Accéder au contenu principal

Annapurna 1950 [Christian Greiling]

« Annapurna 1950 » est un de ces essais dont la portée dépasse le strict cadre de son propos. En effet s'il décortique ce qui est arrivé à cet exploit quasi surhumain entre ce qu'il reflétait il y a un peu plus de 70 ans et ce qu'il est devenu au tournant des années 1980 (et encore méchamment entretenu aujourd'hui), il jette également une lumière crue sur l'entreprise générale d'auto- « déconstruction » qui agite le monde occidental avec de plus en plus de virulence.
Je ne vous cacherai pas que son sous-titre « Un exploit français sous le feu de la cancel culture » m'a un peu refroidi au moment de mon achat (24 euros TTC), reste qu'en définitive ce que je prenais pour un vilain anachronisme n'en était pas un, et que l'enquête très méticuleuse et argumentée de Christian Greiling lui donne toutes les justifications nécessaires.
Toutefois, pour ceux qui à l'inverse bien évidemment de l'auteur, ou de moi-même (entre autres), ne seraient pas familier avec l'histoire de l'alpinisme, ou peut-être ici est-il plus juste de parler d'himalayisme, voici un rapide rappel (sic) des faits : 
            En 1950, une expédition française conduite par Maurice Herzog et comprenant Louis Lachenal (guide de montagne), Gaston Rébuffat (guide de montagne), Lionel Terray (guide de montagne), Marcel Hichac (cinéaste), Jean Couzy, Marcel Schatz, Jacques Oudot (médecin) et Francis de Noyelle alors secrétaire à l'ambassade de France à New Delhi, part au Népal afin de tenter de gravir pour la première fois un 8 000 mètres. Précision capitale, le royaume du roi Tribhuvan Bir Bikram Shah Dev est encore, à l'époque, une Terra incognita pour les occidentaux. Et conséquence directe, l'Annapurna des français ne bénéficie donc pas d'expéditions qui l'ont précédé. Comme ce sera la cas par exemple pour le mont Everest en 1953, les Britanniques profitant (en le reconnaissant) des tentatives précédentes, dont celle d'une cordée suisse qui l'année d'avant avait échoué à 200 mètres du sommet.
            Au terme de plusieurs semaines d'explorations à partir de la vallée de Tukucha, et d'une valse-hésitation entre l'Annapurna et le Dhaulagiri (8167 mètres), c'est finalement le premier qui est choisi.
Reste à installer les différents camps d'altitudes qui permettront de rallier le sommet. Inutile de vous dire que les conditions sont très difficiles. Mais le temps presse, la mousson arrive.
Finalement le 3 juin Herzog et Lachenal atteignent le sommet de l'Annapurna
Mais le plus dur reste à faire, en effet la descente sera homérique (pieds et mains gelés, nuit dans une crevasse, avalanche, doigts et orteils amputés, transport des blessés à dos d'homme au bord de précipices).
            Si l'Annapurna est donc le premier 8000 à être gravi, il est aussi le seul à l'être à la première tentative.
            Comment alors expliquer que cet exploit, qui addition la geste sportive et probablement la dernière aventure terrestre jamais réalisée, fasse aujourd'hui les frais d'une remise en cause et d'attaques idéologiques ...... uniquement en France ?!
C'est ce que décortique avec précision l'ouvrage de Christian Greiling, qui sait qu'un « mensonge est plus dur à tuer qu'un fantôme » (comme le disait à peu près Virginia Woolf) . 
            Préambule indispensable, il n'est pas nécessaire d'être un aficionado du monde des cimes enneigées pour aborder ce livre. Christian Greiling est un excellent pédagogue, et tout ce qu'il est nécessaire de savoir sur cette entreprise est présent et excellemment présenté dans ce livre.
Si je connaissais cette aventure pour avoir lu l'ouvrage collectif, mais signé Maurice Herzog ; Annapurna, premier 8000, je n'avais aucune idée de la cuisine interne de l'expédition (préparation, retombées), ni des griefs des uns et des autres, pas plus non plus de l'opération de démolition qui entrera en scène au début des années Mitterrand™. 
            Ce que met à jour Christian Greiling, c'est un puissant sentiment d'oikophobie (il ne prononce pas lui-même le terme), littéralement « la peur de sa maison » ou plus exactement ici, rejet de la culture de son propre pays, que l'on juge avec la morale d'aujourd'hui quand bien même l'époque que l'on ausculte avait-elle des idéaux différents. Mais le plus souvent la morale est simplement remplacée par la moraline (copyright Nietzsche).
Ce qui, somme toute, serait relativement bénin, mais il s'agit surtout de prendre la mauvaise part de tout en utilisant - mais pas seulement - les péchés capitaux sociétaux : colonialisme, racisme, patriarcat, etc., et de les mettre sur le dos de ceux qu'on a dans le viseur idéologique du moment.
            Cependant, le tour de force de Christian Greiling c'est - de mon point de vue - de faire advenir à partir de toute cette négativité une aventure, celle des hommes déjà cités et des sherpas, dont le sirdar Ang Tharkey qui viendra à Paris en 1953 pour recevoir la Légion d'honneur et accompagner la sortie du film Victoire sur l'Annapurna (et dont Hergé saura se souvenir), une aventure disais-je ; peut-être encore plus flamboyante aujourd'hui qu'elle ne l'était en 1950.
Le changement de paradigme qui fait aujourd'hui dire (par certains) du mal des qualités qui entourent cette expédition, lui donne les allures (pour d'autres) d'un paradis perdu.
Vous avez certainement compris dans quel camp je me trouve. 
Un paradis certes perdu, mais pas à jamais.
En tout cas tant qu'il restera des gens de la trempe d'un Christian Greiling.                 

