Le première séquence du film de Cord Jefferson, adapté librement du roman de Percival Everett - Effacement, met les pieds dans le plat.
On y voit Thelonious Ellison, dit Monk batailler avec une étudiante à propos du mot « nègre ». Cette discussion qui voit donc une jeune femme blanche ne pas comprendre lorsque son professeur lui explique que si lui, a pu passer outre ce que ce mot véhiculait, puisque le cours porte sur l'analyse d'une nouvelle de Flannery O'Connor, elle devrait être en mesure de le faire.
Le résultat de cette discussion est, comme on pouvait s'y attendre, que le conseil d'administration de l'université demande à Monk de prendre une « pause ».
Parallèlement à ses déboires familiaux, il ne s'entend pas très avec sa famille, et aux développements d'une rencontre sentimentale, on suit surtout Monk au travers de ses déconvenues concernant la publication de son roman, dont malgré le travail de son agent aucun éditeur ne veut.
En effet, Monk est un romancier afro-américain et le monde de l'édition attend d'un afro-américain qu'il se conforme à une assignation identitaire.
Au point que lorsqu'il cherche dans une librairie ses propres livres il a l'horreur de découvrir qu'il sont classés au rayon ...... afro-américain.
En fait en V.O c'est au rayon « African-American Studies », entendu que les
« studies » en question sont de la « recherches » militantes. Il ne s'agit pas, en effet, pour les studies d'étudier tel ou tel domaine, mais bien de faire de la propagande pour les idées progressistes (attention faux-ami) dans les domaines dont elles s'empare. Et comme le dit Monk, « they're just litterature. The blackest thing about this one is the ink. ».
Mais manifestement on attend de lui qu'il ne fasse pas de la littérature où seule l'encre serait noire, mais de la littérature « Noire », et qu'elle réponde à l'idée que s'en font les éditeurs et les lecteurs. Qui sont dans le film uniquement des Blancs (du moins en ce qui concerne les premiers).
Bien que certains auteurs n'hésitent pas à épouser le filon, avec beaucoup de succès.
Comme Sintara Golden.
Bientôt, Monk, devant le refus obstiné des éditeurs va livrer une parodie (à ses yeux) du genre de littérature qu'on attend de lui. Publié sous un pseudonyme (Stagg R. Leight qui n'est pas sans rappeler la célèbre chanson Stagger Lee dont le personnage éponyme est un proxénète meurtrier), son livre va susciter chez un éditeurs un à-valoir astronomique, et une liberté qu'il n'a jamais connu sous son propre nom.
Ainsi décidera-t-il de changer le titre de son roman dans une séquence formidable de mauvaise foi.
Ce qui n'empêchera pas un producteur d'en faire un film, avec pour résultat un très bon moment d'ironie postmoderne dans ce qu'elle a de plus racoleur (à mes yeux).
« American Fiction » est une satire du monde de l'édition américaine, mais comme toute chose à son revers, même les meilleures, et le film de Cord Jefferson en fait indéniablement partie ; ce film donc fait essentiellement le procès symbolique de l'intelligentsia Blanche.
Outre une ou deux saillies racistes envers les Blancs, dont je me demande comment elles auraient été reçues si elles avaient été faites en inversant la race des uns et des autres (et qui à mon sens cette fois, joue le rôle du changement de titre cité supra, mais vis-à-vis des spectateurs Blancs) « American Fiction » ne montre pas, même brièvement de protagonistes Blancs qui endosseraient une attitude critique envers cette assignation identitaire.
Il n'y a d'ailleurs qu'un seul personnage Blanc positif (mais qui fait de la figuration).
Ce qui ne veut pas dire que les personnages Noirs le soient tous, loin de là.
Mise à part ces quelques griefs que j'ai pour « American Fiction », c'est l'un des tous meilleurs films que j'ai vus depuis longtemps.
Si Jeffrey Wright domine la distribution de tout son talent, tout le casting y est épatant.
Cord Jefferson de son côté a l'intelligence de mettre en scène de véritables individus qui ont, eux aussi, une histoire à raconter.
En effet « American Fiction » n'est pas seulement la satire d'une société qui sous couvert de progressisme instaure une ségrégation bienveillante, c'est aussi des instantanés de tranches de vie interprétées par des acteurs talentueux.
Il y a, dans ce film, beaucoup d'humour, dont une partie, à l'instar du racisme anti-Blanc, risque de ne pas faire rire tout le monde.
Mais c'est le propre du rire, du moins ça l'était.
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