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Le Bûcher des vanités [Tom Wolfe / Benjamin Legrand]

Dernier écrivain français du XIXe siècle, Tom Wolfe (1930-2018) est né à Richmond en Virginie
S’il citait Thackeray & Dickens, deux auteurs envers qui 
« Le Bûcher des vanités » a une dette ; l’un pour le titre l’autre pour la forme. Tom Wolfe se reconnaissait volontiers en Balzac, avec qui il partageait une même vision du monde disait-il, et en Zola dont la technique le fascinait. Et à propos duquel il citait par ailleurs le procédé suivant : Émile Zola, avant chacun de ses romans, s’écrivait une lettre où il recensait & synthétisait toutes les recherches qu’il avait faites pour pouvoir les écrire. 
            Et incidemment, le « Nouveau journalisme™ », dont le virginien a été le héraut à défaut d’en avoir été véritablement l’inventeur, est né sous la forme d’une lettre qu’il avait - justement - écrite au rédacteur en chef du magazine Esquire
Voilà comment ça s'est passé. 
            Alors qu’il avait négocié un article au sujet de voitures customisées, Tom Wolfe se trouva incapable de l’écrire. Byron Dobell, le rédacteur en chef en question, lui aurait donc rappelé que le magazine avait dépensé 10 000$ pour des photos en couleurs de l’événement et qu’il fallait absolument que Wolfe accouche de quelque chose. À bout d’arguments Dobell lui aurait lancé : « Bon, OK, envoie-moi tes notes, on va prendre un mec qui sait écrire !». 
Tom Wolfe - mortifié, s’est donc assis devant sa machine à écrire et a commencé : « Cher Byron, la première fois que j’ai vu des voitures customisées, c’était à un évènement qui s’appelait le Teen Fair à Burbank, bla-bla-bla. ». Sept heures de boulot et 48 pages plus tard, la lettre est envoyée à la rédaction d'Esquire. Elle sera publiée telle quelle (sauf le « Cher Byron »). 
Tom Wolfe avait alors 32 ans et c’était le premier d’une longue liste d’articles pour les magazines américains les plus prestigieux qu’il venait d’écrire. 
Crocodile Dandy 
            Toujours vêtu d'un de ses trente-deux costumes de flanelle blanche coupés sur-mesure par Vincent Nicolosi sis 501, Madison Avenue (NY), et d'une de ses chemises façonnées par Alex Kabbaz, d'Amagansett (un hameau d'East Hampton dans le comté de Suffolk, dans l'État de New York), et bien évidemment chaussé de chaussures - dont il avait lui-même dessiné la forme, taillées dans un cuir venu tout droit de Londres ; Thomas Kennerly Wolfe Jr. ne laissait pas indifférent. 
            Journaliste reconnu, Wolfe ne franchira cependant les portes de la littérature que très tard. Et encore, en y allant prudemment (même si l'idée de publier un roman-feuilleton tombe sous le sens de ses maîtres avoués) ; alors même que le Nouveau journalisme™ se voulait un mouvement qui réduit pourtant la distance entre journalisme et littérature jusqu’à les confondre. 
Mais les faits sont tenaces, et son premier roman, « Le Bûcher des vanités », sera - à sa demande, publié sous la forme d'un feuilleton en 27 livraisons dans les pages du magazine Rolling Stone (avec lequel le new-yorkais d'adoption collaborait depuis 1969), entre le 19 juillet 1984 et le 29 août 1985. Avant de finalement paraitre en librairie en 1987, l'année des 57 ans de Thomas K. Wolfe ; avec quelques notables modifications - comme la profession du personnage principal : Sherman McCoy y deviendra un golden boy de Wall Street en lieu et place d'être un écrivain. 
Bref un yuppie de la plus belle eau comme les années 80 ont su en produire. Au point d'en faire un véritable stéréotype culturel. 
Balzola 
            En « secrétaire de la société » américaine féru d'hyperréalisme, TK (prononcer tiké) a un besoin viscéral de faits. Ainsi le déclencheur de son premier roman, alors qu'il voulait écrire à propos du New York des années 1980, inspiré par La Foire aux vanités de Thackeray, sera une rencontre avec le substitut du procureur du Bronx, Edward W. Hayes (qui deviendra Tommy Killian dans le roman), lequel l'entraînera dans un monde où la justice blanche se coltine avec la dure réalité du Bronx noir : « un grand jury inculperait un sandwich jambon, si c’était ce que vous vouliez ». 
Mais là où la pente naturelle du zeitgeist aurait entraîné n'importe qui d'autre vers une histoire connue avant même d'avoir été lue, Tom Wolf fait preuve d'un courage inouï et donne à voir un kaléidoscope captivant & audacieux de personnages et de situations ! 
Et un roman inattendu.
            Autoproclamé « Maître de l'univers » Sherman McCoy est le champion de la vente d'obligations, un secteur qui a alors un rendement financier extraordinaire. Il habite un appartement somptueux sur Park Avenue avec son épouse et sa fille. Figure de la réussite, ce golden boy entretient une liaison adultère avec Maria Ruskin. Un soir alors qu'il l'a ramène de l'aéroport il se trompe de sortie et se retrouve dans l'arrondissement de New-York connu sous le nom de Bronx. Un endroit aux antipodes de Park Avenue.
Là tout tourne mal. Et en tentant d'échapper à deux afro-américains, dont ils pensent qu'ils leur ont tendu une embuscade, tout laisse croire à McCoy que Maria, qui a entretemps pris le volant, en heurté un des deux hommes en s'enfuyant à tombeau ouvert. 
De retour à l’appartement de Maria, elle dissuade son amant d'aller à la police. 
Avant cet accident, alors que Sherman McCoy menait grand train d’autres new-yorkais n’était pas à la noce. 
            Le procureur du Bronx, dont l’élection devait bientôt se jouer, son substitut qui rêve de monter dans la hiérarchie, le maire de New York dont les voies noires ne lui sont pas forcément acquises. 
Ou encore Peter Fallow - « Vous avez déjà remarqué comment les Amerloques se réfèrent aux femmes comme à une minorité ? » - un journaliste anglais alcoolique qui travaille pour un tabloïd, le City Light
Des gens qui ne se connaissent pas et qui vont, avec d’autres comme le Révérend Bacon, ou l’avocat dur-à-cuire Tommy Killian, être réunis par cet accident ; qui se révélera être un délit de fuite funeste.
La bête humaine 
            À partir de ce fait divers dramatique, le WASP bon teint, va devenir la proie d'une multitude de prédateurs dont l'idée commune est de se payer un petit bourgeois blanc. TK va utiliser toutes les recettes du « roman de gare », qu'on l'accusera parfois d'avoir écrit, et ficeler un page-turner, qui attirerait sûrement aujourd'hui une multitudes de relecteurs de susceptibilité(s) (sensitivity readers) tant son brûlot est très politiquement incorrect. Fasciste dirait-on certainement de nos jours.
Cherry on the cake, l'épilogue agit comme une parallaxe en faisant du chemin de croix de Sherman McCoy les raisons d'un basculement viriliste que ne renierait pas Tyler Durden !
Un roman à contre-courant.

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