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Le grand détournement

« Tout est politique disait-on en 1968 », c’est ainsi que se termine l’article intitulé : « Pour qui votent les super-héros ? » que l’hebdomadaire Marianne a consacré au (mauvais) genre dans son 1303ème numéro. Et plus précisément à deux d’entre eux, Superman & Batman, créés à la fin des années 1930. 
« La quantité d'énergie nécessaire pour réfuter des idioties est supérieure d'un ordre de grandeur à celle nécessaire pour les produire » 
(Alberto Brandolini.) 
            C’est sous le contrôle de trois universitaires, excusez du peu, que Jean-Loup Adénor le rédige. Et ça commence plutôt mal. 
« Superman, Batman... - ont été créés par des immigrés juifs. », nous apprend Camille Baurin, auteur d’une thèse sur le « Métacomic » ; mais qui visiblement ne connait pas ses classiques. 
En effet, mise à part Joe Shuster né à Toronto au Canada, Jerry Siegel, Bob Kane et Bill Finger sont nés aux U.S.A.
La suite des propos de Camille Baurin nous affranchit sur le type d’immigration qu’il avait en tête, car dit-il, ces auteurs « portent donc dans leur histoire toute une réflexion sur l’intégration à une société dont on ne fait pas partie ». 
J’imagine la surprise de Jerry Siegel, très impliqué dans le fandom de la science-fiction américaine apparue une douzaine d’années plus tôt, très proche d’Edmond Hamilton par exemple ; ou encore Joe Shuster dont la passion pour le culturiste Charles Atlas a contribué à faire de Superman ce qu’il était alors. Et que dire de Bill Finger qui s’inspire des pulp magazines du Shadow (un artefact tout ce qu’il y de plus américain) pour écrire la première aventure de Batman. Ou celle de Bob Kane qui dès 1934 rejoignait les studios Max Fleisher™ (qui en 1941 produiront un série de 17 court-métrages en dessins animés de Superman, devenu depuis des classiques). 
Bref, question « intégration » les quatre jeunes hommes dans le vent de leur époque n’avaient manifestement pas beaucoup de chose à apprendre. 
Un peu avant ce déballage d’approximations, Camille Baurin toujours, faisait de Superman « une quasi icône socialiste ». Certes ! 
            Mais peut-être faut-il rappeler que les États-Unis d’Amérique du Nord d’alors traversent ce qu’il est convenu d’appeler la « Grande Dépression », et que l’heure est alors au New Deal. Que Superman, mélange de détective hard-boiled et d’influences Burroughsiennes, se range du côté des laissés-pour-compte n’a rien de très original pour un justicier. Captain Marvel, créé deux ans plus tard pour l’éditeur Fawcett™, et qui deviendra le concurrent le plus sérieux du Kryptonien, est lui aussi le fruit de son époque, et tout aussi « socialiste » que peut l’être Superman pour un pirate de l’air du temps qui voit les super-héros d’antan avec les lunettes déformantes du militantisme d'aujourd'hui. 
Et si Batman est a contrario un homme riche, c’est surtout parce que ce personnage est une commande de Vin Sullivan, alors editor (un poste qui cumule les prérogatives de rédacteur en chef et directeur de collection) de la maison d’édition National Allied Publications™. Lequel voulait capitaliser sur l'engouement suscité par Superman, justement.
Et que Kane, bien aidé par Finger, a copié en miroir quasi inverse ce modèle si populaire.
            Idéologiquement influencé par son parti pris, Camille Baurin encore, n’hésite pas à faire de la voiture que soulève Superman - sur la couverture du premier numéro d’Action Comics - un « symbole de l’industrie et du capitalisme américain » qui « incarne d’une certaine façon les conditions de travail difficiles des ouvriers ». 
Avancer ce type d’argument, c’est avouer – justement - ne pas être au courant des conditions de travail des auteurs de Bd de l’époque, qui avaient d'autres préoccupations que d'écrire des histoires « bien-pensantes ». 
Il ne vient pas non plus à l’idée de notre universitaire que la couverture d’une bande dessinée, qui présente pour la première fois un personnage aussi incroyable (pour l’époque) que Superman doit l’être tout autant que lui, avant d’être militante, …… si toutefois elle l’a jamais été. 
D’ailleurs la question qui a surtout agité la rédaction de National Allied Publications™, et qui nous est parvenue, tient à la couleur dudit véhicule. D’abord rouge, le choix a finalement porté sur un vert plus en contraste avec la cape du premier super-héros de l'Histoire. Le Diable est décidément dans les détails. 
            Toujours dirigé par sa boussole idéologique, l’article nous explique via Aurélien Fouillet cette fois (chercheur et docteur en sociologie), que plus tard, dans les années 1950, les super-héros deviendront les parangons du mode de vie américain, « un modèle de l’American way of life ». 
Vu le marasme dans lequel pataugeaient alors les quelques super-héros suffisamment viables pour être encore publiés, vu l’estocade de la Comics Code Authority™, qui allait infantiliser la Bd américaine pour longtemps, vu la difficile (et lente) relance des super-héros à partir de 1955 à l’instigation de Julius Schwartz, genre le plus apte à se concilier les faveurs de la propre autocensure des éditeurs (la Comics Code Authority™ en question), c’est dire l’innocuité (politique) des super-héros des années 1950 ; vu ce catalogue non exhaustif,  je ne sais pas où se cachaient les parangons de l’American way of life. Dont je ne comprends pas bien si, sous la plume su sociologue, c’est d’ailleurs un reproche. 
