Très tôt Ernest Hemingway mit au point un principe d'écriture, celui dit de « l'iceberg » : l'histoire n'est que la partie émergée d'une immense masse de sens et de signification ; il faut écrire de manière à ce que l'essentiel du propos demeure sous-entendu pour mieux arriver à cette tension si chère à l'auteur emblématique de la Génération perdue©.
Toutefois, Hemingway prévoyait que cette masse immergée permette de renouveler la lecture du texte en des lectures plus approfondies.
C'est cette partie immergée du film de Robert Aldrich, intitulé Vera Cruz, que je vous propose d'éclairer en lui offrant si je puis dire, un nouvel horizon heuristique [-_ô].
« Alors que la guerre de Sécession vient de se terminer aux Etats-Unis, au Mexique la guerre civile fait rage ; ce conflit draine toutes sortes d'aventuriers en rupture de ban.Benjamin Trane ancien officier de l'armée Confédérée en fait partie.Sur le chemin qui le mène vers le Mexique il fait la connaissance de Joe Erin. »
Toutefois, Hemingway prévoyait que cette masse immergée permette de renouveler la lecture du texte en des lectures plus approfondies.
C'est cette partie immergée du film de Robert Aldrich, intitulé Vera Cruz, que je vous propose d'éclairer en lui offrant si je puis dire, un nouvel horizon heuristique [-_ô].
« Alors que la guerre de Sécession vient de se terminer aux Etats-Unis, au Mexique la guerre civile fait rage ; ce conflit draine toutes sortes d'aventuriers en rupture de ban.Benjamin Trane ancien officier de l'armée Confédérée en fait partie.Sur le chemin qui le mène vers le Mexique il fait la connaissance de Joe Erin. »
Plus que le précurseur du « western spaghetti » ( 10 ans avant la Trilogie du dollar quand même), Vera Cruz est surtout, de mon point de vue, un western noir ; il est "noir" dans l'acceptation que Thomas Narcejac donnait à cet épithète dans son essai La Fin d'un Bluff (1949).
Une définition à partir de laquelle j'élaborerai ma propre intuition où se côtoieront donc : le western noir, deux manières d'aborder le jeu au travers du play et du game ainsi que deux personnages conceptuels : le pícaro et l'anarque.
Or, donc ce qui est « noir » dans Vera Cruz, ce n'est pas sa brutalité, ni la crudité des rapports sociaux, encore moins le désespoir qu'il peut éveiller chez le spectateur, non ce qui est « noir » dans ce film c'est la Réalité, une Réalité qu'il nous présente comme un traquenard, comme un piège.
La réalité (Cf. Luc Boltanski) doit être entendue comme ce que chacun se représente comme étant « normal » dans une situation donnée, et qui résulte en fait d'une construction sociale édifiée et cadrée par les institutions, les règles et les procédures d'évaluation (le droit, les statistiques, les examens, etc.).
En d'autres termes nous dépendons d'une Réalité qui dépend essentiellement de nous.
Les deux protagonistes principaux de Vera Cruz ne sont pas dupes du traquenard dans lequel ils se trouvent ; cependant, dans deux registres différents, chacun se joue de ce piège. Le pédiatre (psychanalyste & psychiatre) Donald Winnicott a utilisé dans ses travaux une distinction entre le play et le game, deux mots qui en anglais signifient « jeu», mais entendus sous deux modalités différentes (différence qui n'existe pas en français).
• Le play ce sont les jeux qui se déploient librement, sans règle.
• Le game ce sont les jeux structurés autour de règles, tels que les jeux de stratégie comme le jeu d'échecs.
Joe Erin & Ben Trane, tour à tour adjuvants ou antagonistes, incarnent ces deux modalités : au premier le play et au second le game ; c'est cette combinaison qui donne cette dynamique, cette tension si particulière au film de Robert Aldrich. C'est cette combinaison qui en est le moteur.
Ainsi, s'il est toutefois question d'un « trésor » dans ce film, Vera Cruz peut être néanmoins qualifier de character driven story c'est-à-dire que l'intrigue est menée par la caractérisation des personnages. Par opposition à la plot driven strory, lorsque l'intrigue est menée par les enjeux du récit. Mais plus encore, cette dynamique s'incarne dans deux puissantes figures conceptuelles : le pícaro et l'anarque.
Si ces deux figures se retrouvent peu ou prou dans nombre de personnages de fiction sous la forme de stéréotype (la grammaire du récit), la particularité de Vera Cruz est de nous en proposer des représentations exacerbées, très intenses.
