L'Incroyable Hulk 2008 |
Lorsque je veux me recréer,
je cherche le bois le plus sombre,
le marécage le plus dense,
le plus interminable et,
pour l'homme ordinaire le plus lugubre.
Walking - H.D. Thoreau
... Tout comme Buck, le chien domestique (re)devenant un loup, Henri David Thoreau semble répondre à l'appel du wild, de la wilderness : cet espace sauvage et inconnu, à la fois bien et mythologisation des Puritains. Un espace-entre favorisé par la culture calviniste : une région à la fois carte et territoire, indissociable des États-Unis.
L'émotion la plus forte et la plus ancienne
de l'humanité c'est la peur,
et la peur la plus ancienne et la plus forte
et celle de l'inconnu.
H.P. Lovecraft
... Comme le dit Jean-Robert Rougé, "la wilderness est la réalité concrète d'une terre non-encore explorée, secrète, inquiétante et dangereuse à la fois", dont les habitants sont "comme des hommes transformés en bêtes" (Alexander Whitaker). Ce territoire fait particulièrement sens dans un pays encore en grande partie inexploré - pour mémoire l'arrivée des Pères pèlerins se situe au début du XVIIe siècle - et pour les calvinistes qui promettent à la fois une "nouvelle terre" et la peur de l'Apocalypse. Une théologie où la dualité est un principe fort : Paradis/Enfer, Dieu/ Diable ; et qui a marqué d'une empreinte indélébile la mémoire phylogénétique étasunienne.
La mémoire phylogénétique est la mémoire d'une société dont l'inconscient collectif aurait retenu les "scènes primitives, traumatiques. Scène qui ont marqué l'évolution de l'humanité : la horde sauvage, le meurtre du père etc.. (Cf. Sigmund Freud)
... L'histoire des États-Unis commence bien évidemment avec l'arrivée des colons. Que ce soit les Pères pèlerins - qui voient en l'Amérique du Nord "la région de l'éternelle nuit", ou les populations nordiques qui comme le rappel Denis Duclos (Cf. Le complexe du loup-garou) ont une culture mythologique marquée par un pessimisme cosmologique impliquant l'intervention de dieux terribles, et l'intrusion de forces brutales primordiales dont le corolaire est une conviction catastrophique de la destinée.
Ces colons forment le terreau idéal de la wilderness qui par ailleurs donnera naissance à deux mythologie américaines : d'une part le récit de captivité (qui deviendra un véritable filon littéraire et par extension, une composante de la culture de masse dont on peut encore voir les effets. Les U.S.A ne sont-elles pas le pays où les enlèvements extraterrestres sont les plus nombreux ?), où le captif, enlevé par des indiens (/démons) subira une profonde transformation qui scindera sa personnalité en deux (Voir le récit de Mary Rowlandson).
Et d'autre part la Frontière, qui dans son acceptation américaine n'est pas (seulement) une ligne de démarcation entre deux territoires, mais bien un espace à part entière. La Frontière se confond alors avec la wilderness : une région inconnue, aux confins du monde civilisé.
Cependant depuis Frederick Turner ce territoire inconnu est porteur d'une dynamique de conquête, c'est devenu un concept de progrès et de transformation, sur le modèle évolutionniste. Ainsi Turner écrira-t-il dans son essai (1893) La Frontière dans l'Histoire des Etats-Unis en parlant des territoires vides et disponibles (la wilderness dont on oblitère les "natifs) qui ont modelés la mentalité étasunienne : Cette perpétuelle résurrection, cette expansion vers lOuest avec les possibilités nouvelles qu'elle offre [..].
Par ailleurs Lionel Groulx dans la Revue d'histoire de l'Amérique française (1963) écrit : [..] ce qu'on appel ici "frontière" ce serait en réalité l'appel constant de l'espace, la marche incessante vers l'Ouest, [..].
Lionel Groulx a probablement entendu le discours de John Fitzgerald Kennedy du 15 juillet 1960, où celui-ci déclare : "Mais je vous dis que nous sommes devant la Nouvelle Frontière, que nous le voulions ou non. Au-delà de cette frontière, s'étendent les domaines inexplorés de la science et de l'espace, [..]."
FanTask n° 1 |
Un discours qu'ont probablement entendu Jack Kirby & Stan Lee avant qu'ils ne "lancent" Red Richard, Sue Storm, Johnny Storm & Ben Grimm dans l'espace (1961), et par la même occasion donnent "l'impulsion et fix(e) la norme de ce que l'éditeur, jamais en panne de vantardises, appellera The Marvel Age of Comics" (Cf. Les Apocalypses de Jack Kirby - Harry Morgan & Manuel Hirtz).
