"La scène a l'étrangeté d'un cauchemar. Filmée par la télévision roumaine, elle a été diffusée sur les chaînes françaises le soir du 26 décembre 1989. Je l'ai vue, médusé, avant de partir réveillonner à Prague [..]. Dans les mois qui ont suivi, d'autres signaux bizarres sont venus de Roumanie. [..] À l'heure de la dinde et du foie gras, les journaux télévisés montraient, sortis de fosses hâtivement creusées, des cadavres squelettiques, terreux, en pyjamas rayés [..]. Or il s'est révélé, premièrement que les cadavres, quelques dizaines au plus, avaient été déterrés pour les caméras au cimetière de Timisoara où ils reposaient après être morts de leur belle mort, deuxièmement que les tueurs de la Securitate, loin de procéder à une génocide suicidaire, s'étaient beaucoup plus sagement reconvertis comme cadre du Front de salut national, le parti du nouveau président Ion Iliescu [...], les élections du mois de mars 1990, qui lui ont donné une large majorité ont justifié le mot cruel décrivant les Roumains comme le seul peuple dans l'histoire à avoir librement élu des communistes. Tout cela m'intriguait tant que je suis allé, ce printemps-là, faire un reportage en Roumanie [..].
La Roumanie postrévolutionnaire m'a fait l'effet d'un Disneyland de l'Unheimliche (de l’inquiétante étrangeté ndr). [..] Après deux semaines passées à perdre pied dans cette fondrière de mensonges et de calomnies, j'étais mûr pour entendre les impressions d'un vieux Roumain exilé depuis trente ans en France [..]. Mon peuple n'était pas comme ça, je vous assure. Ce n'est pas mon peuple. Je ne comprend pas. Qui sont ces gens ? Et ce qui tremblait dans sa vois, c'était exactement l'horreur du héros dans L'Invasion des profanateurs de sépultures, le vieux film de science-fiction des années cinquante [..].
(J') ai beaucoup parlé avec un journaliste américain qui s'était fait assez sérieusement démonter la gueule et, par ailleurs partageait ma passion pour les histoires de science-fiction paranoïaques dont L'Invasion des profanateurs de sépulture est le paradigme. Nous faisions assaut de titres de nouvelles et de films, de noms d'auteurs, et, arrivés à Philip K. Dick, nous sommes tombés d'accord : ses romans, qui peignent avec une terrifiante acuité la désagrégation de la réalité et des consciences qui la perçoivent, étaient les seuls guides fiables pour un voyage dans la twilight zone roumaine. [....]
... Je suis rentré de Roumanie troublé, et persuadé que la meilleure façon de rendre compte de ce trouble était d'écrire la vie de Philip K. Dick."
Ça ne fait rien je repasserai jeudi.
S'inspirant de la biographie que Lawrence Sutin a consacrée à Dick, Carrère a aussi eu accès à celle inédite qu'a écrite Anne R. Dick sur son ex-mari.
Du reste, et quoi qu'il ait pu en penser lui-même, la vie de Philip K. Dick n'a pas fait l'objet d'une surveillance orwellienne et Emmanuel Carrère n'a pas hésité à extraire de l'oeuvre littéraire les blancs de sa vie.
Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, l'écrivain français a également rencontré des proches de l'auteur, ainsi que ses traducteurs français qui lui ont ouverts leurs archives.
... Je suis vivant et vous êtes morts donne l'image d'un homme aussi étonnant (et terrifiant par moment) que son propre univers romanesque.
L'attrait qu'exerçait le Yi-King sur Dick me laisse penser (sentiment renforcé par la biographie que je viens de lire) que son 4ième mur devait plus à l'art du shoji (mur constitué d'un quadrillage de bois et recouvert de papier de riz) qu'aux fortifications de Vauban.
En outre, et par-delà la biographie - c'est-à-dire l'observation au microscope de l'Histoire - Emmanuel Carrère propose, avec beaucoup de talent, un panorama macroscopique du XXième siècle étasunien ; et par extension d'une bonne partie du monde occidental, toutes choses égales par ailleurs, compte tenu de la domination culturelle des U.S.A.
Cette cartographie subjective de l'Histoire est d'ailleurs magistralement complétée par son récent récit sur Edouard Limonov, deux récits qui échancrent le rideau de fer de nos certitudes.
... Or donc, Je suis vivants et vous êtes morts mérite amplement notre attention ... si vous voulez mon avis.
Pour terminer je vous propose l'émission Une vie, une oeuvre consacrée à Philip K. Dick dans un format MP3.
Deux agents du FBI interrogent le voisin d'un individu suspect ; le voisin signale que le type écoute souvent des symphonies."Des symphonies, tiens donc, disent les agents du FBI, et en quelle langue ?... Voilà ce qu'écrit en 2011 Emmanuel Carrère dans son livre sur Limonov ; ainsi Je suis vivant et vous êtes morts, la biographie qu'il a consacrée à Philip Kindred Dick est, disons une catharsis aux effets qu'ont provoqué sur lui les évènements qui ont secoué la Roumanie à la fin des années 80.
Ça ne fait rien je repasserai jeudi.
S'inspirant de la biographie que Lawrence Sutin a consacrée à Dick, Carrère a aussi eu accès à celle inédite qu'a écrite Anne R. Dick sur son ex-mari.
Du reste, et quoi qu'il ait pu en penser lui-même, la vie de Philip K. Dick n'a pas fait l'objet d'une surveillance orwellienne et Emmanuel Carrère n'a pas hésité à extraire de l'oeuvre littéraire les blancs de sa vie.
Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, l'écrivain français a également rencontré des proches de l'auteur, ainsi que ses traducteurs français qui lui ont ouverts leurs archives.
... Je suis vivant et vous êtes morts donne l'image d'un homme aussi étonnant (et terrifiant par moment) que son propre univers romanesque.
L'attrait qu'exerçait le Yi-King sur Dick me laisse penser (sentiment renforcé par la biographie que je viens de lire) que son 4ième mur devait plus à l'art du shoji (mur constitué d'un quadrillage de bois et recouvert de papier de riz) qu'aux fortifications de Vauban.
En outre, et par-delà la biographie - c'est-à-dire l'observation au microscope de l'Histoire - Emmanuel Carrère propose, avec beaucoup de talent, un panorama macroscopique du XXième siècle étasunien ; et par extension d'une bonne partie du monde occidental, toutes choses égales par ailleurs, compte tenu de la domination culturelle des U.S.A.
Cette cartographie subjective de l'Histoire est d'ailleurs magistralement complétée par son récent récit sur Edouard Limonov, deux récits qui échancrent le rideau de fer de nos certitudes.
... Or donc, Je suis vivants et vous êtes morts mérite amplement notre attention ... si vous voulez mon avis.
Pour terminer je vous propose l'émission Une vie, une oeuvre consacrée à Philip K. Dick dans un format MP3.
et moi qui me demandait pourquoi j' aimais emmanuel carrère, comme quoi ya jamais de hasard ........... j' avais oublié cette bio de k dick
RépondreSupprimerLa biographie est quand même plus que romancée. ;-)
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