C'est cette alchimie qui donne tout son sel à ce western si particulier, et qui, comme je l'ai proposé, mène l'intrigue. Joe Erin incarne le pícaro, ce personnage (venu de la littérature espagnole) qui dans une errance permanente, à l'instar de celle des chevaliers mais dans une version grim & gritty (littéralement sinistre & crue), travers une série d'aventures qui sont pour lui l'occasion de contester l'ordre social établi.
Rusé, parfois fourbe, manipulateur, le pícaro est aussi un intrigant (c'est-à-dire un agent interne de l'intrigue) de basse extraction qui vit en marge de la société et bien entendu, à ses dépens ; bien qu'il ne soit pas naturellement honnête le pícaro peut l'être quelques fois, par hasard.
Cependant tout sa volonté est toute entière tournée vers la survie, il ne combat jamais, du moins en apparence, pour sauver la veuve et l'orphelin, ou pour des Principes, mais pour des récompenses « sonnantes et trébuchantes ».
Fauteur de troubles, il est capable de faire de mauvaises choses pour de bonnes raisons. Produit de la pauvreté et de la misère, né des circonstances engendrées par la guerre ; le pícaro est un mélange de stoïcisme et de cynisme.
Du premier il tient son insensibilité face au malheur et une tendance à tirer profit de ses contretemps.
Du second son mépris des lois, ce qui en fait une espèce d'anarchiste alors capable d'attaquer de front, sans détour. Paradoxalement, il suscite néanmoins la sympathie, voire l'admiration ; plus transgressif que subversif, il n'est pas un héros mais un héraut.
La réalité (Cf. Luc Boltanski) doit être entendue comme ce que chacun se représente comme étant « normal » dans une situation donnée, et qui résulte en fait d'une construction sociale édifiée et cadrée par les institutions, les règles et les procédures d'évaluation (le droit, les statistiques, les examens, etc.).
En d'autres termes nous dépendons d'une Réalité qui dépend essentiellement de nous.
Les deux protagonistes principaux de Vera Cruz ne sont pas dupes du traquenard dans lequel ils se trouvent ; cependant, dans deux registres différents, chacun se joue de ce piège. Le pédiatre (psychanalyste & psychiatre) Donald Winnicott a utilisé dans ses travaux une distinction entre le play et le game, deux mots qui en anglais signifient « jeu», mais entendus sous deux modalités différentes (différence qui n'existe pas en français).
• Le play ce sont les jeux qui se déploient librement, sans règle.
• Le game ce sont les jeux structurés autour de règles, tels que les jeux de stratégie comme le jeu d'échecs.
Joe Erin & Ben Trane, tour à tour adjuvants ou antagonistes, incarnent ces deux modalités : au premier le play et au second le game ; c'est cette combinaison qui donne cette dynamique, cette tension si particulière au film de Robert Aldrich. C'est cette combinaison qui en est le moteur.
Ainsi, s'il est toutefois question d'un « trésor » dans ce film, Vera Cruz peut être néanmoins qualifier de character driven story c'est-à-dire que l'intrigue est menée par la caractérisation des personnages. Par opposition à la plot driven strory, lorsque l'intrigue est menée par les enjeux du récit. Mais plus encore, cette dynamique s'incarne dans deux puissantes figures conceptuelles : le pícaro et l'anarque.
Si ces deux figures se retrouvent peu ou prou dans nombre de personnages de fiction sous la forme de stéréotype (la grammaire du récit), la particularité de Vera Cruz est de nous en proposer des représentations exacerbées, très intenses.
C'est cette alchimie qui donne tout son sel à ce western si particulier, et qui, comme je l'ai proposé, mène l'intrigue. Joe Erin incarne le pícaro, ce personnage (venu de la littérature espagnole) qui dans une errance permanente, à l'instar de celle des chevaliers mais dans une version grim & gritty (littéralement sinistre & crue), travers une série d'aventures qui sont pour lui l'occasion de contester l'ordre social établi.
Rusé, parfois fourbe, manipulateur, le pícaro est aussi un intrigant (c'est-à-dire un agent interne de l'intrigue) de basse extraction qui vit en marge de la société et bien entendu, à ses dépens ; bien qu'il ne soit pas naturellement honnête le pícaro peut l'être quelques fois, par hasard.
Cependant tout sa volonté est toute entière tournée vers la survie, il ne combat jamais, du moins en apparence, pour sauver la veuve et l'orphelin, ou pour des Principes, mais pour des récompenses « sonnantes et trébuchantes ».
