... "Enfer sur roues" (hell on wheels) c'est ainsi que les journalistes de l'époque ont qualifié le chantier du chemin de fer transcontinental, "tant la débauche règne dans les camps de base qui deviendront des villes comme Laramie et Cheyenne." (P. Jacquin & D. Royot - Go West !).
Hell on Wheels c'est aujourd'hui le titre d'une série télévisée américaine dont la première saison m'a captivé durant ses dix épisodes.
Hell on Wheels c'est aujourd'hui le titre d'une série télévisée américaine dont la première saison m'a captivé durant ses dix épisodes.
Située après 1866 (alors que dans le texte d'introduction on mentionne 1865), on voit les protagonistes utiliser ce qui ressemble fort à une Winchester 1866 "Yellow boy" et avant 1869 puisque la jonction à Promontary Summit entre les deux compagnies de chemin de fer qui se partagent le chantier n'a pas encore eu lieu ; elle décrit la vie du chantier de l'Union Pacific Railroad qui, parti d'Omaha dans le Nebraska se dirige ver l'Ouest. Alors que dans le même temps la Cental Pacific Railroad, partie de Sacramento se dirige elle vers l'Est.
Dans les années 50 le critique André Bazin qualifiait le western de "cinéma américain par excellence", nul doute qu'il dirait encore la même chose en voyant Hell on wheels : L'enfer de l'ouest tant cette série cristallise l'imaginaire américain.
Ainsi ce n'est pas un hasard si Joe & Tony Gayton les créateurs de la série ont choisi l'Union Pacific Railroad ; en effet, cette compagnie de chemin de fer se déplace d'Est en Ouest c'est-à-dire dans le sens du front pionnier, de la conquête de l'Ouest, de la Frontière.
Contrairement à une conception de la frontière en tant que ligne de démarcation fixe, de repère, la Frontière étasunienne (d'avant la fin du XIXe siècle) est avant tout une théorie dont l'acte fondateur a eu lieu en 1893 à Chicago lors de la World's Columbian Exposition, dont Henry Adams (écrivain & philosophe) qui y était dira en 1907 : "Chicago posait pour la première fois en 1893 la question de savoir si les gens en Amérique, si le peuple américain savait où il allait [..] ; Chicago était la première expression de la pensée américaine en tant qu'unité ; c'était de là qu'il fallait partir".
On comprend dés lors l'importance des enjeux.
On comprend dés lors l'importance des enjeux.
La Frontière en tant que théorie de l'expansion est due à un jeune historien du nom de Frederik Jackson Turner, elle propose que "l'existence d'une zone de terres vacantes et son recul constant devant l'avancée du peuplement vers l'ouest expliquent la croissance américaine." (P. Lagayette L'Ouest américain - Réalités et mythes). La Frontière confronte ainsi l'homme civilisé à la wilderness (la représentation maléfique de la nature sauvage par les Puritains) avec pour résultat de forcer son adaptation, de décupler ses vertus et d'assurer la grandeur nationale. Elle est explique Pierre Lagayette, "ce qui permet de distinguer l'Américain de l'Européen, elle est ce qui façonne les pionniers du Nouveau Monde et leur permet de marquer le continent tout entier de leur empreinte".
Ainsi la Frontière deviendra-t-elle dans l'inconscient collectif étasunien - et par la force des choses dans son discours - synonyme de défis où le caractère américain (ingéniosité, courage, opiniâtreté, ardeur, générosité) s'exercera (voire par exemple la Nouvelle Frontière scientifique & spatiale de John F. Kennedy).
Pour Turner, l'Ouest est le creuset de la nation, l’hypothèse de la Frontière transfigure l'Ouest en espace épique - c'est là que seront imaginé son Illiade et son Odysée - et le pionnier deviendra l'archétype des valeurs fondatrice de la culture étasunienne.
Encouragé par le mot d'ordre du patron de presse new-yorkais Horace Greeley dés 1850 : Go West young man ! ; un raz-de-marée de chariots envahit les Hautes Plaines après la guerre de Sécession sous les auspices de Dieu. C'est du moins le sens de ce qu'a affirmé John O'Sullivan en juillet 1845 : "notre destinée manifeste est de dominer tout le continent que la Providence nous a donné". Cette Destiné manifeste à laquelle fera explicitement référence le patron de l'Union Pacific Railroad dans le premier épisode de la série.
