Passionnant parcours que
celui de Kiyoshi Kurosawa. Passant d’un genre à l’autre avec aisance, d’une
commande à une autre sans rien sacrifier des thématiques qui traversent sa
filmographie – un goût prononcé pour l’observation du tissu social japonais
contemporain couplé à une exploration atypique des genres –, le cinéaste
japonais parvient dans un contexte de création difficile à poursuivre une œuvre
riche et singulière. Creepy, adapté du roman du même nom de Yutaka Maekawa publié
aux Editions d’Est en Ouest, témoigne de cet exercice d’équilibriste en étant
autant une radioscopie d’un couple qui se délite qu’un thriller retors empruntant
des méandres inattendus dans son cheminement.
Dans cette histoire où
Takakura (Hidetoshi Nishijima), ancien enquêteur expert en psychologie
criminelle reconvertit dans l’enseignement, emménage avec sa compagne Yasuko (Yuko
Takeuchi) pour prendre un nouveau départ, le quotidien va progressivement se
dérégler pour le couple au contact de leur étrange voisin Nishino (Teruyuki
Kagawa) alors que Takakura se penche dans le cadre de son travail sur la
disparition inexpliquée d’une famille survenue quelques années auparavant.
Ce qui laissait présager d’un
polar classique à première vue se mue en un terreau fertile nourrissant un film
sur l’emprise, parfois à la lisière du fantastique avec en point d’orgue la
composition d’une figure amorale dérangeante magnifiquement incarnée par
Teruyuki Kagawa, acteur habitué du cinéma de Kurosawa. Dans le creuset de cette
thématique, le film charrie son lot idées dérangeantes tel la représentation de
corps recroquevillés en position fœtale sous vide, imageant de façon sidérante
la vampirisation totale que le parasite opère sur ses victimes, ne laissant dans
son sillage que des épaves brisées et vidées de toute vie.
La mise en scène de Creepy est d’une grande élégance, déployant toute une grammaire visuelle
d’une précision folle faite de mouvements de caméra discrets à l’instar de ce
travelling vertical qui passe en quelques secondes du point de vue de Takakura
à une vue aérienne d’un lieu chargé en mystère, de panoramiques ou de plans
séquences subtils qui soutiennent les dialogues de manière purement visuelle. L’une
des plus belles scènes du film l’illustre lors de l’interrogatoire entre
Takakura et la seule rescapée de la famille disparue, qui voit la caméra se
mouvoir naturellement au gré des déplacements des personnages et de l’intensité
du témoignage, la pièce s’effaçant dans une obscurité qui étreint les
protagonistes au fur et à mesure que le récit se fait plus intense et révèle la
noirceur sous-jacente des événements passés.
Bien qu’étant un cinéaste
vétéran avec une carrière s’étalant sur plus de trente ans, Kiyoshi Kurosawa ne
se départit pas de cette volonté d’expérimenter formellement, de ciseler le
cadre et sa composition qui en font un des plus grands réalisateurs en
activité. Depuis quelques films, il travaille avec le format cinémascope qu’il emploie
dans Creepy à contre-courant de son usage classique puisque Kurosawa profite de ce procédé
au rendu large sur grand écran pour filmer des intérieurs exigus, dont le scope
brouille la perception de l’espace pour plonger le spectateur dans un cauchemar
palpable au cœur de la demeure de Nishino, dont l’enchevêtrement de couloirs et
de pièces sordides figure à merveille la psyché troublée du bon voisin.
Voilà une critique selon mon goût, qui suggère plus qu'elle ne dit. L'envie de voir ce film augmente au fur et à mesure de la lecture, tout en en préservant l'histoire.
RépondreSupprimerBien joué & merci !
D'autant que cet opus peut être une bonne porte d'entrée pour aborder la filmographie de Kiyoshi Kurosawa. Comme j'ai récemment fait l'acquisition d'une liseuse kindle, je pense m'atteler au roman dont est tiré le film au format numérique.
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