... Il me semble que la wilderness et la Frontière sont l'avers et le revers d'une même pièce. D'un côté le territoire des bêtes de la nuit, le désert biblique, la peur : la wilderness (Hulk). De l'autre côté la conquête, le progrès, la domestication de ces grands espaces (d'autant qu'au moment du texte "fondateur" de Turner la Frontière n'existe plus officiellement) : la Frontière (Banner).
Cette césure apparaît également chez le blackswoodman, "cette figure héroïque de la Frontiére, à mi-chemin de la civilisation et de la vie sauvage. Soumise à la tentation primitiviste de la wilderness et au chant du progrès." (Cf. Lauric Guillaud - La Terreur et le sacré). Tout comme Hulk (la force sauvage)/Banner (le scientifique) victimes(s) du souffle anthropophage de la bombe Gamma.
Qui plus est, la transformation de Bruce Banner en Hulk n'est-elle pas un enlèvement ? Banner n'est-il pas "captif" de Hulk ? Et vis versa. C'est la bombe Gamma qui à l'instar de l'Appel (de la forêt) ressuscite la bête sauvage, l'ogre des peurs archaïques de l'imaginaire puritain. Un Le monstre, qui étymologiquement se rattache à moneo signifiant avertit (Voir Les Monstres de Martin Monestier).
"Quel monstre est-ce que cette goutte de semence de quoi nous sommes produits, qui porte en soi les impressions, non de la forme corporelle seulement mais des pensées et des inclinaisons de nos pères ?
Michel de Montaigne
... Ainsi Hulk est-il l'incarnation, la substantifique moelle de la wilderness. Cependant cette incarnation n'est que l'arbre qui cache une puissance bien plus dévastatrice. Car ne nous y trompons pas, le "monstre" fait depuis l'Antiquité l'objet d'une science : la teratomancie.
Art divinatoire, science du signe.
Hulk, créature qui monstre l'avenir, un avenir où la bombe (en 1962 dans le contexte de la Guerre froide de ce côté-ci du 4ième Mur rappelons-le) déclenche la régression du genre humain en une explosion de sauvagerie. On peut comprendre que le public n'ait pas été enthousiaste à la lecture d'un tel signe.
Hulk monstre-divinatoire donc, ou Hulk monstre-merveille, signe de l'altérité qui nous invite à élargir notre expérience, notre appréhension du monde et ainsi reconsidéré les êtres que nous appelons monstres comme des pièces nécessaires à sa beauté ? Ce qui prend une saveur particulière dans le contexte des années 50/60.
En lisant le billet précédent, je me suis dit qu'il fallait parler de Thoreau, ça me semblait évident quand on parle de London. Et voilà qui est fait, comme quoi !!!
RépondreSupprimerAh, et puis, on dit, là dans le contexte, "acception", pas "acceptation" (enfin, si j'ai bien compris la phrase).
Purée, suite magnifique d'articles, fascinant, bravo !
Jim
J'en profite pour faire part de ma théorie de la frontière, pour expliquer les USA. Faudrait que je me replonge dans les écrits de Lauric Guillaud pour voir ce qu'il en penserait !
RépondreSupprimerDéjà, la théorie passe par des villes.
New-York, en ville 1, et ensuite, progression à l'Ouest.
La Frontière, c'est l'Ouest, l'indien (comme "ennemi"), les contrées sauvages, le Wilderness, puis la Californie et l'océan. Avec San Francisco en ville 2 et Hollywood en ville 3.
Et là, l'Amérique rebondit, ricoche, et repart à l'Est. Et c'est la Frontière de la Bombe Atomique, l'ennemi rouge, et la naissance de Las Vegas, qui pointe vers le haut pour éviter de montrer que l'Amérique tourne en rond ou revient sur ses pas. Ville 4.
Et le mouvement à l'Est se ralentit mais ne s'arrête pas, et on arrive à la Floride, autre Frontière de l'océan, et regard vers la Frontière de l'espace (discours de Kennedy de 1960). Ville 5.
(Sauf que Cap Canaveral n'est pas une ville à proprement parler : l'Amérique s'étiole).
Bref, ce n'est qu'une vague théorie, mais elle met en évidence la place de Las Vegas dans l'imaginaire américain, et dans sa construction sociale et mentale (avec une concentration des "ennemis" : construite sur un caprice mafieux, foyer des "atomic cocktails"…).
Jim