« Tom King !? Le mec qui a eu le choix entre le gaufrier d’Alan Moore et le talent d’Alan Moore. »
Jean-Marc « Jim » Lainé
Alan Moore a indéniablement marqué l'Histoire de la bande dessinée occidentale.
Et au nombre de ses apports, il me semble que le plus remarquable, et malheureusement le moins emprunté, comme nous le constaterons d'ailleurs ici avec la maxi-série de Tom King, Mitch Gerads & Evan Shaner, est celui où Moore donne une nouvelle direction aux séries sur lesquelles il travaille, souvent diamétralement opposée à ce qui avait été fait avant lui.
Sans pour autant que ce « passé » ne cesse d’être pertinent pour le lecteur et les personnages.
Et si les « gaufriers » de Tom King, quasi omniprésents (mais jamais totalement absents), sont un emprunt à Keith Giffen (notamment la période The New Legion of Super-heroes – sous-titrée « five years later ») ; la nouvelle maxi-série de l’ex-agent de la CIA, « Strange Adventures », coche toutes les cases du Bingo™ de l’appropriation confraternelle.
Trois protagonistes principaux se partagent l’affiche de ces 12 numéros :
Adam Strange, apparu en 1958, est clairement un épigone du John Carter d’Edgar Rice Burroughs.
Comme son modèle confédéré il est transporté sur une planète étrangère où il deviendra un héros chevaleresque. Et amoureux de sa « princesse », Alanna (en lieu et place de Dejah Thoris).
Laquelle Alanna (inspirée d'Olivia Munn) est sans aucun doute le personnage principal de cette histoire. En tout cas le plus intéressant.
Adam Strange n’est cependant pas le premier personnage de DC Comics™ à s’inspirer des créations du natif de Chicago.
Superman (1938), le premier super-héros de l’Histoire du genre combine le déracinement de John Carter, mais en sens inverse, et le parcours familial d’un Tarzan, élevé par des fermiers du Kansas.
Le Martian Manhunter, premier super-héros original de l’Âge d’argent© (1955) ou dernier de l’Âge d’or©, est lui, carrément, un Martien téléporté sur Terre. Pour rappel, la planète Barsoom où se retrouve John Carter s’appelle Mars dans notre langue.
Pour en revenir au troisième protagoniste incontournable de « Strange Adventures », il s’agit de Mr. Terrific, un personnage réactualisé en 1997 sur les bases d’un prédécesseur apparu lui en 1942, avec lequel il partage une intelligence hors norme.
Si Alan Moore n’a pas le monopole des enquêtes policières de type kilafé (ou whodunit) à la Agatha Christie, force est de reconnaitre que Watchmen et
« Strange Adventures » repose sur cette articulation, et qu'elle est essentielle pour les deux maxi-séries.
De fait, sans le meurtre du Comédien dans Watchmen ou de monsieur « X » ici, l'intrigue ne démarre pas.
Toutefois Tom King ne s’embarrasse pas de construire son enquête sur des bases aussi solides que Moore.
En effet, on peut se demander comment quelqu’un, dont on ne connaitra d’ailleurs jamais l’identité, aurait connaissance de faits qui se seraient déroulés dans le lointain espace (à 40 000 milliards de kilomètres de la Terre) ?
À cela s’ajoute le modus operandi du tueur, qui donne l’impression qu’il fait tout pour être suspecté.
Autre motif d’étonnement, la requête d’Adam Strange de demander à Batman d’enquêter sur cet homicide.
Lequel, très « fair-play », lui aussi, préfère confier l’enquête en question à Mr. Terrific, eu égards aux liens d'amitiés qu’il entretient avec Strange. Qui, pour le coup, semble avoir un instinct de conservation très bas.
Autre parti pris qui saute aux yeux, deux époques seront traitées durant les douze numéros mensuels qui rythmeront l'histoire.
• Le présent, où Adam Strange et Alanna sont sur Terre pour à la fois, promouvoir le livre de ce dernier, et pour attirer l’attention sur la plus que probable invasion des Pikkts, dessiné par Mitch Gerads dans le style anguleux qu’on lui connait, et colorisé par sa palette si reconnaissable.
• Et le passé, où Strange joue les Lawrence d’Arabie sur Rann, confié à Evan « Doc » Shaner dans un style qui n’est pas sans évoquer ce que faisait par exemple C.C. Beck sur le Captain Marvel de l’éditeur Fawcett™, et une colorisation dans des tons plus chauds que son comparse Gerads. Quand bien même le récit en question n’a rien d’une promenade de santé pour Alanna ni pour Adam.
Cette opposition rappelle ce que proposait justement, Alan Moore sur sa réinterprétation de Marvelman (devenu ensuite Miracleman), où s’opposaient une période naïve du passée à celle plus inquiétante des années 1980.
