Accéder au contenu principal

HULK : Les origines (03)

Quelle est la fonction de l'artiste ? s'enquit Amanda auprès du talentueux intrus.
La fonction de l'artiste, répondit le Navajo, est de nous procurer ce que la vie ne peut nous donner.

Une bien étrange attraction - Tom Robbins




. Dans les deux précédents billets j'ai tenté en une mosaïque a(na)tomique de cerner les origines de Hulk, en m'appuyant sur l'épistémè. Concept qui rappelons-le "adopte un point de vue holistique voulant que toute idée fasse partie d'un ensemble au milieu duquel elle prend tout son sens" (Cf. Michel Foucault).


Lou Ferrigno in L'Incroyable Hulk 2008

Ainsi après la bombe H et le culturisme - il n'aura échappé à personne que la première incarnation cinématographique du personnage l'a été par l'intermédiaire d'un culturiste, Lou Ferrigno -, nous allons procéder par cohérences diagonales et quitter du moins en partie, le genre humain  ..... 


... D'une manière générale Hulk est l'expression d'une régression sur l'échelle de l'évolution. Ce qu'il gagne en puissance, en force il le perd en intelligence et surtout en humanité voire en moralité.
Hulk en quelque sorte, quitte le giron de l'humain (de la civilisation) pour celui de l'animalité ; et un écrivain américain s'est notamment intéressé au sujet bien avant Jack Kirby & Stan Lee.

L'Appel de la forêt
"À la bibliothèque d'Oakland (Jack London) avait dévoré les œuvres des grands penseurs scientifiques du XIXe siècle, Charles Darwin, Herbert Spencer et T.H. Huxley et il en avait retenu les idées maîtresses. En particulier, il avait été frappé par l'idée d'évolution, dérivée de l'observation de la nature [...].
Lorsqu'il écrivit L'Appel de la forêt, un ensemble de concepts généraux touchant, parmi les lois de la nature, la nécessité de la lutte pour l'existence, la sélection naturelle, l'adaptabilité au milieu, l'hérédité et le caractère, l'amoralité des processus évolutionnistes, s'était constitué en système dans son esprit [...].
Pierre Coustillas

Et oui, vous l'avez compris, pour ma part l'inspiration majeure (mais pas la seule) participant à la création du "Titan vert" est sans l'ombre d'un doute Buck le chien civilisé qui devient sous la pression des circonstances un loup dans le Grand Nord.


Ses muscles, surchargés de vitalité, 
se déclenchaient comme des ressorts d'acier
L'Appel de la forêt - Page 110 - Le livre de poche

... Si Buck (re)devient un loup à l'instar de Bruce Banner se métamorphosant en Hulk, il ne faut pas perdre de vue que Buck est aussi une projection fantasmatique de Jack London.
Un homme qui signait ses lettres wolf (loup), qui avait donné le nom de Wolf House (tanière) à sa maison et qui s'était fait faire un ex libris représentant une tête de loup.


À la vue de ces indices il me semble que Jack London est un bel exemple de lycanthropie, mais un homme qui tout en s'identifiant au Loup mythique reste tiraillé entre l'appel sauvage et  sa condition d'être humain. Ce va et vient entre animalité et humanité prend tout son sens si l'on juxtapose L'Appel de la forêt (1903) et Croc-blanc (1906) : le parcours d'un loup né dans la wilderness (voir infra) et qui finira par trouver un foyer dans une famille.
Le parcours inverse de celui de Buck

... Ainsi la dichotomie Hulk/Banner se retrouve-t-elle en Buck/Croc-blanc, et la lycanthropie de Jack London dans celle du Hulk de la première période (1962-1963 The Incredible Hulk #1 & 2).

Ron Garney & Sal Buscema

Cependant cet écho d'un atavisme quasi magique s'épanouira lorsque nous aurons remonté le courant de la mémoire phylogénétique du Nouveau monde (ce qui sera l'objet d'un prochain chapitre).

... Pour l'instant, avec Jack London nous touchons à l'idée d'hybridité, de dualisme, voire à la schizophrénie. Si la dualité de London se situe de part et d'autre du 4ième Mur, il existe une longue tradition dans la littérature étasunienne de héros duaux. Par exemple, Natty Bumppo ce héros de la Frontière dont Balzac a pu dire qu'il était "ce magnifique hermaphrodite moral, né entre le monde sauvage et le mode civilisé". Le héros de James Fenimore Cooper est en quelque sorte un cas d'école, il propose même une dualité onomastique :

Natty =  coquet/chic et Bumppo : to bump/heurter, to bump off/liquider.

Ce pionnier américain, élevé chez les indiens (dualité encore) et qu'ils appellent Leatherstocking (mieux connu des francophone comme Bas-de-cuir) est tiraillé par une attirance romantique pour les grands espaces (d'où émane par ailleurs l'appel qui changera la vie de Buck) et sa mission civilisatrice : opposition wilderness/civilisation que l'on retrouve chez le héros marvelien.

Aparté :
La wilderness occupera une grande partie des prochains billets mais j'aimerais vous faire part d'un fragment de la définition qu'en donne Marc Amfreville.

