Accéder au contenu principal

Etat d'urgence

... Pour commencer laissez-moi vous proposer (en deux parties) l'émission qu'a consacrée au climat Patrice Gélinet dans son excellent 2000 ans d'histoire sur France Inter.








"À San Francisco, le milliardaire George Morton s'écrase du haut d'une falaise à bord de sa Ferrari quelques minutes seulement après avoir annoncé qu'il retirait son soutient à un mouvement écologiste international ... "

... Le roman de Michael Crichton a fait couler un peu d'encre au moment de sa parution, non pas tant pour son intrigue que pour son parti pris idéologique.  

État d'urgence est un "techno-thriller" dont les "méchants" sont des écologistes, pourquoi pas me direz-vous. Certes, cependant l'auteur se fait au travers de ses personnages le porte-parole de ceux qui remettent en question l'influence humaine sur le réchauffement climatique, ou plus précisément l'importance de cette influence. Shocking !

Il a néanmoins averti ses lecteurs dans un préambule que ce livre est une œuvre de fiction, en précisant cependant que la "réalité est dans les notes" ,et d'ajouter un message de l'auteur, deux annexes et une bibliographie. Excusez du peu.

Etat d'urgence est «politiquement incorrect». Les écologistes américains ne l'ont pas apprécié. Avez-vous voulu jouer les provocateurs?
Le «politiquement incorrect» n'est pas la même chose que le «factuellement incorrect». Je ne recherche pas la provocation, mais je crois que les organisations pro-environnement ont bien besoin de modifier leurs inquiétudes et de réviser leurs méthodes. J'ai attendu plus de vingt ans pour qu'elles reconnaissent les changements dans la complexité de la science, et qu'elles les reflètent au sein de leurs organisations. J'ai attendu. Les années passent, et rien ne change. Finalement, j'ai décidé de parler.

Mais quelle est votre opinion réelle sur le réchauffement climatique?
Le danger et l'ampleur du réchauffement climatique causé par l'homme sont exagérés; la difficulté de réduire les émissions de dioxyde de carbone est exagérée, la certitude de la connaissance est exagérée. Le sujet dans sa globalité est trop intensément «politisé». J'avais prédit que le réchauffement pour les cent prochaines années serait de 0,8°C. Mais il devrait s'arrêter à 0,4°C.

Vous voyez-vous en écrivain engagé?
N'exagérons pas. Etat d'urgence est toutefois mon travail le plus ambitieux. Il est primordial de réexaminer nos priorités environnementales. Les bonnes intentions pour la planète ne produisent pas forcément de bons résultats. J'espère qu'à la fin, quand la controverse se sera estompée, les effets du livre seront positifs. Le sujet a été politisé dans un mauvais sens. C'est un enjeu scientifique, et ce n'est pas un bien que d'en avoir fait un enjeu bassement politicien. La dernière fois que les nations de l'Ouest se sont engagées dans la science politisée, nous avons eu l'eugénisme et les camps de la mort nazis.
 Extrait de l'entretien qu'a accordé Michael Crichton à Baptiste Liger sur le site de L'Express en 2006.

Philippe Gelück
... Or donc, ce roman que j'ai lu avec beaucoup de plaisir, comme beaucoup des romans de Crichton par ailleurs pose bien le problème de la prise de position personnelle (plus encore que la question climatique), de l'opinion.
Ainsi sur un sujet aussi complexe que le climat (par exemple) j'ai disons deux solutions : soit je cherche par moi-même en devenant moi-même un chercheur, soit je m'en remets à l'autorité des scientifiques dont les expertises transitent à travers le filtre des médias. Sans me départir de mon sens critique, cela va de soit.
Mais sur quoi repose ce sens critique ?
 
Ayant choisi la seconde proposition, comment se construit mon opinion ? En vertu de quoi j'incline plus vers telle ou telle théorie ?
Il me semble que c'est la question essentielle que soulève le roman de Michael Crichton (ce qui n'est pas la moindre de ses qualités ) car comme l'a dit Henri Laborit, ce qu'on appelle la personnalité d'un homme, d'un individu, se bâtit sur un bric-à-brac de jugement de valeurs, de préjugés, de lieux communs qu'il traîne au fur et à mesure que son âge avance et qui deviennent de plus en plus rigides et sont de moins en moins remis en question. Voilà c'est exactement ça, mes opinions sur tel ou tel sujet ne sont en fait qu'un "bric-à-brac".

Marcel Leroux professeur de climatologie, entretien :


Cette question de l'opinion est d'ailleurs abordée par le biais du professeur Norman Hoffman (un personnage du roman) et son écologie de la pensée :

- Il y a dix ans, j'ai commencé par la mode et l'argot, ce dernier étant évidemment une sorte de mode verbale. Je voulais connaître les déterminants du changement dans la mode et la langue familière. Je me suis rapidement rendu compte qu'il n'existe pas de déterminants identifiables. La mode change pour des raisons arbitraires et, même si l'on peut observer des cycles, des périodicités, des corrélations, le travail est purement descriptif et n'a pas de valeur d'explication. Vous me suivez ?
-  Je crois.
- Quoi qu'il en soit, j'ai compris que ces périodicités et ces corrélations pouvaient être considérées comme des systèmes en soi. Des écosystèmes, si vous préférez. Une hypothèse heuristique que j'ai expérimentée et trouvée valable. Tout comme il existe une écologie des milieux naturels - les forêts, les montagnes, les océans, il y a une écologie du monde humain des abstractions mentales, des idées, de la pensée. Voilà ce que j'ai étudié.
- Je vois.
- Dans la culture moderne, les idées vont et viennent constamment. Pendant un moment tout le monde croit quelque chose, puis, petit à petit, on cesse d'y croire. plus personne ne se souvient de ce à quoi on croyait, tout comme on oublie l'ancien argot. Les idées, dans un sens, sont elles aussi des passades. Vous Voyez ?
Page 543-544 Traduction de Patrick Berthon, éditions Robert Laffont.

