que chaque auteur utilise à sa guise.
En outre ces bandes dessinées « à ne pas mettre entre toutes les mains », sont toutes dynamisées par la colère.
Colère contre la société, les nantis, les dealers, etc., c’est selon ; mais en tout cas la colère est omniprésente. C'est ce qui je dirais, différencie l'underground étasunien des Outlaw comics deux (mauvais) genre assez proches finalement. Quand bien même les comix sont cependant largement antérieurs.
Certaines de ces BD ont acquis une certaine notoriété, comme The Crow de James O'Barr par exemple (voir infra), ou sont devenue « culte », dans la première acception du terme, comme la série Faust de Tim Vigil & David Quinn [Pour en savoir +].
Crossed de Garth Ennis & Jacen Burrow, partage une partie de son ADN avec les Outlaw comics. Même si cette série est surtout la déclaration d'amour du natif de Holywood à la revue anglaise Action [Pour en savoir +], très tôt censurée par l'establishment, à une époque où la censure venait essentiellement du pouvoir, et non de lecteurs susceptibles.
Et c'est là que les Athéniens s'atteignirent.
En effet, Avatar™ sans être aussi confidentielle que le gratin des Outlaw comics, est une maison d'édition qui propose des bandes dessinées qu'on peut facilement rattacher au sous (mauvais) genre en question, notamment celle qui m'intéresse aujourd'hui,
« Black Summer ».
Toutefois petite précision, dans le cas de Garth Ennis et de Warren Ellis, deux auteurs connus, et reconnus par leurs pairs, utilisent la liberté que leur octroie cette notoriété pour repousser les lignes.
Dans le cas de l’univers des Outlaw comics, aucun des scénaristes ou des dessinateurs que j’étiquèterais du label n’a connu de consécration publique ou critique.
Seul James O’Barr y est parvenu, grâce au film d’Alex Proyas, sans pour autant pérenniser cette soudaine popularité.
Tout cela pour dire que si Avatar™ fait vivre l’héritage des Outlaw comics, et s’il n’y a pas de différence de degré entre Warren Ellis, Garth Ennis et Tim Vigil, James O’Barr ou encore David Quinn, il reste néanmoins une différence de nature [Pour en savoir +].
Mais de quoi « Black Summer » parle-t-il ?
Eh bien c'est assez simple.
Quelques jeunes scientifiques de gauche (évidemment), face à la corruption des forces de l'ordre de leur ville, de la mairie et des entreprises de surveillance, entreprennent de devenir des justiciers pour changer les choses, en utilisant des technologies d'avant-garde.
Chemin faisant il acquière une réputation digne des vedettes du show business, avant que leur fabuleuse histoire de pop stars du vigilantisme ne vole en éclat.
Au moment où commence « Black Summer », le leader des 7 Armes, c'est ainsi que se fait appeler l’équipe, John Horus donc, vient de commettre plusieurs homicides dont l’élimination du président des U.S.A.. Shocking !
Je ne crois pas gâcher l'histoire en l’annonçant tout de go, puisque la couverture du recueil commercialisé en France ne laisse pas vraiment place à l'interprétation.
Ce qui, soit dit en passant, n'est de toute façon pas le sujet des sept numéros + un prélude écrit par Warren Ellis et dessinés par Juan Jose Ryp.
En réalité, le scénariste, en tant qu'il voulait aborder le (mauvais) genre par un angle inédit, pose essentiellement une question : Quelle limite pour des justiciers auto-proclamés ?
Et à défaut de répondre clairement à la question, les deux compères nous en mettent plein les mirettes.
Et la part dans la réussite de cette mini-série est en grande partie l’œuvre de Juan Jose Ryp.
Si on rapproche le style du dessinateur espagnol de celui de Geof Darrow, en ce qu’ils partagent tous les deux une méticulosité dans les détails qui épuise la rétine, Juan Jose Ryp est aussi (et surtout dans le cas présent) le digne héritier de nombreux dessinateurs d’Outlaw Comics, dont l’obsession pour les détails en ont fait une quasi marque de fabrique.
