L’étiquette « Country noir » englobe désormais, depuis Daniel Woodrell pour le dire vite (son roman Faites-nous la bise en avait fait son sous-titre), un genre qui lui préexiste largement.
William Faulkner, Charles Williams, Flannery O'Connor, Cormac McCarthy, pour ne citer qu'une poignée des signatures étasuniennes, s'y illustreront, tout en le façonnant. Toutefois, dès 1929, Marcel Aymé donnait une version du genre, toute aussi réussie avec La table-aux-crevés, qu'on pourrait adapter en un « Rural noir » plus hexagonal.
Ce sous-genre de la littérature policière donc, fédère un corpus d'histoires qui se déroulent essentiellement dans le milieu rural, voire forestier, mais aux tonalités bien différentes selon qu'on est plutôt dans le « Backwoods noir » à la Charles Williams, le roman sudiste gothique façon Harry Crews, ou celui des grands espaces du shérif Walt Longmire, par exemple.Concomitant, aux U.S.A, du développement du roman hard-boiled, le « Country noir » partage donc avec lui plusieurs traits de caractère, en plus de ses propres spécificités.
Pour ce qui concerne la bande dessinée, « Southern Bastards », dont il est ici question, et que je rattache au genre, nous avons les ingrédients suivants : un milieu reculé, la loi du silence, des problématiques familiales, des liens étroits entre les personnages. Ainsi que l'image déformée d'un imaginaire collectif fort, presque une mythologie, le football (américain). Cette description ne peut cependant pas faire l'impasse sur ce qu'on appelle communément le « poor white trash », et qui qualifie la catégorie des blancs pauvres. Au départ, plus particulièrement ceux du Sud des États-Unis.
Le « white trash » est depuis devenu une catégorie, symboliquement, équivalente à minorité raciale, et donc à un déclassement social. Et en ce qui nous concerne ici, un d'archétype (stéréotype) perçu comme dangereux.
Je n'oublierai pas de citer non plus une figure encore plus controversée, celle dite du « magical negro », qui s'incarne sous les traits de Big.Or donc le « Country noir » c'est, pour le dire à la manière d'André Malraux, l'intrusion de la tragédie grecque dans l'Amérique profonde.
« Southern Bastards », série dont le titre est particulièrement évocateur, fait montre de suffisamment d’habileté pour titiller la curiosité durant les quatre tomes traduits par Benjamin Rivière, et commercialisé en France par Urban Comics™. Une habileté qui ne masque toutefois pas entièrement un manque de moyens évidents.
En effet Jason Aaron peine à faire de la plupart des personnage secondaire autre chose que des figurants de luxe. Soucieux de développer la population de Craw, il amène toute une théorie de protagonistes, qu'il néglige (plus ou moins) ensuite. Si « Southern Bastards » est structurellement un récit capable d'enquiller autant d'histoires qu'il y a de personnages, son scénariste ne sait visiblement en raconter qu'une seule à la fois. Bien sûr il est possible de se rattraper ensuite, mais l'impression qu'il manque quelque chose est un sentiment qui persiste. Et qui s'amplifie dès lors qu'un personnage capte notre attention pour disparaître aussi vite qu'il est apparu.
L'exemple de Big, pourtant très
présent, qui ne sort jamais du cliché dont il est
la simpliste expression, son seul but semble être
d'aider Coach, est particulièrement parlant.
Mais, malgré ou peut-être en partie à cause de ses faiblesses, « Southern Bastards » aura été une lecture intéressante, et captivante. Le personnage principal est suffisamment tordu, et le scénariste manipulateur, pour capter l'attention et attiser la curiosité. Riche de ce que le « Country noir » peut proposer, cette série (pour l'instant en stand-by, et les problème de Jason Latour, son dessinateur ne font rien pour arranger les choses) bénéficie encore de l'exotisme d'un genre qu'on distribue en contrebande.
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