Dans un entretien accordé à Bruno Delion pour le journal La Nouvelle République™ Vincent Ejarque justifie son choix d'avoir écrit un roman sur la guerre d'Algérie en expliquant « qu’il y en a peu », puis compare ce que les Américains font, s'agissant de la guerre du Vietnam.
Outre que la comparaison me paraît mélanger les choux et les carottes : le territoire de l'Algérie que l'on connait aujourd'hui n'existait pas avant que Charles X lance sa « croisade » contre les Barbaresques, l'Algérie a été française pendant 130 ans, et last but not least, contrairement aux Américains, l'armée française a gagné militairement la guerre. Bref, rien qui rapproche de près ou de loin les deux conflits.
Mais surtout, demandons-nous (comme l'a fait Viet Thanh Nguyen au moment de la publication de son roman Le Sympathisant ) : où sont donc les Vietnamiens, dans tous ces films américains sur la guerre du Vietnam ?
Lesquels long-métrages rejouent par ailleurs - dans leur immense majorité - inlassablement, l'intervention américaine ..... à son avantage.
Ceci étant dit, intéressons-nous au roman proprement dit de Vincent Ejarque, vendu au prix de 19 euros.
« Les Spectres d’Alger » suit pendant 423 pages un jeune ex-lieutenant du 12ème RCP, Michel Térien, personnage tout aussi fictif que son affectation, alors qu'il agit - dans la clandestinité - pour le compte de l'Organisation de l'Armée Secrète, un peu avant la signature des accords d'Évian.
Rappelez-vous, l'OAS est le projet que se donneront « un quarteron de généraux en retraite » dans leur rejet de l'indépendance algérienne.
Personnage principal du roman, mais personnage falot, Térien est largement éclipsé par (justement) un spectre, qui à l'instar du communisme selon Derrida, hante, et imprime une trace visible et invisible sur l'Histoire : Roger Degueldre.
Dépeint dans le roman comme un anti-héros tragique, le chef bien réel des tristement célèbres « commandos Delta » de l'OAS semble combattre au sein même de la fiction le parti pris de l'auteur, lequel passe étrangement sous silence les exactions du FLN.
Un choix pas forcément nourrit d'arrière-pensée d'ailleurs, mais qu'accentue ce que dit Vincent Ejarque dans son interview pour le quotidien de la région Centre-Val de Loire « Concernant la torture, plus personne ne conteste que cela a été quelque chose de largement employé et de systématique dès le départ, mais on a aussi torturé aux Renseignements généraux dans le 8e arrondissement, à Paris.».
Là encore, rien sur le FLN.
D'autant qu'il cite une phrase d'Albert Camus : « La fiction est le mensonge par lequel nous disons la vérité.», et en laquelle il dit croire.
Ce qui n'est pas mon cas.
En effet, je ne pense pas que ce soit le rôle de la fiction de dire la vérité. Elle n'en a pas les moyens de toute façon. Tout au plus peut-elle nous inciter à savoir, à chercher.
Ce qui n'est déjà pas si mal.
Pas forcément nourrit d'arrière-pensée disais-je, car l'auteur s'attache surtout à décrire les actions de l'OAS Alger, son fonctionnement, ses attentats, au travers de ce que fait ou voit l'ex-lieutenant Térien, d'où, peut-être, l'absence du FLN.
Même si cela créé un déséquilibre, car les militaires français n'avaient pas le monopole de l'horreur.
En outre, ce qui m'intéresse chez un auteur c'est justement son parti pris, quand bien même n'aurais-je pas le même point de vue.
Je ne ferai donc pas un vilain procès d'intention à Vincent Ejarque, d'autant que son roman est palpitant. Qui plus est, l'un des nombreux articles de presse authentiques, et d'époque, qui rythment son roman, fait un portrait assez juste, me semble-t-il, de Degueldre. Et étonnamment, un portrait plutôt positif.
Soldat perdu, officier issu du rang, idéaliste, immensément courageux ; condamné à mort pour raison d'État. Un anti-héros tragique disais-je.
Michel Houellebecq a une théorie très intéressante : « La raison d’être fondamentale de la littérature romanesque » dit-il « c’est que l’homme a en général un cerveau beaucoup trop compliqué, beaucoup trop riche pour l’existence qu’il est appelé
à mener. La fiction, pour lui, n’est pas seulement un plaisir ; c’est un besoin. Il a besoin
d’autres vies, différentes de la sienne, simplement parce que la sienne ne lui suffit pas. »
Ces autres vies n'ont pas forcément besoin d'être intéressantes précise-t-il.
Ce qui n'est pas le cas ici.
Car si Michel Térien est trop passif à mon goût, sa vie est a contrario et peut-être paradoxalement, très intéressante.
Au final, ce premier roman de Vincent Ejarque comble avec brio le besoin que créé notre cerveau.
Alors vivement le prochain !
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