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Les Nuits rouges [Sébastien Raizer]

En 2019, dans une ville du Nord-est de la France, quarante ans après sa disparition, des travaux exhument d'un crassier le corps momifié d'André Gallois. Un ouvrier des aciéries, alors en pleine tourmente économique & sociale, dont l'épouse, aujourd'hui internée en EPADH, disait à l’époque qu'il l'avait abandonnée, elle et ses jumeaux, pour une femme. 
« Notre rôle ici, [...] ce n'est pas la loi ni la justice, mais la paix sociale. À n'importe quel prix. » 
Metzger (commissaire en retraite) 
            « Les Nuits rouges », dont le titre et l'arrière-plan social ne manqueront pas d'évoquer chez les amateurs de romans noirs le célèbre précédent de Dashiell Hammett connu sous le titre presque homonyme de Moisson rouge1929, « Les Nuits rouges » donc est un roman aussi traître qu'ont pu l'être les politiciens envers la sidérurgie française au siècle dernier. 
Je m'explique.
Sujet ambitieux, distribution copieuse, le roman de Sébastien Raizer entretient l'illusion d'un polar social de la plus belle veine pour se conclure sur un climax digne des meilleurs romans-feuilletons ; en sacrifiant au passage son ambition et en laissant en rase campagne la plupart de ses personnages. Ce n'est plus un roman, c'est un plan social. [Sourire] 
« [..] or j’estime la précision technique nécessaire à l’écriture, dans la Série Noire. » 
Jean-Patrick Manchette 
            Cela dit, je ne peux pas dire que je n'avais pas était prévenu. En effet, ça commence assez mal avec l'arrivée d'un commissaire-adjoint qui rencontre un inspecteur douteux dans un commissariat plein d'OPJ. 
Pourquoi cela commence-t-il si mal me direz-vous ? 
Eh bien d'abord parce qu'un commissaire-adjoint ça n'existe pas plus qu'un inspecteur dans la pyramide des grades de la police nationale au moment où se déroule l'intrigue, à savoir en 2019. Ça ne s'arrangera pas avec le soin maniaque que Sébastien Raizer met à souligner que tel ou tel agent de police est OPJ - qualification judiciaire tout ce qu'il y a d'exacte - alors que ces derniers n'effectuent cependant, que des tâches subalternes. Lesquelles sont alors très très loin du domaine de compétences d'un officier de police judiciaire, au moment où ils sont cités. 
Ce qui m'a fait me demander ce que cette précision compulsive était censée révéler. Aux dernières nouvelles, rien du tout. 
Ce qui m'amène donc à penser que l'exactitude revendiquée exigée par Manchette ne fait pas partie du propre arsenal de Raizer. Quand bien même écrit-il pourtant pour la célèbre collection. 
            Ensuite ça ne s'arrangera toujours pas lorsque l'ambition d'asseoir une intrigue de type whodunit dans un environnement social particulier (la crise de la sidérurgie dans le bassin lorrain), dont le roman serait le révélateur des causes et des effets, sera manifeste. 
Une ambition d'ailleurs corroborée par les propos de l'auteur [Pour en savoir +]; lui-même âgé de 9 ans en 1979, et habitant alors Thionville : « j’ai un vécu et un ressenti très vifs, très précis de cette année 1979, [...] Ce qui m’intéressait, c’était les chairs, les corps, les larmes et le sang, les espoirs, la formidable force de vie, la colère des gens de toute une région. La parole politique est irrévocablement vile et obscène en regard de la force de vie qui s’est exprimée dans la révolte des ouvriers. » 
Cette crise, prend-il garde de préciser après la commercialisation de son roman, 
« était l’archétype de tous les démantèlements suivants, industriels d’abord, structurels ensuite : services publics, infrastructures, écoles, hôpitaux, Ehpad, etc. Et que ce que l’on nomme la " crise " est fondamentalement constitutive du capitalisme, [..]». 
Un plaidoyer très prometteur qui n'engagera que ceux qui y croiront. Avant que 
« Les Nuits rouges » ne douche leur enthousiasme, comme cela m'est arrivé. 
            Le reste est malheureusement à l'avenant. 
Sébastien Raizer ancre son histoire en 2019 donc, dans une ville corrompue, gangrenée par le trafic de drogue, sous la coupe d'Albanais fantomatiques et d'un ex-commissaire en peau de lapin. Il y a aussi un mystérieux SUV noir et sa toute aussi mystérieuse conductrice, qui valident la théorie littéraire dite de Tchekhov comme peu d'arguments ont l'occasion de le faire.
Ça s'agite beaucoup pour finalement pas grand-chose. Sinon quelques grimaces effrayantes dudit ex-commissaire et de l’inspecteur albinos. À ce propos on se croirait, sans rire, revenu au bon vieux temps des stéréotypes morphologique. [Sourire] 
            Reste toutefois quelques scènes vraiment excellentes : l'interrogatoire dans la forêt de la junkie, la douche de l'épouse du commissaire-adjoint ou encore (et surtout) le duel final digne d'un Ponson du Terrail au mieux de sa forme romanesque. L'attaque des trois péquenauds est pas mal non plus. Sans oublier l'inspecteur Faas (quel patronyme) et « ces iris rouges qui fulminaient sur un masque de démence. Et même s'il s'y attendait, ce visage de la folie produisit son effet répulsif ». 
            Au final, « Les Nuits rouges » donne l'impression d'un manque de relecture évidente. Outre les approximations quant au fonctionnement de la police et l'arasement des aspects sociaux-politiques, il y a au moins deux ou trois scènes dont je me demande encore ce qu'elles viennent faire là : le SUV qui stationne devant le club de boxe déjà évoqué, le baiser toujours devant le même club, le départ de la femme d'un des jumeaux. Le traitement de l'addiction du héros, qui visiblement ne l'empêche pas d'être un tireur d'élite. La junkie qui connait le pedigree complet du tueur, genre on s'échange nos cartes de visite dans le milieu de la dope. Bref tout ça a un petit parfum d'amateurisme qui range « Les Nuits rouges » du côté des polars usinés avec maladresse, pas désagréable au demeurant, mais à cent lieues de la prémisse originelle. 
 
(À suivre ?)

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