Si État d'urgence est un roman, l'auteur consacre presque 50 pages à éclairer sa position personnelle, même ses sources sont commentées. Rien ne différencie ces cinquante pages du travail d'un journaliste, en tout cas à mes yeux. Ainsi donc je peux facilement me forger une opinion au travers de ce roman, influencé par le capital sympathie que j'ai pour l'auteur et par la qualité romanesque de son thriller.   

... En définitive, Michael Crichton a réussi son coup en ce qui me concerne, écrire un roman extrêmement captivant qui suscite plusieurs pistes de réflexion. Well done kamarade !

Commentaires

  1. Vendu ! Je le rajoute à ma liste de cadeaux. On verra bien si le Père Noël lit tes articles.

    RépondreSupprimer
  2. "La dernière fois que les nations de l'Ouest se sont engagées dans la science politisée, nous avons eu l'eugénisme et les camps de la mort nazis."

    *Bling!* et un point Godwin, un! La rapidité avec laquelle cet argument tombe dans la défense de son sujet me laisse sceptique sur l'aspect novateur de sa position...

    RépondreSupprimer
  3. @ Ed : Non seulement le Père Noël mais la mère Noël aussi.

    @ Manticore : Voilà une belle illustration, ton commentaire, de la manière dont peut se fabriquer une opinion. Tu es le meilleur !

    RépondreSupprimer
  4. Je trouve aussi que le raccourci "science politisée = nazisme" est un peu rapide.
    Si on ne le croit pas, alors on est un facho ?
    Pas très adroit comme argumentaire.

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Juste cause [Sean Connery / Laurence Fishburne / Ed Harris / Kate Capshaw]

« Juste Cause 1995 » est un film qui cache admirablement son jeu.             Paul Armstrong , professeur à l'université de Harvard (MA), est abordé par une vieille dame qui lui remet une lettre. Elle vient de la part de son petit-fils, Bobby Earl , accusé du meurtre d'une enfant de 11 ans, et qui attend dans le « couloir de la mort » en Floride . Ce dernier sollicite l'aide du professeur, un farouche opposant à la peine capitale.   Dès le départ, « Juste Cause 1995 » joue sur les contradictions. Ainsi, Tanny Brown , « le pire flic anti-noir des Everglades », dixit la grand-mère de Bobby Earl , à l'origine de l'arrestation, est lui-même un africain-américain. Ceci étant, tout le film jouera à remettre en cause certains a priori , tout en déconstruisant ce que semblait proposer l'incipit du film d' A rne G limcher. La déconstruction en question est ici à entendre en tant que la mise en scène des contradictions de situations dont l'évidence paraît pour

The Words

... The Words ( Les Mots ) est un film qui avait tout pour me séduire : le roman en tant qu'élément principal, des acteurs que j'aime bien ; D ennis Q uaid, J eremy I rons, J . K . S immons et B radley C ooper. Éléments supplémentaire l'histoire se révèle être une histoire dans l'hisitoire. Ou plus exactement un roman à propos de l'écriture d'un roman, écrit par un autre ; entre fiction et réalité.  Je m'explique. Clay Hammon fait une lecture public de son dernier livre The Words dans lequel un jeune auteur, Rory Jansen , en mal de reconnaissance tente vaille que vaille de placer son roman chez différents éditeurs. Cet homme vit avec une très belle jeune femme et il est entouré d'une famille aimante. Finalement il va se construire une vie somme toute agréable mais loin de ce qu'il envisageait. Au cours de sa lune de miel, à Paris , son épouse va lui offrir une vieille serviette en cuir découverte chez un antiquaire, pour dit-elle qu'

Nebula-9 : The Final Frontier

... Nebula-9 est une série télévisée qui a connu une brève carrière télévisuelle. Annulée il y a dix ans après 12 épisodes loin de faire l'unanimité : un mélodrame bidon et un jeu d'acteurs sans vie entendait-on très souvent alors. Un destin un peu comparable à Firefly la série de J oss W hedon, sauf que cette dernière bénéficiait si mes souvenirs sont bons, de jugements plus louangeurs. Il n'en demeure pas moins que ces deux séries de science-fiction (parmi d'autres telle Farscape ) naviguaient dans le sillage ouvert par Star Trek dés les années 60 celui du space opera . Le space opera est un terme alors légèrement connoté en mauvaise part lorsqu'il est proposé, en 1941 par l'écrivain de science-fiction W ilson T ucker, pour une catégorie de récits de S-F nés sous les couvertures bariolées des pulps des années 30. Les pulps dont l'une des particularités était la périodicité ce qui allait entraîner "une capacité de tradition" ( M ich