En parlant de marque de fabrique, Warren Ellis est ce qu’il est convenu d’appeler un formaliste ; par exemple « Black Summer » devait selon la volonté d'Ellis paraître hebdomadairement sous la forme d’un fascicule de 8 pages (à l’instar du numéro 0 de la V.O.). C'est un auteur qui sait à merveille écrire des scénarios exploitant la force des dessinateurs avec lesquels il travaille.
C’est d’ailleurs ce qui rend son travail si intéressant.
Et ici, force est de reconnaître que Juan Jose Ryp donne la mesure de sa maestria pour le spectaculaire et le gore, que rehausse encore le coloriste Mark Sweeney, avec cette histoire taillée pour son talent.
On retrouve cette synergie dans No Hero (ci-dessous), une mini-série toujours d’Ellis avec Juan Jose Ryp ; qui formera avec Supergod (plus oubliable) la « Trilogie surhumaine ».
No Hero donc, qui perpétue aussi la tradition des Outlaw comics en poussant encore un peu plus les curseurs dans le glauque et le sordide.
En conclusion si Warren Ellis tente d’aborder le (mauvais) genre super-héroïque sous un nouvel angle, inédit et original selon lui, c’est surtout sur la forme qu’il convainc.
Reste toutefois deux histoires qui font la maille, No Hero peut-être encore une bonne tête au-dessus de « Black Summer ».
Dommage toutefois que le scénariste n’ait pas réfléchi à lier ces deux mini-série de manière organique (sic), et à creuser un peu plus certains personnages. Mais manifestement il était, comme souvent, plus obnubilé par la forme que par le fond.
Qui plus est l’idée de départ a pris un tour inattendu.
Car dans aucunes de ses interviews avant « Black Summer », ou immédiatement après, il n’évoque No Hero ou Supergod.
Pour ma part je pense qu’il est passé très près d’un petit chef d’œuvre.
PS : je n’ai pas pu m’empêcher de penser en lisant cette trilogie (même si pour ma part j’oublie volontiers Supergod), que Warren Ellis a été bien mal récompensé, lui qui donnait aussi régulièrement que possible, des preuves de son gauchisme culturel tout ce qu’il y a de plus conformiste dans le milieu de la culture de masse, en devenant la proie de plus progressistes que lui. Pour être tout à fait juste, Ellis dans ces deux mini-séries, égratigne néanmoins, mais avec bienveillance me semble-t-il, ses personnages quand bien même sont-ils de gauche.
Rattraper par la patrouille donc, il s’est dépêché de reconnaître ses torts, et de filer dans un quasi anonymat et une promesse de soins. En tout cas très loin des sunlights de la renommée qu’il était habitué à sentir réchauffer son ego.
Las ! Quels regrets de découvrir qu’il faisait partie des invertébrés.
Que ne donnerais-je pas pour lire un Warren Ellis qui se serait fait pousser une bonne paire de couilles, lui l'amateur de transhumanisme.
Un Warren Ellis vindicatif & pugnace qui règlerait enfin ses comptes avec le tribunal populaire progressiste (attention faux-ami), en écrivant un Black Summer (par exemple) où la police corrompue serait remplacée par des antifas (Ne vous laissez pas abuser car comme le disait en son temps Pier Paolo Pasolini « Le fascisme peut revenir sur la scène à condition qu'il s'appelle anti-fascisme. »), où Joshua Carver serait un tueur transsexuel, où un moteur de recherche leader sur le marché manipulerait ses résultats pour nuire à un candidat à la présidentielle des U.S.A.. Bref ce n'est pas la matière qui manque à gauche pour écrire une bonne fiction <sourire> où la gauche culturelle, qui n'a plus aucun repère, car devenue hégémonique, en prendrait enfin pour son grade.
Il est permis de rêver, non ?!
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