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Le Roi Louve [Émilie Alibert / Denis Lapière / Adrián Fernández Delgado]

Sans méjuger du résultat final, « Le Roi Louve » est toujours en cours de publication, l’entretien avec les trois auteurs qui précède le premier épisode (Le Journal de Spirou n° 4364-4365) de cette nouvelle série, vaut qu’on s’y arrête. 
          À la lecture des trois premiers épisodes, « Le Roi Louve » apparaît comme une série de Fantasy, d’Heroïc fantasy sera-t-il même précisé dans l’entretien en question (mais j’y reviendrai), qui se déroule dans un monde secondaire (i.e. étranger au nôtre). 
Habité par un matriarcat humanoïde ovipare (comme l'un des peuples de Barsoom soit dit en passant, celui de Dejah Thoris), mais aussi par un peuple de Loups anthropomorphes, dont les membres, jusqu’à leur majorité vivent des cycles durant lesquels ils sont alternativement mâles puis femelles, et ainsi de suite. Sachez également qu’il s’agit d’un royaume, et que pour le gouverner il faut impérativement être un Loup mâle. Vous voyez déjà où tout ça va nous mener, si le zeitgeist actuel ne vous est pas totalement étranger.
            L’intrigue semble donc tourner, ce sur quoi l’entretien lève d’ailleurs un peu le voile, autour des œufs que pondent les femmes du peuple Humain ; dont une légende prétend qu’ils permettraient de fixer le sexe des loups à leur majorité. 
Incidemment, à chaque nouvelle lune des œufs sont confisqués par les Loups, lesquels forment, nous éclaire le coscénariste Denis Lapière, un « peuple machiste qui affirme ainsi sa supériorité ». 
Un manichéisme de bon aloi, que je serais bien en mal de critiquer, s’agissant d’une aventure d’Heroïc fantasy revendiquée. 
Sauf que justement, Émilie Alibert, l'autre coscénariste de l’histoire, ambitionne de « renouveler le genre ». 
Vaste programme ! 
            L’auteure précise (toujours dans le même entretien) ce qu’elle entend par-là : « Ce n’était pas prémédité, mais l’heroic fantasy est un environnement parfait pour y parler de genre. On y trouve plein de clichés patriarcaux, avec des guerriers à gros zizi et gros glaive. Et bien sûr des femmes reléguées au rôle de belles plantes ». Le « genre » dont il est question dans la déclaration de la scénariste est celui popularisé par les gender studies américaines et ne concerne pas ce qu’on appelle communément la littérature dite de (mauvais) genre. Dont fait justement partie l’Heroïc fantasy
Laquelle, n’en déplaise visiblement à madame Alibert, se définit par des codes. Encore appelés stéréotypes ou dans le pire des cas, clichés. 
            Ceux de l’Heroïc fantasy ont notamment été popularisés par des auteurs comme Robert Ervin Howard, le créateur de Conan, il y presque 90 ans. Si le célèbre Cimmérien est apparu dans les pages des pulp magazines en 1932, il doit une grande partie de sa popularité aux rééditions de la fin des années soixante aux États-Unis. Lesquelles ont bénéficié du talent et de l’imagination de Frank Frazetta, fixant dans l’imaginaire collectif, bien avant John Buscema chez Marvel™ ou Arnold Schwarzenegger au cinéma, l’image bodybuidée d’un personnage dont la virilité musculaire aurait sûrement surpris R. E. Howard lui-même. 
Ceci étant dit l’Heroïc fantasy, qui est l’une des nombreuses nuances de la Fantasy, répond donc à des critères, des codes. 
Comme son intitulé l’indique le (mauvais) genre en question est porté par un héros, caractérisé par des capacités martiales et physiques hors-normes. Il s’agit quasiment toujours d’un solitaire, tout au plus tolère-t-il un faire-valoir, ou des alliances temporaires. Ses motivations sont d’ordres personnels, pas question pour lui de sauver le monde. Et si d’aventures il devait faire montre d’altruisme, les moyens employés ne s’embarrasseraient pas de contingences morale. S’il a un code d’honneur, il lui est très personnel. 