[..] étendue ténébreuse de la selva où le héros, lancé à la poursuite de son double, retrouve le sauvage en lui-même.

Ron Garney & Sal Buscema

... Ceci étant dit, n'oublions pas que le titre original de L'appel de la forêt et The Call of the Wild, le wild dont il est question est bien entendu l'appel "sauvage" mais c'est aussi l'appel de la wilderness.

Toujours est-il qu'envisager le roman de Jack London comme une influence majeure de Kirby et Lee doit aussi passer par un petit détour sur la réception de celle-ci en son temps :
Dix mille exemplaires furent vendus le jour même de sa publication (alors qu'il avait déjà été publié en feuilleton dans le Saturday Evening Post de New York). "La presse de l'Ouest proclama son admiration" nous dit Pierre Coustillas, et on parle de plus de 400 éditions différentes.

Bref un roman (et un auteur) qui a puissamment engrammé nombre de lecteurs au fil du temps.
Donc un beau faisceau d'indices qui tend à faire de L'Appel de la forêt (et corollairement Croc-blanc) le "plasma germinatif (pour reprendre un terme de London) de Hulk et certainement l'une des influences de Stan Lee & Jack Kirby.



Commentaires

  1. "Et oui, vous l'avez compris, pour ma part l'inspiration majeure (mais pas la seule) participant à la création du "Titan vert" est sans l'ombre d'un doute Buck le chien civilisé qui devient sous la pression des circonstances un loup dans le Grand Nord."

    Et qui est apparu pour la première fois dans Incredible Hulk sinon le noble devenu sauvage puis héros/anti-héros, James Howlett alias Wolverine ?

    RépondreSupprimer
  2. Vraiment, formidable.
    Moi qui suis un fan de London, pas seulement l'écrivain "communiste" que j'ai apprécié aux études, mais aussi l'écrivain de la nature "sauvage" que j'ai adoré durant l'enfance, je suis content de voir une démonstration aussi limpide et évidente.
    Bravo !



    ("plasma germinatif", c'est magnifique, ça !)




    Jim

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Juste cause [Sean Connery / Laurence Fishburne / Ed Harris / Kate Capshaw]

« Juste Cause 1995 » est un film qui cache admirablement son jeu.             Paul Armstrong , professeur à l'université de Harvard (MA), est abordé par une vieille dame qui lui remet une lettre. Elle vient de la part de son petit-fils, Bobby Earl , accusé du meurtre d'une enfant de 11 ans, et qui attend dans le « couloir de la mort » en Floride . Ce dernier sollicite l'aide du professeur, un farouche opposant à la peine capitale.   Dès le départ, « Juste Cause 1995 » joue sur les contradictions. Ainsi, Tanny Brown , « le pire flic anti-noir des Everglades », dixit la grand-mère de Bobby Earl , à l'origine de l'arrestation, est lui-même un africain-américain. Ceci étant, tout le film jouera à remettre en cause certains a priori , tout en déconstruisant ce que semblait proposer l'incipit du film d' A rne G limcher. La déconstruction en question est ici à entendre en tant que la mise en scène des contradictions de situations dont l'évidence paraît pour

The Words

... The Words ( Les Mots ) est un film qui avait tout pour me séduire : le roman en tant qu'élément principal, des acteurs que j'aime bien ; D ennis Q uaid, J eremy I rons, J . K . S immons et B radley C ooper. Éléments supplémentaire l'histoire se révèle être une histoire dans l'hisitoire. Ou plus exactement un roman à propos de l'écriture d'un roman, écrit par un autre ; entre fiction et réalité.  Je m'explique. Clay Hammon fait une lecture public de son dernier livre The Words dans lequel un jeune auteur, Rory Jansen , en mal de reconnaissance tente vaille que vaille de placer son roman chez différents éditeurs. Cet homme vit avec une très belle jeune femme et il est entouré d'une famille aimante. Finalement il va se construire une vie somme toute agréable mais loin de ce qu'il envisageait. Au cours de sa lune de miel, à Paris , son épouse va lui offrir une vieille serviette en cuir découverte chez un antiquaire, pour dit-elle qu'

Nebula-9 : The Final Frontier

... Nebula-9 est une série télévisée qui a connu une brève carrière télévisuelle. Annulée il y a dix ans après 12 épisodes loin de faire l'unanimité : un mélodrame bidon et un jeu d'acteurs sans vie entendait-on très souvent alors. Un destin un peu comparable à Firefly la série de J oss W hedon, sauf que cette dernière bénéficiait si mes souvenirs sont bons, de jugements plus louangeurs. Il n'en demeure pas moins que ces deux séries de science-fiction (parmi d'autres telle Farscape ) naviguaient dans le sillage ouvert par Star Trek dés les années 60 celui du space opera . Le space opera est un terme alors légèrement connoté en mauvaise part lorsqu'il est proposé, en 1941 par l'écrivain de science-fiction W ilson T ucker, pour une catégorie de récits de S-F nés sous les couvertures bariolées des pulps des années 30. Les pulps dont l'une des particularités était la périodicité ce qui allait entraîner "une capacité de tradition" ( M ich