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1984 : le film (Orwell/Radford)

1984 (ou The Last Man in Europe

…. Précipité de ses années d’écolier à St Cyprian et de l’expérience qu’il acquière lors de la Guerre d’Espagne, notamment et surtout, la guerre civile idéologique entre les militants du POUM (avec qui il combattait) et les stalinistes du Parti communiste, 1984 est le roman de science-fiction préféré de ceux qui n’aiment pas la SF. 

Écrit dans une ferme de l’île écossaise de Jura, alors que son appartement londonien du 27b Canonbury Square est sous-loué aux grands-parents* de l’écrivain Kim Newman (la tétralogie Anno Dracula, Hollywood Blues, etc.) ; The Last Man in Europe qui sera intitulé 1984 par l’éditeur, décrit un avenir (pour l’époque) dystopique très largement inspiré par la prepatory school de St Cyprian
- Le « Headmaster », directeur en bon français
- Les dénonciations : Eric Arthur Blair (alias George Orwell) dénoncera lui-même des garçons pour actes homosexuels dans « un contexte où il était justifié de cafarder »**- Le village de Crossgates où vivent des gens en dehors de l’univers carcéral de l’école préparatoire, qui lui inspireront peut-être les « prolétaires » de 1984
Tout comme l’épisode du chocolat qu’Orwell relate dans Such, such were the joys (in Tels, tels étaient nos plaisirs et autres essais) et que l'on retrouve peu ou prou dans 1984

Or donc, le roman paraît en 1949 (peu de temps avant la mort de son auteur), et dès 1950 chez Gallimard dans une excellente traduction d’Amélie Auberti, qui aura entre autres bonnes idées de « masculiniser » le novlangue (newspeak), une belle idée qu'on oublie trop souvent de nos jours.
1984 : Le film

…. Tourné à Londres d’avril à juin 1984 sur (et dans) les lieux et aux dates imaginés par Orwell lui-même, par Michael Radford ; qui filme l’effroyable banalité de l’horreur totalitaire avec une économie de moyens et d’effets qui ont certainement fait plaisir à Big Brother lui-même. 
Et par la même occasion rend son long-métrage intempestif (dans le sens nietzschéen du terme).

Histoire d’amour illégale dans un monde qui ne tolère pas le désir (au point de vouloir supprimer l'orgasme), 1984 s’éloigne de son précurseur cinématographique de 1955, qui avait déclenché l'ire de la veuve de l'auteur - Sonia Orwell - pour un happy end hollywoodien hors de propos, et tente vaille que vaille de retranscrire le roman. Au mot près. 

Ecrit en 3 semaines par Radford, le scénario de 120 pages sera tourné pour un budget de 6 millions de livres sterling (qui est alors un gros budget en G-B). 
Financé par Richard Branson (connu pour avoir notamment créé la multinationale Virgin), le tournage de 1984 commencera en mars pour sortir en septembre 1984. 
Après 6 semaines de montage rien que pour la bande-son, et 6 semaines pour le film lui-même qui faisait alors 3 heures (contre 1 heure 45 pour la version que j’ai vue).

« La science-fiction est un art visionnaire 
plutôt que prédictif » 

Contre toute attente personne n’avait eu l’idée de tourner une adaptation d'un des plus célèbres romans d’anticipation du 19ème siècle, l’année-même où il était censé se dérouler s’étonnera Michael Radford. 

Ce qui n’est pas tout à fait vrai. 

Le jour du Super Bowl le « championnat du monde de football américain », le 22 janvier 1984***, est diffusé un spot de publicité pour le premier ordinateur Macintosh d’Apple
Avec dans le rôle subliminal de Big Brother : IBM & Microsoft & réalisé par Ridley Scott (Alien, Blade Runner, etc.).
D’autre part, Francis Ford Coppola était sur les rangs mais pour en faire un film de science-fiction à gros budget. Ce que ne voulait pas le détenteur des droits du roman, en vertu de sa parole, qu’il avait donnée à Sonia Orwell, lui promettant que s’il devait y avoir une adaptation, elle serait la plus fidèle possible. 
Le contrat de Michael Radford stipulait d’ailleurs qu’il n’avait pas le droit de faire un film « comme Star Wars ou 2001 qui utilise les effets spéciaux au détriment de l’intrigue ».
Un temps envisagée, Jamie Lee Curtis sera "retoquée" à cause de sa poitrine
Cela dit, 1984 ne tournera pas complètement le dos aux effets spéciaux puisque sa pellicule subira un traitement au développement qui éliminera 50% de la couleur, une sorte de « film en noir et blanc mais en couleur », dixit M. Radforf himself.

.... Si 1984, le roman de George Orwell est un classique de la littérature occidentale, le film de Michael Radford n'a pas à rougir de l'ombre que pourrait lui faire son aîné.

Malgré certains aspects du roman moins flagrants, plus sous-entendus (le concept de la doublepensée par exemple), que ce qu'avait fait Orwell ; l'ambiance oppressante, glauque parfois, le dénuement extrêmement agressif  de cette société, sont encore aujourd'hui d'une efficacité redoutable.
Et là où Orwell devait décrire et appuyer son propos par des descriptions au détriment de la narration et du romanesque ; la réalisation de Radford et de Roger Deakins (à la photographie), ainsi que les décors (d'Allan Cameron) jouent le rôle didactique de la prose orwellienne avec une efficacité confondante.

Quand bien même connait-on le roman, que le film de Radford captive encore et garde toute sa force.

Avis du jury à l'unanimité :




Une petite anecdote en passant.

.... Au début du film, Winston Smith le « héros », se rend dans la zone où vivent les prolétaires et raconte en voix off sa rencontre avec une prostituée. 
La description qu'il donne de son visage, correspond presque trait pour trait, au masque qu’inventera quelques années plus tard David Lloyd pour V for Vendetta
V for vendetta est une BD qu’il a dessinée pour Alan Moore dans les pages de l'hebdomadaire anglais Warrior (1982-1985), un « V » qu’on retrouve aussi dans 1984. 

Si Moore a probablement dû relire le roman d'Orwell pour se mettre en condition, puisque le film n'était pas encore sorti, la description dans le roman est toutefois nettement moins évocatrice que celle du film. En outre le masque est un apport du dessinateur, qui à ma connaissance n'a jamais évoqué cette source d'inspiration.
__________________

* Le manuscrit sera d’ailleurs tapé par la grand-mère de Newman.
** Selon Julian Barnes, Orwell dénoncera plus tard au Foreign Office, des gens politiquement douteux (Par la fenêtre/2015).
*** Le spot a en fait été diffusé en catimini le 31 décembre 1983, quelques minutes avant minuit, sur KMVT-TV.

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