Et pour finir, l’Heroïc fantasy raconte essentiellement des histoires violentes, ou à tout le moins dans un environnement qui l’est. Dans un style direct, menées tambour battant et sans afféteries. 
Ceci étant dit, « renouveler le genre », s’agissant des littératures de l’Imaginaire, en ayant en ligne de mire les « guerriers à gros zizi et gros glaive » dixit Émilie Alibert, c’est comme d’ajouter des roues à un surf, c’est intéressant mais ce n’est plus un surf. 
            Autrement dit, ce n’est pas comme si la Fantasy était en manque de tonalités différentes, qu’il faille enlever ce qui fait justement ce qu’il est, à l’un de ses sous-genres. En en gommant les stéréotypes on passe simplement dans une autre catégorie. Par exemple, dans un autre domaine, un cosy mystery où le détective amateur est remplacé par un enquêteur privé dur-à-cuire, ça s’appelle un polar hard-boilded. Bref, les propos d’Émilie Alibert montrent au mieux une méconnaissance du genre dans lequel elle prétend écrire, au pire une motivation idéologique.
Ce que tend à entériner une autre de ses interventions dans ledit entretien publié dans le numéro double du magazine des éditions DUPUIS. 
            En effet, à la question « Avec son héros souhaitant changer de sexe, peut-on qualifier Le Roi Louve de série militante transgenre ? » elle répond, « Nous ne sommes pas là pour encourager les jeunes à changer de genre. Chacun fait comme il veut ! […] ». 
Je ne sais pas à qui elle s’adresse en disant cela, mais manifestement pour la scénariste, les parents de ces « jeunes » n’ont pas voix au chapitre. Ou alors elle écrit pour des adultes, dont je ne crois pas qu'ils soient les seuls lecteurs du Journal de Spirou.
Elle poursuit : « Petigré (la Louve qui ne veut pas être un mâle) est là pour nous rappeler qu’il n’est jamais trop tard pour se trouver soi-même et s’affirmer tel qu’on est. » Donc si je comprends bien, la série n’est pas militante, mais quand même un peu. 
En sus Émilie Alibert n’a aucun problème à proposer une louve anthropomorphe, dont si j’ai bien compris, les cycles mâle/femelle sont biologiques, comme modèle pour de jeunes humains rencontrant une dysphorie de genre. Des propos pour le moins très désinvoltes, sachant que contrairement à Petigré, changer d’identité sexuelle n’a rien de naturel chez l’être humain. 
Je sais bien que cette interview a été publiée dans un numéro « Spécial Noël », mais envisager « l’identité » même « au sens large » comme une panoplie qu’il suffirait de commander au Père Noël m’apparait pour le moins irréaliste. 
Sauf que justement, la « théorie du genre » repose sur l’idéalisme kantien. Du moins pour sa partie théorique. Ce qui colle finalement assez bien avec les propos d’Émilie Alibert, mais bien peu avec la réalité biologique des humains. 
La partie pratique elle, repose sur la funeste expérience que le psychologue et sexologue Jim Money a menée sur David Reimer. <soupir>
Et proposer, comme modèle je le rappelle,  une louve anthropomorphique à celleux (sic) qui se sentirait dans l’expectative quant à leur « genre » me laisse pantois. Un modèle tout aussi hors-sol que cette doxa qui ne repose sur rien de sérieux (mais bénéficie d'un bouche à oreille très inquiétant). 
Tout comme de déclarer qu’on va renouveler le surf en y ajoutant des roues, sans s’apercevoir qu’on vient d’inventer une nouvelle discipline, …… déjà vieille de cinquante ans. 
            Or donc, sait-on jamais, peut-être que malgré cette dangereuse arrogance militante et cette ignorance embarrassante d’un (mauvais) genre qui ne l’a pas attendu pour se « renouveler », « Le Roi Louve » proposera un divertissement de choix, peut-être même que cette BD sera « émaillées de dangers, [..] joyeuse et pleine d’aventures. » comme on nous le promet. 
En attendant, les planches d'Adrián Fernández Delgado sont très réussies.
(À suivre .....)

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