À vrai dire c'est le savoir-faire de Daniel Acuña qui m'a fait acheter ce recueil (6 numéros parus le premier semestre 2024 aux U.S.A.), commercialisé en France par Panini™ (traduction Mathieu Auverdin)
Je n'avais jusqu'alors pas de penchant particulier pour le scénariste Chip Zdarsky, dont le peu que j'en savais (quelques Howard le Canard lus sans enthousiasme, et encore moins de Daredevil, rapidement oubliés, ou l'inverse) ne m'avait pas convaincu d’entamer une relation commerciale suivie avec son travail. Et ce que j'en ai appris depuis m'aurait sûrement laissé perplexe au moment de lâcher 22 € pour lire cette aventure des Avengers.
En effet, après avoir lu « Le Crépuscule des héros », et surtout retrouvé un peu de mon enthousiasme juvénile pour un produit estampillé Marvel™, j'ai moi aussi cru aux lendemains qui chantent ; et je me suis naturellement penché sur Spider-Man l'histoire d'une vie. Une mini-série (encore) dont on dit beaucoup de bien.
L'idée en est audacieuse : résumer la vie d'un personnage créé à l'aube des sixties en moins de 200 pages
Et ça part plutôt pas mal.
Zdarsky introduit un chouette dilemme dès le premier épisode, au moment d'une fête en l'honneur de Flash Thompson, lequel s'est engagé dans l'armée pour se battre au Vietnam. Même si mêler super-héros et conflits réels, demande du doigté et surtout des connaissances toutes aussi réelles sur les conflits en question. Pour un résultat qui n'est pas souvent concluant.
Arrive donc le moment où Spidey demande à Captain America ce qu'il doit faire : s'engager ? comme Flash Thompson l'a dit à Peter Parker que Spider-Man le ferait, tôt ou tard.
Ou non ?!
Comme le lui déclare fort justement Captain America, il a passé 20 ans en hibernation, et en 1966, au moment où se passe les événement relatés dans ce premier numéro, ça fait seulement deux ans qu'il en est sorti (ça c'est moi qui le précise).
Il faut donc s'imaginer un homme, né au début des années 1920, qui risque alors sa vie - à l'âge de 20 ans - dans une expérience qui lui permettra d'aller la risquer au combat, en Europe. Une telle abnégation de sa propre existence, un tel dévouement à l'idée de liberté, ce n'est pas rien. C'est héroïque ! (bien évidemment)
Quelqu'un qui, de surcroît, n'a pas été influencé quotidiennement, pendant ces 20 années d'absence par le monde alentours. Autrement dit un individu avec la mentalité des années 1940, et qui a donc finalement participé à la Seconde Guerre mondiale.
Et lorsqu'on entend Captain America préciser, dans la case suivante : que la guerre « elle fait des morts », on se rend compte que c'est bien le scénariste qui parle à la place de son personnage.
Captain America Obvious enchaîne immédiatement en précisant qu'il va lui-même se rendre au Vietnam pour, je vous le donne Émile : juger, « loin des points-presse biaisés du gouvernement » ce qui s'y passe !??
Il est clair que Captain America part avec un a priori déjà négatif sur le gouvernement, que j'ai peine à imaginer dans la tête d'un homme du début des années 1940 (et qui a accepté, les yeux fermés d'être le cobaye du gouvernement, il y a très peu de temps pour lui).
Voire tout simplement de la part d'un type censé se faire une idée objective d'une situation
Clairement c'est Zdarsky qui parle, encore. Et ça sonne faux.
De plus, je doute également que le fruit d'une expérience gouvernementale américaine, qui plus est militaire au moment de sa disparition, n'ait pas des tracas juridiques à résoudre avant d'enfiler sa tenue de super-héros.
Et cette question de la mentalité, et de sa position vis-à-vis de l'administration américaine n'est pas propre à cette série.
Si pour des raisons de rythme, et de nature, il est évident que tous les à-côtés juridiques d'un projet gouvernemental peuvent être laissés en plan. Il devrait être tout aussi évident que de vouloir traiter de l'engagement des U.S.A. dans une guerre est voué a être caricatural.
Mais tout ça ce n'est rien en regard de ce qui nous attend ensuite.
Eh oui, Captain America, qui doit pourtant bien avoir en tête le pacte germano-soviétique (pour lui, c'est quasiment hier), et qui peut certainement accéder directement à William Westmoreland, commandant des forces américaines (1964-1968), lui-même ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale, décide, en 1967, de prendre le parti contre les soldats américains.
Autrement pour les communistes du Nord-Viêtnam, et du Front national pour la libération du Viêtnam (FLN), i.e. les « Viêt-công ».
