« En France nous étions des poètes, et par là je comprenais qu’il voulait désigner pudiquement des eunuques poudrés qui ont inventé colin-maillard et l’escarpolette. »
Jean Roscoff, maître de conférences à l’université Paris-VIII, divorcé, un enfant, prend sa retraite et ravive un vieux projet ; l’écriture d’une biographie sur un obscur poète américain, Robert Willow, un temps compagnon de route des Existentialistes germanopratins, avant de se retirer à Étampes, sous-préfecture de l’Essonne.
Ce sexagénaire, qu’Abel Quentin nous présente comme un pur produit de la gauche mitterrandienne, ex-militant à SOS Racisme™, va dès la parution de son discret opuscule, chez un tout aussi discret éditeur, prendre en pleine face une shitstorm 3.0 inversement proportionnelle à l’intérêt que suscitait jusqu’alors le poète américain, mort dans la fleur de l’âge au volant de sa Peugeot 404.
Un déchaînement de critiques virulentes et anonymes, d’abord via les réseaux sociaux, qui apprendra à Jean Roscoff que son antiracisme version Marche des beurs© ne lui suffit plus pour être dans le « camp du bien ». L'antiracisme universaliste a vécu : R.I.P..
De nos jours, en effet, le progressisme a pris l’allure d’un protestantisme séculier qu’on appelle le « wokisme ».
Il y est question de « théorie critique de la race », de « fragilité Blanche », de « racisme d’État », de « théorie du genre », de « luttes intersectionnelles », etc., un novlangue* dont le vieux slogan soixant-huitare : « d’où tu parles, camarade ! » pourrait être un bon et rapide résumé.
Les « wokes » donc, ou les éveillé.e.s, sont des humain.e.s conscientisé.e.s par les oppressions qui pèsent sur les minorité.e.s.
Pour faire simple, si vous n’êtes pas un homme Blanc, hétérosexuel d’au moins cinquante ans, vous êtes un « dominant ». Ainsi votre situation de leucoderme vous ferme-t-elle pratiquement toutes les portes des laissés-pour-compte, quand bien même seriez-vous un SDF atteint d’un cancer, au chômage. Sauf si vous vous repentez d’être Blanc, encore que ....
« Elles attendaient de moi que je demeure fidèle à l’essence qui m’était assignée, celle d’un Blanc raciste, systématiquement et désespérément raciste, c’était dans l’ordre des choses. Aucune conversion n’était possible.»
Mais attention, les places de victimes sont chères, et surtout définitives.
Car le wokisme est d’abord une assignation identitaire, et gare aux apostats.
Ainsi, Jean Roscoff n’avait en aucun cas le droit de parler de, ni pour, Robert Willow, en regard de cette assignation, quand bien même personne ne le faisait.
En le faisant, il s’est rendu coupable du crime symbolique (mais tout aussi funeste) « d’appropriation culturelle », et de la circonstance aggravante de color blindness.
Une faute qu’il ne pouvait cependant pas envisager, puisque son logiciel antiraciste universaliste prônait depuis toujours l’aveuglement volontaire aux couleurs de la peau. Ce que ne tolère pas le « nouvel » antiracisme woke.
De nos jours, si vous voulez écrire la biographie de quelqu’un.e par exemple, ou même en traduire le travail, il vous faut partager avec iel (sic) le même genre, la même race. Voire son régime alimentaire.
Or donc, vous l’avez compris, Abel Quentin nous offre avec son deuxième roman un polaroid™ à peine photoshopé d’un phénomène venu directement des U.S.A., et qui fait de plus en plus parler de lui en France.
Mais comme vous l’avez peut-être entendu dire, « en France on n’a pas de pétrole, mais on a des idées », à tel point qu’on les a exportées.
Et le wokisme est précisément, nous apprend-on, une résurgence étasunienne de la pensée postmoderne de quelques philosophes français qui avaient fait de la « déconstruction » le cœur nucléaire de leur travaux intellectuels, citons par exemple Michel Foucault, Gilles Deleuze ou Jacques Derrida ; et qui ont trouvé, dès les années 1970, sur les campus américains, des oreilles très attentives.
« J’étais un Blanc, un babtou, un white, un blanco, un Visage Pâle héritier de la vieille civilisation technique et arrogante, de la vieille civilisation paternaliste et sanglante, la vieille civilisation hypocrite, la vieille civilisation qui porte en elle les gènes du meurtre »
Mais ce qui est particulièrement étonnant avec « Le voyant d’Étampes » c’est la quasi-unanimité des critiques.
Bien que publié par une maison d’édition réputée à droite de l’échiquier politique hexagonal, le livre d’Abel Quentin (un pseudonyme lui aussi pourtant révélateur, chipé à Un singe en hiver d’Antoine Blondin) a été salué certes par Valeurs Actuelles, mais aussi par exemple par Transfuge, Télérama et même Libération.
Il faut dire qu’Abel Quentin écrit sous la doctrine Hammett™.
Laquelle doctrine n’a cependant rien à voir avec la proximité que l’auteur du Faucon maltais entretenait avec le parti communiste étasunien, à l’instar du poète Robert Wilson objet de la biographie de Jean Roscoff, mais tout à voir avec ce roman policier justement, où l’épilogue transforme complétement l’enquête qu’y menait le détective Sam Spade.
Idem donc pour la terrible mésaventure de Jean Roscoff, où le récit prend une tout autre tournure, et abandonne sa bienveillante repentance dans les dernières pages. Un retournement de situation qui a peut-être échappé à certains ?
« Le voyant d’Étampes » est en définitive un roman rien moins qu’édifiant, comme pourrait le laisser supposer son sujet. A contrario, très incarné et surtout très divertissant, son attrait romanesque n’empêche néanmoins pas de réfléchir à la mésaventure de Jean Roscoff, laquelle doit beaucoup au talent d’Abel Quentin, mais malheureusement rien à son imagination. Enfin si, un peu …..
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*Novlangue, est la traduction d’Amélie Audiberti du mot-valise « newspeak », qu’utilise George Orwell dans son roman 1984. Novlangue est, sous la plume de la traductrice, du genre masculin. Contrairement à l’usage actuel, lequel à mon avis contrevient, en le féminisant, à l’esprit du roman.
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