L'épopée, c'est-à-dire un récit où le merveilleux se mêle au vrai, la légende à l'histoire, et dont le but est de célébrer un héros ou un grand fait (Petit Robert 1973), donc disais-je l'épopée du rail fait partie intégrante de l'imaginaire (ici entendu comme : "le système des rêves d'une société, d'une civilisation transformant le réel en vues passionnées" (Jacques Le Goff) et qui fait agir et penser cette société) de la conquête de l'Ouest. Ce n'est donc pas un hasard si le "premier" western de l'histoire du cinéma n'est autre que le Vol du rapide (1903).
En outre le rail, ce processus violent, fulgurant et implacable modifie même l'espace-temps :
D'abord en réduisant les distances de manière stupéfiante : le voyage New-York/San Francisco qui durait entre 6 et 10 mois en diligence se fera en 8 jours de train. Puis, en réorganisant le temps lui-même : "en 1883 les grandes compagnies diviseront le pays en quatre grands fuseaux horaires, toujours en usage aujourd'hui" (Damien Amblard).
Hell on wheels met également en avant le sentiment qu'entretiennent l'imaginaire étasunien et le Sud.
Je pense que faire du personnage principal un homme du Sud, un ex-Confédéré est une belle illustration de la définition de l'imaginaire selon Jacques Le Goff (voir supra). Outre que le Sud a donné quatre des six premiers présidents, jusqu'au XIXe siècle l'analyse du phénomène sudiste distingue le Sud en tant qu'il aurait été "une entité distincte car fondé et peuplé par les Cavaliers, partisans de Charles 1er d'Angleterre, alors que le Nord l'était par les Puritains, descendants des partisans de Cromwell [..]" (Etienne de Planchard - Le Sud américain).
Sa défaite, sa résistance héroïque et sa civilisation aristocratique renforce encore le mythe. "Et petit à petit, les valeurs des vaincus ont gagné l'Amérique dans son ensemble [..]" déclare en 2012 l'historien Francis Balace. Dés 1915 ajoute-t-il, "le film Birth of a Nation a séduit des millions de spectateurs aux Etats-Unis en diffusant les valeurs sudistes, avec des soldats courageux et de riches propriétaires luttant pour défendre leurs terres, à la fois contre les envahisseurs sanguinaires et contre les Noirs débauchés [..]". N'oublions pas Autant en emporte le Vent prix Pulitzer 1937 et adapté au cinéma deux ans plus tard avec le succès que l'on sait.
Mais le Sud, et surtout le héros sudiste dispose d'un autre atout.
Phénomène assez inattendu, dans les années 1825 à 1860 les livres de Walter Scott se sont solidement enracinés dans cette partie des Etats-Unis. Les Sudistes se plongent alors dans les romans de Scott - le Steven Spielberg de son époque selon Robert Fulford, pas moins - sur le Moyen Âge et y voient le reflet de ce qu'ils sont ; une société élégante, à la voix douce mais d'une trempe solide, cultivant le sens de l'honneur, l'intrépidité et la bravoure. Les rapports entretenus entre les nobles et les serfs, identifiés par un collier de métal, offre un parallèle entre les propriétaires (Blancs) et les esclaves venus d'Afrique.
En 1941 un journaliste de Caroline du Nord, W.J Cash, a écrit dans The Mind of South que "Walter Scott a été physiquement kidnappé par le Sud et incorporé à la vision que le peuple sudiste avait de lui-même. [..] les hommes du Sud ont fait des femmes du Sud le symbole mystique de leur identité nationale".
Cullen Bohannon un Ivanhoé étasunien ?
En tout cas Hell on Wheels s'inscrit dans la droite ligne de l’Odyssée ou de La Chanson de Roland, indéniablement ; un récit fondateur (par rétroaction).
Et à l'instar de ses prodigieux prédécesseurs construit une véritable mythologie mais aussi plus simplement un divertissement de choix.
Pour Turner, l'Ouest est le creuset de la nation, l’hypothèse de la Frontière transfigure l'Ouest en espace épique - c'est là que seront imaginé son Illiade et son Odysée - et le pionnier deviendra l'archétype des valeurs fondatrice de la culture étasunienne.
Encouragé par le mot d'ordre du patron de presse new-yorkais Horace Greeley dés 1850 : Go West young man ! ; un raz-de-marée de chariots envahit les Hautes Plaines après la guerre de Sécession sous les auspices de Dieu. C'est du moins le sens de ce qu'a affirmé John O'Sullivan en juillet 1845 : "notre destinée manifeste est de dominer tout le continent que la Providence nous a donné". Cette Destiné manifeste à laquelle fera explicitement référence le patron de l'Union Pacific Railroad dans le premier épisode de la série.
