Batman n° 679 |
.. Dans le billet précédent je proposais que le cerveau humain ne soit pas plus envisagé comme un simple ordinateur, en utilisant l'exemple de la "chambre chinoise" de John Searle. Ce faisant je proposais que la charge de symboles présente dans les récits de Grant Morrison n'était pas fortuite, bien au contraire, qu'elle s'adressait aux lecteurs.
Toutefois il est bien évident que cela s'applique également aux personnages, et à fortiori à Bruce Wayne/Batman :
Batman n° 656 |
On remarquera que la première vignette de ce billet met en scène le Batman de Zur-en-arhh dialoguant avec deux gargouilles (et Bat-Mite), celles-ci avancent que "les gens font la ville et la ville fait les gens" et Batman renchérit : "Bien sûr [..] Un échiquier conçue pour fabriquer Batman".
Nous sommes là, me semble-t-il face à plusieurs champs d'investigations possibles, d'une part la psychogéographie et la bicaméralité, dont je parlerai ultérieurement et ce qui nous intéresse aujourd'hui, l'énaction.
Illustration de Louisv |
.. Contrairement à la conception qui veut que l'homme se représente le monde pour agir, l'énaction avance que nous découvrons le monde aux travers nos interactions avec lui. L'expérience vécue est le lieu d'émergence de l'être ( Énacter vient de l'anglais to enact : susciter, faire émerger, faire advenir) : "les gens font la ville et la ville fait les gens".
Que ce soit au travers de l'expérience d'isolation spatiale ou du thögal (deux pierres angulaires du récit de Morrison), Batman/Bruce Wayne ne fait pas qu'extrapoler, il vit littéralement, intensément et surtout physiquement ces expériences.
Il est dés lors indéniable et indubitable que ces expériences façonnent Bruce Wayne et son alter ego ; et le monde dans lequel il vit : s'il n'y avait pas eu l'expérience d'isolation spatiale par exemple, Batman n'aurait pas rencontré le Gant Noir.
L'énaction est une interaction circulaire.
L'énaction est une interaction circulaire.
Imaginer, c'est hausser le réel d'un ton.
Gaston Bachelard
..C'est à Francisco Varela que l'on doit le concept d'énaction
"Nous proposons le terme d'énaction [..] dans le but de souligner la conviction croissante selon laquelle la cognition, loin d'être la représentation d'un monde prédonné, est l'avènement conjoint d'un monde et d'un esprit à partir de l'histoire des divers actions qu'accomplit un être dans le monde".
SUPERMAN BATMAN #10 |
Pendant des années Francisco Varela a étudié les cafards, et plus précisément les deux mille cinquante-trois senseurs de la deuxième patte du milieu. "Observez un cafard, il court sur le sol, puis, sans transition, monte un mur et se retrouve au plafond. Les notions d'horizontal, de vertical, d'envers , n'ont absolument pas le même sens pour lui que pour nous. [..] Cette différence ne vient pas de son minuscule cerveau. Pour le comprendre il vaut mieux regarder ses pattes.[..] Aujourd'hui [..] on construit des robots sur le modèle de l'insecte, sans cerveau central mais avec des senseurs. Ils se débrouillent bien mieux dans des environnement imprévisibles [..]".
En fonction de nos besoins d'action, nous énactons le monde, nous l'organisons à notre image. Nous modifions sans cesse des projections de nous même et nous les modifions selon nos expériences. Au même titre par ailleurs que nous structurons nos expériences passées en vue d'orienter nos actions futures.
En fonction de nos besoins d'action, nous énactons le monde, nous l'organisons à notre image. Nous modifions sans cesse des projections de nous même et nous les modifions selon nos expériences. Au même titre par ailleurs que nous structurons nos expériences passées en vue d'orienter nos actions futures.
L'organisme donne forme à son environnement
en même temps qu'il est façonné par lui.
Maurice Merleau-Ponty
Un organisme vivant autonome construit le monde qui l'entoure, monde qui à son tour révèle les capacités de construction et d'adaptation de cet organisme.
C'est toute l'histoire de Batman.
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