Commentaires

  1. Bonjour, si cela vous intéresse, le très intéressant site de l auteur: https://www.chroniquesdugrandjeu.com/

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Triple frontière [Mark Boal / J.C. Chandor]

En même temps qu'un tournage qui devait débuter en 2011, sous la direction de K athryn B igelow, Triple frontière se verra lié à une tripotée d'acteurs bankables : S ean P enn, J avier B ardem, D enzel W ashington. Et même T om H anks. À ce moment-là, le titre est devenu Sleeping dogs , et d'autres noms circulent ( C hanning T atum ou encore T om H ardy). Durant cette période de valses-hésitations, outre M ark B oal au scénario, la seule constante restera le lieu où devrait se dérouler l'action. La « triple frontière » du titre est une enclave aux confins du Paraguay , du Brésil et de l' Argentine , devenue zone de libre-échange et symbole d'une mondialisation productiviste à fort dynamisme économique. Le barrage d' Itaipu qui y a été construit entre 1975 et 1982, le plus grand du monde, produirait 75 % de l’électricité consommé au Brésil et au Paraguay . Ce territoire a même sa propre langue, le « Portugnol », une langue de confluence, mélange d

The Words

... The Words ( Les Mots ) est un film qui avait tout pour me séduire : le roman en tant qu'élément principal, des acteurs que j'aime bien ; D ennis Q uaid, J eremy I rons, J . K . S immons et B radley C ooper. Éléments supplémentaire l'histoire se révèle être une histoire dans l'hisitoire. Ou plus exactement un roman à propos de l'écriture d'un roman, écrit par un autre ; entre fiction et réalité.  Je m'explique. Clay Hammon fait une lecture public de son dernier livre The Words dans lequel un jeune auteur, Rory Jansen , en mal de reconnaissance tente vaille que vaille de placer son roman chez différents éditeurs. Cet homme vit avec une très belle jeune femme et il est entouré d'une famille aimante. Finalement il va se construire une vie somme toute agréable mais loin de ce qu'il envisageait. Au cours de sa lune de miel, à Paris , son épouse va lui offrir une vieille serviette en cuir découverte chez un antiquaire, pour dit-elle qu'

Big Wednesday (John Milius)

Une anecdote circule au sujet du film de J ohn M ilius, alors qu'ils s’apprêtaient à sortir leur film respectif ( La Guerre des Etoiles , Rencontre du Troisième Type et Big Wednesday ) G eorge L ucas, S teven S pielberg et J ohn M ilius  auraient fait un pacte : les bénéfices de leur film seront mis en commun et partagés en trois. Un sacré coup de chance pour M ilius dont le film fit un flop contrairement aux deux autres. Un vrai surfeur ne doit pas se laisser prendre au piège de la célébrité  Un vrai surfeur ne doit pas se sentir couper des siens. Il ne doit pas courir derrière les dollars, ni gagner toutes les compétitions. [..] M idget F arrelly champion du monde de surf 1964  ... Big Wednesday est l'histoire de trois jeunes californiens dont la vie est rythmée par le surf ; on les découvre en pleine adolescence au cours de l'été 1962, et nous les suivrons jusqu'à un certain mercredi de l'été 1974.   L'origine du surf se perd dans la nuit des