Pour ceux qui n'auraient pas lu Spider-Man l'histoire d'une vie, cette page (supra) est celle qui clôt le premier numéro, et la décennie des années 60.
Chip Zdarsky passe ensuite aux années 1970, visiblement sans état d’âme, et en tout cas sans explications sur la volte-face du super-soldat.
Tout ça pour dire que si j'avais lu cet épisode avant de lire « Le Crépuscule des héros », j'aurais eu plus que des réticences sur les capacités du Canadien a écrire de bonnes histoires en respectant les personnages (et pour le coup, le contexte).
« Tu peux vraiment foutre en l'air ces personnages »
aurait dit Tom Breevort à Chip Zdarsky, au sujet de sa liberté d'action sur cette histoire de futur alternatif & dystopique.
Brevoort est, je le rappelle, l'un des big boss de Marvel™, et il était alors l'editor de cette mini-série. C'est-à-dire qu'il y faisait littéralement la pluie et le beau temps.
On appréciera donc le respect qu'accordent les têtes pensantes de la Maison-des-Idées®, aux personnages qu'ils n'ont pas eux-même créés.
Heureusement, et de manière inattendue Chip Zdarsky va prendre l'exacte contrepied de la recommandation de Brevoort et livrer une histoire quasi ....... réactionnaire. Horresco referens !
Je pense que la réussite, à mes yeux du moins, tient à ce que Chip Zdarsky reprend un schéma qui a fait ses preuves : le voyage du héros.
Et le héros en question n'est autre que Captain America lui-même !
Un paradoxe pour un homme de sa trempe et de son expérience !
En l’occurrence, et de manière contre-intuitive, puisque Captain America est quasiment le plus vieux personnage en exercice dans cette histoire, Steve Rogers va affronter toutes les étapes dudit « voyage » : l'appel de l'aventure, le refus, le mentor, etc..
D'ailleurs la quatrième de couverture de l'édition française l'indique en toutes lettres : « sans héros .. plus d'espoir ? ».
Et en effet, il n'y a, à proprement parler, plus de héros dans ce futur dystopique ; et Steve Rogers va en (re-) devenir un.
Et par-là même fédérer autour de lui ceux qui n'attendaient qu'un « homme providentiel » pour passer à l'action. On a connu plus progressiste comme idée. <sourire>
Et dans l'ensemble, en plus d'avoir un artiste dont le travail de la couleur est magnifique ; et son storytelling à la fois limpide et qui sait rythmer l'histoire de façon opportune, Chip Zdarsky a imaginé un avenir à la fois convenu - à l'impossible nul n'est tenu ; mais aussi plein de petites idées qui au final composent un dépaysement honnête, et un divertissement généreux.
Et dans l'ensemble, en plus d'avoir un artiste dont le travail de la couleur est magnifique ; et son storytelling à la fois limpide et qui sait rythmer l'histoire de façon opportune, Chip Zdarsky a imaginé un avenir à la fois convenu - à l'impossible nul n'est tenu ; mais aussi plein de petites idées qui au final composent un dépaysement honnête, et un divertissement généreux.
Pêle-mêle je pense à la nouvelle version des Thunderbolt, à Bullseye en particulier, au nouveaux Avengers (l'une des meilleures idées de Zdarsky). Ainsi qu'à la famille Stark.
La vieillesse est aussi, plutôt bien traitée,ainsi que la transmission, le leg des aînés, l'éducation, le respect du passé, etc.
Même les forces de l'ordre (ci-dessous, en arrière-plan) bénéficient d'une traitement approprié, comme on dit dans le novlangue progressiste.
Bref, en filigrane d'une aventure qui ne ménage pas ses effets pyrotechniques et ses coups de théâtre ; Chip Zdarsky - au lieu « de foutre en l'air ces personnages » leur témoigne beaucoup de respect, et réhabilite un sense of wonder dont je croyais qu'il avait définitivement déserté les pages des comics Marvel™ (et l'imaginaire occidental <rire>).
Et tout cela avec un beau vernis old school, dont je ne le croyais pas capable.
Bravo Chip !
Or donc, plutôt que d'un crépuscule, cette mini-série tient au contraire d'une nouvelle aube.
Or donc, plutôt que d'un crépuscule, cette mini-série tient au contraire d'une nouvelle aube.
Verdict : Inattendu ! Et apprécié.
Après des décennies de "déconstruction", ça fait du bien de découvrir que certains se mettent à construire; un "constructeur" médiocre aura toujours plus de mérite à mon sens qu'un "dé(con)structeur" de génie... Merci pour cette chronique Artelus, je ne comptais pas le faire mais je vais finalement donner sa chance à cette histoire.
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