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Les âmes perdues (fin)

AVERTISSEMENT
Avant d'entamer une série d'articles sur les origines de Hulk, je vous propose le dernier chapitre des aventures d'Harry D'Amour le célèbre détective de l'étrange créé par Clive Barker 

... Le petit hôtel décrit par Cha'Chat avait connu des jours meilleurs ; même l'éclairage du hall semblait à l'agonie. Personne à la réception. Harry était sur le point de monter au premier étage lorsqu'un jeune homme sortit de la pénombre et l'agrippa par le bras. Son crâne était entièrement rasé, à l'exception d'un accroche-cœur plaqué à son cuir chevelu.
... - Il n'y a personne ici, dit-il à Harry.
... Du temps de sa splendeur, Harry aurait été capable de lui briser son crâne d'œuf à coups de poing, et sans doute y aurait-il pris du plaisir. Mais il n'était pas en forme cette nuit-là. Aussi se contenta-t-il de dire :
... - Eh bien il ne me reste plus qu'a trouver un autre hôtel, hein ?
... Accroche-cœur sembla se détendre ; il relâcha son étreinte. L'instant d'après, la main de Harry trouva son flingue, et le flingue trouva le menton d'Accroche-cœur. La surprise se peignit sur le visage du jeune homme lorsqu'il alla heurter le mur en crachant du sang.
... Alors que harry montait l'escalier, il entendit l'autre s'écrier :
... - Darrieux !
... Ni ce cri ni les bruits de lutte n'avaient suscité une quelconque réaction. Toutes les chambres étaient vides. Cet hôtel était affecté à un autre usage que l'habitation, se dit Harry.
... Il fut accueilli sur le palier par un cri de femme qui s'interrompit avant d'avoir vraiment donné sa pleine mesure. Il se figea sur place. Derrière lui, Accroche-cœur montait les marches quatre à quatre ; devant lui, quelqu'un était en train de mourir. Ça allait mal finir, devina-t-il.
... Puis une porte s'ouvrit au bout du couloir, et ses soupçons se transformèrent en certitude. Un homme vêtu d'un costume gris se tenait sur le seuil, occupé à ôter des gants de chirurgien maculés de sang. Harry le connaissait vaguement ; en fait, la lumière s'était faite dans son esprit dès qu'il avait entendu Accroche-cœur prononcer le nom de son employeur. Cet homme était Darrieux Marchetti ; également appelé le Cancertiste ; il appartenait à une confrèrie occulte d'assassins théologiques qui prenait ses ordres de Rome, de l'Enfer ou des deux.
... - D'Amour, dit-il.
... Harry se sentit flatté d'avoir été reconnu, puis il refoula son orgueil.
... - Que s'est-il passé ici ? demanda-t-il en faisant un pas vers la porte ouverte. 
... - Une affaire privée, répliqua le Cancertiste. Ne vous approchez pas d'avantage, je vous en prie.
... Des cierges brûlaient dans la chambre minuscule, et leur lueur permit à Harry de distinguer les deux corps allongés sur le matelas. La femme de la maison de Ridge Street et son enfant. Tous deux avaient été exécuté avec une efficacité toute romaine.
... - Elle a résisté, dit Marchetti, apparemment peu soucieux que Harry contemple son œuvre. Je n'avais besoin que de l'enfant.
... - Qu'est-ce que c'était ? un démon ?
... Marchetti haussa les épaules.
... - Nous ne le saurons jamais, dit-il. Mais durant cette période de l'année, il y a souvent quelque chose qui tente de franchir les barrières. Nous préférons prendre nos précautions. En outre, certains d'entre nous - et je suis du nombre - estiment qu'il est peu souhaitable d'avoir un surcroît de Messies ...
... - De Messies ? répéta Harry.
... Il se tourna de nouveau vers le petit cadavre.
... - Il y avait une puissance ici, je crois bien , dit Marchetti. Mais elle n'avait pas encore choisi son camp. Réjouissez-vous, D'Amour. Votre monde n'est pas prêt pour la révélation. (Il se tourna vers le jeune homme, qui venait d'arriver sur le palier.) Patrice. Sois un ange, veux-tu, et va chercher la voiture. Je suis en retard pour la messe.
... Il jeta ses gants sur le matelas.
... - Vous n'êtes pas au-dessus des lois, lui dit Harry.
... - Oh, je vous en prie, protesta le Cancertiste. Ne dites pas de bêtises. L'heure est trop avancée pour cela.
... Harry sentit une vive douleur à la nuqye, et un filet de sang chaud coula sur sa peau.
... - Patrice pense que vous devriez rentrer chez vous, D'Amour. Et moi aussi.
... La pointe du couteau s'enfonça un peu plus.
... - D'accord ? dit Marchetti.
... - D'accord, dit Harry.

... - Il est venu ici, dit Norma lorsque Harry entra chez elle.
... - Qui ça ?
... Eddie Axel ; de la supérette Axel. Il m'est apparu, clair comme en plein jour.
... - Il est mort ?
... - Évidemment qu'il est mort. Il s'est suicidé dans sa cellule. Il m'a demandé si j'avais vu son âme.
... - Et que lui as-tu dit ?
... - Je ne suis qu'une standardiste, Harry ; je me contente d'effectuer les connexions. Je ne prétends pas comprendre l'aspect métaphysique des choses. (Elle attrapa la bouteille de brandy que Harry venait de poser près d'elle.) Comme c'est gentil. Assieds-toi. Buvons un verre.
... - Une autre fois, Norma. Quand je serai moins crevé.
... Il se dirigea vers la porte.
... - Au fait, tu avais raison. Il y avait quelque chose dans Ridge Street ...
... - Et où est passé ce quelque chose ?
... - Parti .. rentré chez lui.
... - Parti .. rentré chez lui.
... - Et Cha'Chat ?
... - Toujours en liberté. Et d'humeur massacrante ..
... - Manhattan a vu pire, Harry.
... C'était une piètre consolation, mais Harry marmonna un acquiescement en refermant la porte.
... La neige était de plus en plus abondante.
... Immobile sur le perron, il contempla les flocons qui tourbillonnaient à la lueur des réverbères. Il n'y en avait pas deux identiques, avait-il lu quelque part. Si même un humble flocon disposait d'un tel éventail de choix, pourquoi serait-il surpris par le caractère imprévisible des événements ?
... Chaque instant est maître de son destin, songea-t-il en courbant la tête pour se protéger du blizzard, et il lui faudrait bien tirer quelque réconfort de cette idée : la période séparant cette heure glaciale de l'aurore recelait de tels instants en innombrable quantité - des instants aveugles, sauvages et affamés -, mais des instants impatients de naître.

FIN

Titre original : Lost Souls
(C) Clive Barker
Traduction : Jean-Daniel Brèque
TÉNÈBRES n°5 Janvier/mars 1999

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