« Un été avec Homère » de Sylvain Tesson est la transcription d’une série de 9 émissions, diffusée durant l’été 2017 sur l’antenne de France Inter™ ; un livre qui a occupé, paraît-il, la première place des ventes lors de sa commercialisation, et ce pendant plusieurs semaines. Mais Tesson, en bon connaisseur de son sujet, fait profil bas devant le succès afin de ne pas devenir victime de l’hubris qui guette tous les vantards. Dont acte !
Sans néanmoins vouloir tenter d’expliquer cette énorme réussite, il pense - en réponse à la journaliste qui l’interroge à ce sujet, que « dans le désarroi relatif de nos société, Homère est comme un phare ». Mais ne nous trompons pas, l’Iliade & l’Odyssée ne sont pas un genre de couteau suisse politique ou sociétal. Homère y brosse essentiellement les invariants de l’homme l’âme ; il nous donne des clés de conduite certes, mais de « notre patrie intérieure », i.e. de nos propres existences. Oui Tesson sait écrire !
Je crois aussi, pour revenir au succès du livre, que Tesson, aux antipodes des arguties universitaires, se coltine l’Iliade & l’Odyssée avec une simplicité qui ne peut que toucher ceux qui le liront (et j’imagine ceux qui l’ont écouté), et une érudition qui nous tire vers le haut.
En outre, celui qui a failli casser sa pipe en faisant une chute de dix mètres, paye de sa personne.
Ainsi, ces émissions ont-elles été écrites alors qu’il s’était isolé sur l’île de Tinos, dans les Cyclades, au mois de mars. Et si l’eau de la mer Égée était alors à 14°, et que les vents soufflaient à 80 km/h ; cette immersion était pour Sylvain Tesson, nécessaire, voire essentielle. Car, « l’icône réactionnaire » (selon la gauche bien-pensante) voit, dans les poèmes d’Homère, tous les ingrédients de la géographie de la Méditerranée réunis : la chaleur, le pétillement du soleil sur la mer, l’écume, etc. Autrement dit, ces deux poèmes sont des textes organiques qui nécessitent, si on veut en bien parler, de voir les paysages en question, et d’en éprouver la beauté des éléments. D’autant que « l’imagination de s’invente pas ». Dont acte ! (bis)
Ceci étant dit, cette épopée, composée en vers (15 000 vers pour l’Iliade, 12 000 pour l’Odyssée, quand même), qui à l’origine n’était pas écrite mais déclamée par des aèdes, est, dixit l’écrivain-voyageur, un « petit trésor poétique dans lequel il y a quelque chose de psychotropique » lorsqu’on les récite (justement) à haute voix.
Toutefois, pour se plonger dans ces poèmes fondateurs de la culture occidentale, nous devons, sigmundfreudise l’aventurier des Lettres françaises diplômé de l’institut français de géopolitique ; « tuer le petit collégien qui est en nous ». >sourire<
Lequel élève, a par ailleurs souvent subi Homère au collège, sous la férule de l’Éducation nationale. Pas sûr que le souvenir en soit heureux.
Il ne faut pas, en tout cas, se laisser impressionner par le caractère solennel des textes d’Homère. Car nous avons, dit in fine Tesson, des poètes contemporains, des hellénistes, qui ont donné des traductions magnifiques (Philippe Jaccottet pour l’Odyssée & Philippe Brunet pour l’Iliade par exemple), ce qui permet - pour palier notre timidité, de nous y frotter, de laisser la musicalité du texte nous emporter. Ce qui est littéralement d'autant plus facile, que les audio-livres connaissent une expansion qui ne semble pas vouloir s'arrêter.
On goûtera l'ingéniosité du poète antique avec son utilisation des épithètes (les forts justement nommées épithètes homériques), qui permettent de faire l’économie de longues et fastidieuses descriptions : « Athéna la déesse aux yeux de chouette », « Athéna la déesse excite-peuple », « Ulysse aux mille ruses », « Ulysse l’endurant », etc. Ce qui ne devait pas non plus déplaire aux autres aèdes, qui devaient bien évidemment mémoriser tous les vers de ces épopées.
