La story : Juste après l'affaire « Merah »mars 2012, une grenade est jetée dans une épicerie casher de la banlieue Nord de Paris. Aucun mort.
La goupille porte des traces d'ADN, un individu est identifié, mais on le laisse courir pendant deux semaines pour tenter d'identifier son réseau.
Résultat : un dossier d'instruction de plus de 3000 pages, et un procès qui durera deux mois.
Morgan Sportès, dont ce n'est pas le premier « romanquête », non-fiction novel dans la langue de son modèle Truman Capote, nous emmène au plus profond et surtout au plus proche, d'un lumpenprophètariat que l'on côtoie sûrement plus souvent qu'on ne le croit.
À base d'écoutes téléphoniques, que Sportès retranscrit au plus près d'un sabir qu'il doit ensuite remettre en bon français, de procès-verbaux de filatures, de rencontres, d'audiences et de finalement trois ans de travail, toute une nébuleuse islamiste de proximité se dessine.
Un inframonde inédit le plus souvent, pétri de contradictions où l'on mange avec les doigts « Du temps du Prophète, y avait pas de fourchette ! », mais où on utilise Google traduction™ pour comprendre le mode d'emploi d'une cocotte explosive écrit en anglais : « La cocotte doit être une Cocotte à l’ancienne, parfaitement hermétique, sans piston donc qui, laissant échapper l’air, empêcherait la déflagration. Il en existe de très efficaces chez SEB. ». Où, après une circoncision faite en Tunisie, on rentre dare-dare pour se faire soigner chez les kouffar dans une clinique française.
Contradiction encore lorsqu'il apparaît que les individus qui composent et qui gravitent autour de la cellule terroristes ne sont pas forcément des laissés-pour-compte élevés sans l'amour de leur parents et de leur familles. Ainsi, « Nadia, laquelle vient d’avoir 18 ans. Majeure, elle peut désormais retirer l’argent figurant sur son compte postal ouvert dans cette ville du Nord. C’est son père, domicilié là-bas, qui l’a alimenté, mensuellement, depuis des années, afin de laisser à sa fille un pécule (il avait divorcé) : la somme est plus que rondelette, c’est même une fortune aux yeux de Nadia et Saïd : 20 000 euros.»
Morgan Sportès nous emmènera également en Syrie, ce qui permettra de mettre en lumière, via les témoignage de ceux qui s'y rendront, le double jeu de la Turquie. Et d'une manière plus générale des gouvernements occidentaux.
« Les djihadistes aussi ont des peines de cœur » signe aussi, en creux, le malaise civilisationnelle de la France, en montrant par exemple des policiers témoignant, au procès, en ombres chinoise, et des victimes qui n'osent pas se présenter devant la cour.
« Le problème russo-américain […] va être dépassé lui-même avant très peu : ça ne sera plus un choc d’empires, nous assisterons à un choc de civilisations… »
Albert Camus (1946)
Une approche à la Samuel Huntignton que récuse par ailleurs, dans ses interviews Morgan Sportès.
Mais son récit, dans lequel il a délibérément décidé de laisse sa place d'auteur, exprime pourtant à mes yeux cette interprétation. Lui y voit le fruit d'un capitalisme qui fétichise la marchandise, des individus en quête de sens ; l’islam serait, selon les propos d'un proche d'un des membres de la cellule terroriste, une religion « carrée, comme le service militaire ». Certes, mais alors pourquoi choisir d'en être le héraut de l'aspect le plus belliqueux ? Le plus rétrograde ?
Précision importante, surtout pour ceux qui ne liront pas le livre de Morgan Sportès, a aucun moment dans cette mésaventure ubuesque, l'auteur (qui ne l'est donc pas) ne donne ne serait-ce que l'impression d'excuser les agissements de ces pieds nickelés certifiés halal.
Mais lors d'un entretien, disponible sur Youtube™, qui se déroule, ça ne s'invente pas, dans un restaurant qui s'appelle La p'tite cocotte, sis à Nice, il est clair que pour lui c'est la société capitaliste qui rend possible favorise ce que son livre décrit. Qui exacerbe la rancune d'une frange de la société française.
Poussé par sa contradictrice, il lâche même le terme de « sacrifiés », parlant, d'une manière générale de ceux qui sont rejetés aux marges de la société dans laquelle on vit. Et de facto des (dé)Possédés dont il relate les mortels projets.
Un mot malencontreux, en complète contradiction pourtant avec les faits qu'il décrit dans son romanquête. Où les protagonistes islamisés et créolisés (outre-marins, noichis, gaulois, blacks et même un jeune bourgeois juif converti à l'islam) sont essentiellement d'anciennes cailleras, dont l'entourage familial n'avait pourtant jamais manqué de leur prodiguer soutient et amour.
En fin de compte, « Les djihadistes aussi ont des peines de cœur » est un ouvrage qui permet même de « penser contre » son auteur (qui ne l'est donc pas vraiment). Une belle preuve d’honnêteté intellectuelle !
Commentaires
Enregistrer un commentaire