Fauteur de troubles, il est capable de faire de mauvaises choses pour de bonnes raisons. Produit de la pauvreté et de la misère, né des circonstances engendrées par la guerre ; le pícaro est un mélange de stoïcisme et de cynisme.
Du premier il tient son insensibilité face au malheur et une tendance à tirer profit de ses contretemps.
Du second son mépris des lois, ce qui en fait une espèce d'anarchiste alors capable d'attaquer de front, sans détour. Paradoxalement, il suscite néanmoins la sympathie, voire l'admiration ; plus transgressif que subversif, il n'est pas un héros mais un héraut.
L'anarque est un personnage conceptuel inventé par Ernst Jünger, il s'agit d'une figure affinée du Rebelle, incarné ici par Ben Trane.
Au contraire de l'anarchiste (avec lequel la définition de l'anarque se fait le mieux sentir), l'anarque ne désire pas supprimer l'autorité ; il s'en accommode, et elle lui est même nécessaire (d'où le rapprochement que je fais avec le game de Donald Winnicott), cependant il reste son propre maître en toutes circonstances.
Son credo : la liberté qu'il considère comme sa propriété. Ainsi ne désire-t-il pas détruire la société, au contraire il s'y insère tout en la tenant à distance car en dernière analyse il ne la prend pas au sérieux.
L'anarque traverse les régimes si possible sans s'y cogner. Il peut dissimuler sa liberté intérieure sous un uniforme qu'il ne considère en définitive que comme un vêtement de camouflage. S'il n'a pas de conviction il fait grand cas de la libre disposition de soi : « [...] c'est ainsi que je suis disponible, dans la mesure ou l'on me provoque , que ce soit à l'amour ou à la guerre. Je ne respecte pas les convictions, mais l'homme [..]» (Eumeswil, page 138).
Contrepartie positive de l'anarchiste, l'anarque est également l'antipode du monarque : le monarque veut régner sur une foule de gens voire sur tous ; l'anarque sur lui-même et lui seul. Il n'est pas l'adversaire du monarque mais son pendant. Il peut, à l'occasion, faire partie d'un groupe mais en tout état de cause il reste pragmatique. Il voit ce qui peut lui servir. L'anarque sait qu'il vit « dans une cité calcinée par le nihilisme (cette expérience du tragique et du vide) » ; ainsi la métaphysique du piège ne lui est-elle pas étrangère.
La Réalité (c'est-à-dire le produit de tout un ensemble d'interventions symboliques des êtres humains : l'organisation du temps en horaires par exemple) est le lieu de la guerre, quoi qu'on fasse on verse le sang.
Et c'est d'autant plus vrai dans Vera Cruz que nous sommes dans un western, et nous savons que ce genre s'articule, depuis Richard Slotkin, autour de ce qu'il a appelé la « régénération par la violence ». Héritage de la Frontière.
Mais en définitive, l'anarque sait que « la charogne ne peut être enlevé, et que des essaims toujours nouveaux de vautours et de mouches y trouvent leur régal ...».
Joe Erin & Ben Trane ne sont pas les seuls représentants de leur espèce, de leur mémotype.
Dans la culture populaire Corto Maltese est de mon point de vue un bel exemple d'anarque, et Han Solo quant à lui me semble être un pícaro de la plus belle eau.
C'est le propre des œuvres de qualité que d'offrir à chaque lecture, à chaque visionnage, à chaque écoute de nouvelles facettes ; sans ternir le plaisir simple d'une histoire captivante.
Et Vera Cruz, western intempestif, n'y déroge pas.
Hey !
RépondreSupprimerJe ne suis pas venu par ici ces dernières semaines, et je m'en vois récompensé ce matin !
J'ai toujours rapproché le sourire Colgate du désinvolte personnage de Burt Lancaster dans Vera Cruz... de la figure ricanante du Joker. De là à extrapoler jusqu'au Dark Knight de Nolan, ou plus encore du Killing Joke de Moore-Gibbons pour trouver en Gary Cooper un ancêtre à cet anar de droite un poil chiant qu'est Batman/Cooper...le pas est - grâce à tes riches informations de ce jour - allègrement franchi !
Vera Cruz vu comme le théâtre de la première rencontre entre les deux cinglés de Gotham City : M. Morrison, vous avez deux heures !
Merci m'sieur Dada !
Avec plaisir, belle extrapolation en tout cas. [-_ô]
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