À moins de faire retour sur une « crise », dont sont friands les réseaux de communication 2.0, activée par la déclaration de Jim Lee (Chief Creative Officer & éditeur chez DC Comics™). 
            Ce jour-là, la devise «Truth, Justice and American Way », slogan qui accompagnait Superman (de manière fort discrète et sujette à plusieurs transformations au cours des ans) depuis la série télévisée des années 1940 laissait la place à « Truth, Justice and a Better Tomorrow ». 
Autrement dit, le « modèle de vie américain » laissait place à « de meilleurs lendemains ». Big deal !, comme on dit du côté de Cleveland. 
Mais comme il fallait s’y attendre ce changement somme toute très anodin a donné lieu à des échanges musclés entre l’aile dite progressiste américaine et leurs adversaires réactionnaires tout aussi étasuniens. L’enjeu était de taille en effet.<sourire>
Reste qu’in fine, il ressort de ce paragraphe sur l’american way of life que ce slogan est l’expression de la réussite via la persévérance. Dont on nous apprend qu’elle est (la persévérance) une doctrine issue de la matrice protestante. En dehors du protestantisme pas de persévérance donc !? 
Même si celui qui réussit à plus de chance de le faire en persévérant ? Que serions-nous sans nos universitaires.
            On passe ensuite au progressisme pour lequel Camille Baurin de retour, comptabilise le nombre de super-héros homosexuels et de musulmanes voilée. Comme ça, sans rire. Ceci dit on échappe à l'écriture inclusive. 
À défaut de lire des histoires bien pensées, au moins seront-elles « bien-pensantes ». Eh bien même pas ! 
Outre l’odieux décompte qui en d'autres circonstances serait reproché à ceux qui s'y livreraient pour des fins différentes, on dénombre donc d’un côté des gens qui agissent, mus jusqu'à preuve du contraire par leur biologie ; et de l'autre des femmes qui portent un ustensile vestimentaire, choix extérieur & ostensible d’une religion, que d’aucunes ailleurs qu’aux U.S.A., tentent de ne plus être obligées de porter. À leurs risques et périls. 
Le progressisme, quel humanisme ! 
            S’ensuit une prise de conscience que la bande dessinée de super-héros – plus récemment précise-t-on– s’intéresserait aux « causes et angoisses de la nouvelle génération » : crise migratoire, populisme politique et réchauffement climatique. Ce n'est plus de la Bd de super-héros mais une collection de manuels de civisme ma parole. < clin d'oeil >
Si Camille Baurin décidément très présent, s’était déjà illustré par sa méconnaissance des conditions de travail (voire des désirs) des créateurs américains de Bd à la fin des années 1930, il ne semble pas avoir lu celles qui, à partir des années 1970, s’intéressaient – déjà- à ces sujets. À l’impossible nul n’est tenu !
            Et puis on entame, je crois, le cœur du sujet de l’article, climax où les masques tombent (sic) et où l’on apprend pour commencer que les criminels que Batman combat et met à l’ombre sont « les perdants du rêve américain ». Même l’homme qui a tué ses parents ? 
Même le Joker qui a tué Jason Todd
De mauvais perdants alors. 
Mais le meilleur est à venir en ce que l'article pointe du doigt Frank Miller et Christopher Nolan à qui Laurent de Sutter dénie la capacité de s'extraire de leurs idées politiques. De droite, forcément. 
On prête cependant à Miller des connaissances quasi universitaires puisque la façon qu'aurait Batman de concevoir le crime et les criminels, sous sa férule, serait à rapprocher de la théorie dite du « criminel-né » de Cesar Lombroso. Si j'étais freudien je parlerais de transfert. 
Il ne vient pas à l'idée de Laurent de Sutter que l'inspiration de Miller vient sûrement en droite ligne du comic strip de Dick Tracy et toute sa théorie de trognes pathibulaires (mais presque) qui ne sera pas étrangère à son immense succès. Et que les séries qu'a écrites le sexagénaire sont essentiellement de la fiction. Et pas des essais de sociologie. Quand bien même Frank Miller s'inspira-t-il en partie de ses propres années passées à New York, avant que la ville n'adopte la politique dite de « Tolérance zéro » si chère à Rudy Giuliani. 
            Outre le fait que les trois universitaires semblent partager les mêmes idées, dommage de ne pas avoir eu de débat contradictoire s'agissant justement d'aborder les super-héros sous l'angle politique. Difficile de nier qu'ils plaquent clairement des idées préconçues sur un matériau qui n'en demandait pas tant. 
Difficile enfin d'oublier les approximations tendancieuses, la méconnaissance manifeste de leur objet d'étude (deux d'entre eux ont pourtant écrit des essais sur les super-héros), et l'idéologie militante  qui dessinent les portrait-robots de trois universitaires aux idées toutes faites. Mais sont-elles bien faites ? <Gloussements >

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