Et last but not least, la conclusion de « Strange Adventures » a tout d’une « Leçon d’anatomie », cette fois donc appliquée à Adam Strange plutôt qu’à Alec Hollande.
Cette écriture postmoderne, en tant qu’elle utilise la culture de masse comme une banque de données n’a rien, à mes yeux, de répréhensible. Même si Tom King gagnerait a être moins littéral.
Non, finalement ce que je reproche à « Strange Adventures » c’est son parti pris idéologique. Voir son préjugé, à l'égard d'un personnage à qui Tom King doit son histoire.
Je rappelle que King exploite (et surtout maltraite) un personnage qu'il n' a pas créé.
J’en étais arrivé à la conclusion que vous allez lire, lorsque je suis tombé sur un entretien qu’avait accordé Tom King à un site en ligne au sujet de sa reprise des aventures d’Adam Strange.
Extraits : “What we’re doing is we’re taking that concept and we’re looking at it in a modern light”, autrement dit « Ce que nous faisons, c'est que nous prenons ce concept et que nous le regardons sous un jour moderne ». Le concept en question date des années 1950 (autant dire une autre planète) et le coup d’œil qu’y jette Tom King se fait visiblementau travers de verres méchamment progressistes (sic). Attention faux-ami !
Mais le pire est à venir :
“The thing with Adam Strange is he’s from this long tradition of Flash Gordon and these sort of characters that live on our planet and they’re normal people and then they go off to another planet and they’re incredible people. Right? John Carter from Mars – it was like a common trope and it’s a metaphor obviously for colonialism. It’s that idea that the second son goes to India and becomes a king.”.
Un petit paragraphe d’où il ressort que John Carter, Flash Gordon et bien évidemment Adam Strange, sont des métaphores du colonialisme.
Absolument, un Terrien comme Adam Strange donc, qui se retrouve sur une planète extraterrestre - à son corps défendant - qui y épouse et la culture et une habitante, et qui s’y bat contre des envahisseurs est un colonialiste colon <sourire>.
Qu’Adam Strange soit l’image inversée de Superman ne semble pas avoir effleuré Tom King. Ou peut-être que tout dépend de la destination dudit colonialiste colon. Or donc, avant même de goûter à l’analyse de Tom King (formé par la CIA quand même), j’avais élaboré un test, inspiré de celui dit de Bechdel, mais le mien ne mesure pas la surreprésentation masculine, au détriment des personnages féminins, mais le wokisme.
Appelé test d’Evergreen™ pour des raisons évidentes, il se base lui aussi sur trois critères :
• Il doit y avoir au moins deux « minorités » (attention faux-ami bis) nommées (nom/prénom) dans l’œuvre.
• L’une d’entre elle doit avoir un discours victimaire sans rapport avec l’histoire racontée, et/ou sans rapport avec son statut réel.
• Dans tous les cas le coupable est un homme blanc, hétérosexuel ; son sort est obligatoirement la mort, réelle (toutes choses égales par ailleurs en matière de BD américaine), ou au moins sociale. Les deux sont préférables.
Ce qui donne pour les douze numéros de « Strange Adventures » :
1°: Les deux minorités sont sans surprise Mr. Terrific & Alanna Strange.
2°:
En sus, sachez que Mr. Terrific est considéré comme le troisième homme le plus intelligent de l’univers étendu de DC Comics™. Qu'il a été le président de la JSA, et dernièrement a même été le pastiche très réussi de Reed Richard ; difficile de croire que son avis ne compte pas. D'autant qu'il est mis sur l'affaire par Batman.
3°: Je vous laisse découvrir la fin de l’histoire si ce n’est déjà fait.
En conclusion « Strange Adventures » est un discours idéologique sur les personnages d’hier (qui n'en demandaient pas tant), dont le destin sera, hormis s’il s’agit d’une « minorité », de disparaitre, mais seulement après avoir fait l'objet d'une enquête approfondie & dégradante.
Scénariste reconnu, et récompensé, je propose que Tom King, au vu de son travail ici, soit sans tarder promu au poste de commissaire politique.
Super article : j'ai beaucoup aimé. Je n'ai pas encore lu ce récit, mais j'aime beaucoup l'écriture de Tom King.
RépondreSupprimerJe me souviens qu'Alan Moore avait déjà réinterprété Adam Strange dans deux épisodes Swamp Thing.
Je garerai ton analyse à l'esprit en lisant ces aventures étranges.
Oups ! Il manque mon identité : Présence.
Supprimerdéja que j' ai rien compris à Roscharsch, tout cela continue de me convaincre de ne pas acheter du Tom King
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