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Reckless [Brubaker / Phillips / Nikolavitch]

« Reckless » est en quelque sorte le couronnement d’un héritage familial & culturel. 
            Comme son scénariste, Ethan Reckless est le fils d’un officier du renseignement de la Marine étasunienne. Un personnage qui lui a été inspiré – en partie – par la propre bibliothèque de son père, composée notamment, dira Ed Brubaker, de pulp magazines
Mais à mon avis, vu la date de naissance de l'auteur, une bonne dizaine d’années après celle de son personnage, il s’agit plus sûrement de paperbacks ; autrement dit de livres de poche. 
            Mais « pulp » est devenu - grâce à Quentin Tarantino - un terme tellement glamour, un mot qui désormais « pense à notre place » ; à tel point qu’il est plus souvent employé pour la séduction qu’il exerce que pour rendre compte de ce qu’étaient réellement les pulp magazines. Certains croient d’ailleurs que « pulp » est un (mauvais) genre parmi d’autres, ce que tend par ailleurs à laisser croire Ed Brubaker lui-même, en parlant dans plusieurs de ses interviews, de 
« paperback pulp hero ». Comprenne qui pourra ?! 
            Ceci étant dit, Brubaker cite quelques-uns des modèles d’Ethan Reckless, comme pour confirmer mon intuition. Il s’agit essentiellement de détectives de papier célèbres, dont la carrière s’est entièrement et uniquement déroulée dans les parperback : Lew Archer, Travis McGee ; ou encore Parker, créé par Donald E. Westlake (sous l'un de ses nombreux pseudonymes), dont Darwyn Cooke a adapté les aventures sous la forme de beaux albums de bande dessinée. 
Un format vers lequel voulait justement se tourner Brubaker. Et qu’il a d’ailleurs tenté à l’occasion (Mes héros ont toujours été des junkies, ou encore Pulp). 
            Pour ceux qui ne le savent pas le format hégémonique de la BD américaine est encore le fascicule, souvent mensuel, et presque systématiquement relié en recueil plus tard. Ed Brubaker voulait donc, pour ce projet, qu’il soit uniquement commercialisé sous la forme de ce que les américains appellent donc un « graphic novel », c’est-à-dire ce qu’on nomme de notre côté de l’Atlantique un album. Du moins pour ceux qui lisent de la BD. Pour les autres il s’agit (d’un autre mot qui pense pour nous) : le « roman graphique ». 
            En France cette différence de format est quasi invisible puisque les maisons d’éditions hexagonales publient majoritairement les comics américains sous la forme de recueil (appelé généralement album). Autrement dit l’équivalent américain des trade paperbacks, qui sont donc des recueils de séries (ou le plus souvent de cycles) vendus aux U.S.A. de manière mensuelle, en tout cas périodique. 
            Bref, l’idée générale de Brubaker était donc de créer un protagoniste à l’image des détectives déjà cités ; personnages récurrents qui vivent des aventures auto-contenues dans leurs romans, lesquels s’enchaînent à un rythme assez soutenu, et qui ont fait, et font encore le bonheur du lecteur qu’est resté le scénariste de 
« Reckless ». 
Si Ethan Reckless apparaît comme le stéréotype du dur-à-cuire dont le travail est à la confluence de celui de détective privé, d’agent de recouvrement et de 
« boulet de démolition », il ne se contente pas de copier ses prestigieux aînés.
Ed Brubaker, qui n’est pas un perdreau littéraire de l’année donne de sérieux gages d’astuce en travaillant certains stéréotypes. Ainsi les troubles du stress post-traumatique qui perturbent notre héros. D’abord en lui donnant une provenance originale, ensuite en en faisant un atout. 
            Ce premier tome (sur les cinq prévus) s’intéresse en sus à la biographie Ethan Reckless au gré de péripéties captivantes en prise avec l’époque à laquelle elles se déroulent. Quiconque s’intéresse, ou a vécu le début des années 1980, devrait se retrouver en terrain certes connu, mais pas moins inquiétant pour autant. 
            Brubaker soigne autant la forme que le fond. 
Bien aidé en cela par Sean Phillips, son partenaire à la planche à dessins depuis déjà 20 ans, dont l’art de la narration visuelle n’a plus vraiment à faire ses preuves. Il amène une nouvelle fois son fils Jacob au poste de coloriste. Le trio, qui avait déjà fait des étincelles sur l’album (bien nommé) Pulp, indéniablement l’une de mes BD favorites de tous les temps, récidive avec « Reckless ». 
            Au moment où je termine cette recension, le deuxième tome est déjà paru chez Delcourt™, et le troisième chez Image™ aux U.S.A. 
Un rythme soutenu avait prévenu Brubaker !

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