Lire Homère c’est aussi se rendre compte que la vision antique du cosmos avec son panthéon de dieux et de déesses était très différente de celle qui viendra avec les religions monothéistes. En effet, les grands prophètes de ces religions révélées nous ont injecté l’idée, très tranchée, très duale, explique Tesson dans un entretien, qu’il y a une ligne de partage entre la Morale et les choses immorales, entre le Licite et l’Illicite, entre ce qui appartient au Bien et ce qui appartient au Mal, d’un côté la Lumière de l’autre l’Obscurité ; et que donc, cette ligne de fracture sépare le monde. Et qu’il faut bien évidemment choisir ce qui appartient à la Lumière, plutôt que ce qui relève de l’Obscurité.
Or, dans la pensée antique, et dans le poème homérique, chez Ulysse comme chez Achille et comme chez tous les héros par ailleurs, toutes ces chose coexistent. C’est-à-dire, que le monde leur est offert dans sa totalité. Les choses sont là : la violence et la paix, le soleil et la nuit, les bêtes et les hommes, etc. ; tout est là donc, et il faut tout prendre, tout accepter. Ainsi Tesson déclare-t-il pour illustrer son propos, que son vers préféré est celui où Priam déclame, sur les remparts de Troie : « Tout est beau dans ce qui se dévoile » (Iliade, XXII, 73).
Pas manichéen pour un sous, le fils de son père reconnait que c'est « la révélation chrétienne qui instaure la tendresse du créateur envers ses créatures » ; au contraire des dieux grecs qui ne sont pas bons pour les hommes, pis ! ils les méprisent. Tout en les poussant à la guerre, cette « subordination de l’âme humaine à la force », selon Simone Weil.
Car chez Homère l'homme n'a pas de libre-arbitre.
Aparté : J’avais d'ailleurs encore en tête toute cette partie lorsque je me suis lancé dans le dernier roman de Romain Lucazeau, Vallée du carnage, une uchronie où, justement, le point Renouvier® a à voir avec ce moment de bascule, bien qu'il ne soit pas explicite (mais j’y reviendrai certainement). Fin de l'aparté.
L’ex-grimpeur des tours de Notre-Dame se sigmunfreudise (encore), révélant au passage de quoi son caractère est fait, en proposant qu’on oppose à l’Œdipe de Freud le Télémaque d’Homère, et d’inventer « un nouveau syndrome appuyé sur les retrouvailles au lieu de la rupture. Télémaque ne veut pas tuer le père, ni convoiter la mère. Il lutte pour retrouver son géniteur, le réinstaller sur le trône, réunir ses parents », là où l’Œdipe freudien, lui, doit profaner ses origines pour affirmer son individualité.
Il avoue, mais qui en aurait douté, qu’il trouve plus princière la figure « télémaquienne » ! ? Avouez que la psychanalyse, c'est-à-dire selon Henry Miller : « l'application des mythes grecs sur les parties génitales » aurait une autre gueule avec de tels concepts, non ?!
Sylvain Tesson épingle au passage les experts, « ces techniciens de l’incompréhensible qui masquent leur ignorance dans le brouillard de la complexité » avec une élégance et un sens de la formule que l’on a plaisir à lire (ce plaisir est d’ailleurs constant tout au long des presque 250 pages du livre).
Sous emprise « psychotropique » probablement, Tesson anticipe de plusieurs années le projet de Christopher Nolan d’adapter, pour le grand écran, l’Odyssée.
Celui, dont certains fâcheux reprochent à ses livres de véhiculer une idée néocolonialiste, pointe que lire Homère, c’est quasiment lire un de nos contemporains (j’ai quand même un doute vu la piètre qualité desdits contemporains).
Pour aller dans son sens cela dit, il y a un très beau moment chez Homère où Ulysse, lors d’un banquet, entend, racontée par la voix d’un aède, une partie de sa propre aventure. Je n'ose pas parler de modernité, mais vous serez d'accord avec moi pour constater qu'en littérature, comme l’a souligné Jean de La Bruyère en son temps, déjà : « Tout est dit, et l'on vient trop tard …» s'agissant de l’aveugle le plus célèbre de la littérature occidentale.
Alors vous l’avez déjà compris « Un été avec Homère » m’a complétement captivé. En plus d’être particulièrement intéressant en tant que tel, ce livre donne envie de se plonger dans son sujet. Voire comme je le disais écouter la traduction de l’Iliade & de l’Odyssée, comme au temps des aèdes.
Mission accomplie !
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