L'épopée, c'est-à-dire un récit où le merveilleux se mêle au vrai, la légende à l'histoire, et dont le but est de célébrer un héros ou un grand fait (Petit Robert 1973), donc disais-je l'épopée du rail fait partie intégrante de l'imaginaire (ici entendu comme : "le système des rêves d'une société, d'une civilisation transformant le réel en vues passionnées" (Jacques Le Goff) et qui fait agir et penser cette société) de la conquête de l'Ouest. Ce n'est donc pas un hasard si le "premier" western de l'histoire du cinéma n'est autre que le Vol du rapide (1903).
En outre le rail, ce processus violent, fulgurant et implacable modifie même l'espace-temps :
D'abord en réduisant les distances de manière stupéfiante : le voyage New-York/San Francisco qui durait entre 6 et 10 mois en diligence se fera en 8 jours de train. Puis, en réorganisant le temps lui-même : "en 1883 les grandes compagnies diviseront le pays en quatre grands fuseaux horaires, toujours en usage aujourd'hui" (Damien Amblard).
Hell on wheels met également en avant le sentiment qu'entretiennent l'imaginaire étasunien et le Sud.
Je pense que faire du personnage principal un homme du Sud, un ex-Confédéré est une belle illustration de la définition de l'imaginaire selon Jacques Le Goff (voir supra). Outre que le Sud a donné quatre des six premiers présidents, jusqu'au XIXe siècle l'analyse du phénomène sudiste distingue le Sud en tant qu'il aurait été "une entité distincte car fondé et peuplé par les Cavaliers, partisans de Charles 1er d'Angleterre, alors que le Nord l'était par les Puritains, descendants des partisans de Cromwell [..]" (Etienne de Planchard - Le Sud américain).
Sa défaite, sa résistance héroïque et sa civilisation aristocratique renforce encore le mythe. "Et petit à petit, les valeurs des vaincus ont gagné l'Amérique dans son ensemble [..]" déclare en 2012 l'historien Francis Balace. Dés 1915 ajoute-t-il, "le film Birth of a Nation a séduit des millions de spectateurs aux Etats-Unis en diffusant les valeurs sudistes, avec des soldats courageux et de riches propriétaires luttant pour défendre leurs terres, à la fois contre les envahisseurs sanguinaires et contre les Noirs débauchés [..]". N'oublions pas Autant en emporte le Vent prix Pulitzer 1937 et adapté au cinéma deux ans plus tard avec le succès que l'on sait.
Mais le Sud, et surtout le héros sudiste dispose d'un autre atout.
Phénomène assez inattendu, dans les années 1825 à 1860 les livres de Walter Scott se sont solidement enracinés dans cette partie des Etats-Unis. Les Sudistes se plongent alors dans les romans de Scott - le Steven Spielberg de son époque selon Robert Fulford, pas moins - sur le Moyen Âge et y voient le reflet de ce qu'ils sont ; une société élégante, à la voix douce mais d'une trempe solide, cultivant le sens de l'honneur, l'intrépidité et la bravoure. Les rapports entretenus entre les nobles et les serfs, identifiés par un collier de métal, offre un parallèle entre les propriétaires (Blancs) et les esclaves venus d'Afrique.
En 1941 un journaliste de Caroline du Nord, W.J Cash, a écrit dans The Mind of South que "Walter Scott a été physiquement kidnappé par le Sud et incorporé à la vision que le peuple sudiste avait de lui-même. [..] les hommes du Sud ont fait des femmes du Sud le symbole mystique de leur identité nationale".
Cullen Bohannon un Ivanhoé étasunien ?
En tout cas Hell on Wheels s'inscrit dans la droite ligne de l’Odyssée ou de La Chanson de Roland, indéniablement ; un récit fondateur (par rétroaction).
Et à l'instar de ses prodigieux prédécesseurs construit une véritable mythologie mais aussi plus simplement un divertissement de choix.
Encore un billet érudit de notre Artie. ;)
RépondreSupprimerMerci.
Supprimeret en incluant l' expo de 1893 et le wildereness, thèmes déjà évoqué dans nombre de ces billets, une gourmandise intellectuelle, mercie artie
RépondreSupprimer1893,l'Expo et la Wilderness sont me semble-t-il indispensables pour tenter de saisir la culture américaine (même modestement) ; et en plus c'est particulièrement intéressant en soi.
SupprimerEn tout cas merci de ton intérêt.
[-_ô]
je sais bien, ce serait imposible d' y expliquer en 3 mots à quelqu' un d' autre mais c' est justement ça qui est passionnant : et la façon transversale que tu as de relier entre elles des choses auquelles on aurait jamais pensé est jubilatoire
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