La série « Black Panther n'est pas annulée, elle devient The Crew », n’avait pas peur d’annoncer Christopher Priest au moment du lancement de cette dernière : sept numéros parus entre mai et décembre 2003, dont la mauvaise réception est alors due - selon Priest, au mauvais travail du service marketing de Marvel™; j’y reviendrai.
« The Crew » c’est, pour le dire avec les mots de son scénariste & créateur, le ton du film Les Rois du désert1999 transposé au sein d’une équipe (qui n’en est pas réellement une, comme ne l’était pas celle qui s’assemble pour voler l’or de Saddam Hussein) de super-héros, qui sera au final composée de James « Rhodey » Rhodes anciennement War Machine, de Danny Vincent, alias Junta, et de Kasper Cole, un flic de la brigade des stups new-yorkaise devenu le Tigre Blanc. Pour bien visualiser Kasper Cole, imaginait Denzel Washington dans Training Day.
Ces deux derniers personnages viennent d’ailleurs directement de l’imagination de Priest, qui les avait précédemment utilisés lors de sa prestation sur - justement- la série Black Panther1998-2003. CQFD !
Toutefois cette distribution n’était pas le premier choix du scénariste.
Priest voulait en effet le véloce et Inhumain Quick Silver comme chef (d’équipe), et Justice (alias Vance Astovik) comme adjuvant. Autrement dit deux Blancs, ce qui n’aurait pas donné un casting ethniquement si orienté
« blaxploitation » comme il le sera en définitive.
Du moins pour ceux qui s’arrêtent à ce genre de considération. Lesquels ne doivent pas manquer aux U.S.A., si on en croit les commentaires notés par Priest lui-même, avant même que le premier numéro ne paraisse.
Ont également été envisagée la jeune Dagger du duo Cloak & Dagger, ou encore Alex Power de l’équipe familiale Power Pack. Dont Christopher Priest disait qu’il aurait été, au sein de « The Crew », l'alter ego du personnage de Rick Schroeder dans la série télévisée NYPD Blue .
Cela dit, Christopher Priest fera contre mauvaise fortune feu de tout bois, en tentant – en vain, d’orienter le secteur marketing de l'éditeur vers un segment de la population intéressé par une série qui ne manquera pas d’être étiquetée au travers de la couleur de peau de ses protagonistes, j’y reviendrai (bis).
Or donc, à partir du moment où le mercato éditorial lui a donné une série qui se verra apposer l’étiquette « ghetto », Priest envisagera de l'appeler Black Avengers (sauf que si dans les années 1970 c’était une idée acceptable, en 2003 ça l’est beaucoup moins).
En tout état de cause nous avons quand même : un Iron Man Noir (War Machine), un White Tiger en lieu et place du Black Panther des Avengers, et un Hawkeye en la personne de Danny Vincent (Junta). Et un tout nouveau personnage, qui soit dit en passant est le premier super-héros noir musulman de Marvel™ .
Or donc, à l’instigation de Tom Brevoort, l’editor de la série, Christopher Priest concocte une approche où les quatre premiers numéros de la série sont consacrés à chacun des personnages principaux de l’histoire. À ce moment-là, bien évidemment, « The Crew » n’est pas censée être annulée (avant même que ne paraisse le premier numéro, paraît-il), et ne connaitre que 7 épisodes.
Eh oui, j’ai cité trois personnages et il y a quatre numéros, mais il fallait aussi laisser de la place à un mystérieux protagoniste, inventé pour l’occasion.
L’intrigue s’installe donc dans un quartier gangréné par la criminalité, appelé « Little Mogadiscio », un choix qui ne demande pas de commentaire si vous avez vu par exemple, La Chute du Faucon Noir.
À l’opposé de cette zone de non-droits (litote), prospère « Princeton Walk », une copropriété sécurisée.
Ces deux lieux sont, dans l’esprit de Priest, le pendant d’Akopolips et de New Genesis inventés par Jack Kirby en son temps.
Au début de l’histoire, James Rhodes (qui occupera ici une place équivalente à celle que le professeur X occupe chez les mutants du début des années soixante) apprend que sa sœur a été retrouvée morte dans Little Mogadiscio, ce qui le décide à enquêter sur place.
Pratiquement au même moment, une rame de maintenance du métro tout ce qu’il y a de plus discrète, chargée des pots-de-vin destinés à arroser tous les corrompus du secteur, déraille. Kasper Cole et Danny Vincent - pour des raisons différentes - se retrouvent sur le coup.
Vous l’avez compris, cette rame de métro c’est l’or du film de David O. Russell.
Kasper Cole, flic à la brigade des stups entretien des relations mi-figue mi-raisin avec une personnalité du « Mog», Josiah X, un imam. Mais qui vit à Princeton Walk, et qu'il soupçonne d'encaisser des dessous de table.
Le cinquième numéro sera justement consacré à Josiah X, lequel va apprendre - en même temps que les lecteurs - qui il est.
Priest invente donc un nouveau super-héros, Justice (mais pas le même qu’envisager au départ), en utilisant avec élégance le sacro-saint Principe de continuité®.
En effet, Josiah X est le fil caché d’un homme qui a servi de cobaye dans une expérience secrète (mais bien connue des lecteurs de la Maison des Idées™).
Les deux derniers numéros mettent en scène l’équipe enfin réunie, et conclus les intrigues en cours.
Une série qui n’aura donc pas eu l’heur de conquérir son lectorat.
Christopher Priest déplore d’ailleurs que, vu le travail que demande en amont une série telle que celle-ci, l’éditeur ne s’engage pas à publier, coûte que coûte au moins 12 numéros. De manière à laisser une chance au produit.
En outre, à partir du moment, comme je l’ai déjà signalé, où la série devenait une histoire dont les personnages n'étaient quasiment que des Noirs, exception faite de Danny Vincent qui est Latino, Priest avait proposé de commercialiser une version espagnole, en plus de l’américaine, et de proposer des points de ventes dans les salons de coiffure et les bodegas.
Selon Christopher Priest, en effet, les afro-américains et les hispaniques ne vont pas dans les comic shops. Il avait aussi mis en route l’idée d’inclure des CD de Hip-Hop, et d’ouvrir un partenariat avec des magazines de musique tels que Vibe™ et XXL Magazines™ .
Le scénariste, qui a aussi été editor pendant pas mal d’années aussi bien chez DC Comics™ que chez Marvel™, évaluait alors le marché latino-américain à 750 milliards de dollars et le marché afro-américain à 892 milliards de dollars.
Bref, rien n’y fit, et « The Crew » restera une très très bonne série, de seulement sept numéros.
Et à propos de laquelle Christopher Priest ne tarit pas d’éloges (auxquels je me joins) sur son dessinateur Joe Bennett, qui travaille aujourd’hui avec Chuck Dixon pour le Rippaverse™ d’Eric July (et dont le premier numéro d’Alphacore a fait un carton sur la scène indépendante de la BD U.S.). Et sur l'encreur Danny Miki, qu'il a connu alors qu'il était un tout jeune débutant plein d’énergie.
« The Crew » a par ailleurs été compilée dans le quatrième tome des intégrales étasuniennes de la série Black Panther.
Rappelez-vous : « Black Panther n'est pas annulé, elle devient The Crew », nous disait en ouverture de cet article Christopher Priest !
Priest est l'un des mes scénaristes favoris, et ce n'est pas « The Crew » qui va me faire changer d'avis.
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